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Ressources mortelles

Publié le 14 octobre 2012 par Malesherbes

En février 2011, suite à une enquête plus qu'approximative, Renault avait licencié trois cadres accusés d'espionnage industriel. On vient d'apprendre que, à l'époque, l'entreprise avait chargé son service de communication de réfléchir à l'annonce d'une éventuelle tentative de suicide ou du suicide d'un des accusés.

Des chevaliers blancs se sont aussitôt portés au secours de notre créateur d'automobiles, qualifiant son initiative d'acte responsable. A-t-on bien lu le projet de communiqué en cause : " Toute l'entreprise est profondément ébranlée par la gravité de ce geste. [...] Face à ce geste, qui nous bouleverse, nous entendons maintenir notre position " ? Admirez la litote : le mot geste, figurant par deux fois, alors qu'il s'agit, au mieux, d'un acte de désespoir, au pire d'un suicide. Renault aurait voulu précisément occulter la gravité de l'événement. De plus, que signifie ce " maintien de la position " ? Est-ce à dire : quelles que soient les conséquences, l'entreprise a bien agi, cet individu l'avait trahie, elle a eu raison de le chasser ? Campés sur leurs certitudes, ces communicants auraient-ils pu aller jusqu'à ajouter : " voilà bien la preuve de sa culpabilité " ?

Un tel comportement, aussi cynique qu'il soit, n'est ni nouveau, ni récent. Le PDG de France Télécom, Didier Lombard, avait eu l'ignominie en septembre 2009 de parler, à propos des suicides ou tentatives de suicide survenus dans son entreprise, d'une mode du suicide. Personnellement, il y a quinze ans, j'avais déjà perçu cetteabsence d'humanité. Dans la multinationale qui m'employait, lors d'une énième réorganisation, mon patron de l'époque me confia : " Voilà, je dois faire moins trois sur l'effectif de mon département. Il se trouve que, fortuitement, j'ai déjà fait moins un. Mais il me faut poursuivre ... ".

Tout le sel de cette déclaration, émanant d'un dirigeant au demeurant plutôt moins brutal que d'autres, réside dans l'utilisation de cet adverbe fortuitement. Dans son unité, un collègue, universitaire de qualité avait, suite à diverses pressions, " compris où se trouvait son intérêt "et accepté, comme on dit dans la Mafia, " une offre qu'il ne pouvait refuser ", un emploi de commercial. Quelque temps plus tard, il s'était défenestré, fortuitement !

Autrefois, on trouvait dans une entreprise une Direction du personnel. Celle-ci est devenue ensuite une Direction des relations humaines, chargée en somme de gérer des liens entre des personnes. Puis, subrepticement, sous le R de ce sigle, on a remplacé Relations par Ressources. Si l'adjectif humaines fut conservé, pour prétendre que la gestion de ces ressources demeure humaine, c'est le substantif ressource qui prime : l'individu est considéré comme n'importe quelle autre ressource, telle une machine, ou même un consommable, matière première, fluide, ou énergie.

Belle conception, productive, efficace ! Peut-être. Malheureusement, la ressource, elle, est mortelle !


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