Les primaires républicaines et les élections présidentielles américaines ont été l’occasion pour les correspondants de presse français aux États-Unis de publier de nombreux articles, pas forcément de bonne qualité.
Par Jeff Belmont.
Les primaires républicaines et les élections américaines ont été l’occasion pour les correspondants de presse français aux États-Unis de publier de nombreux articles. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces journalistes (pour la plupart des groupies de Barack Obama) détestent tout ce qui est de près ou de loin républicain en Amérique. Leurs articles sont des brûlots sans nuance, mélanges d’attaques personnelles, de railleries, de caricature des opinions, et surtout, de contresens graves, signe d’une grande ignorance et d’une grande pauvreté de l’analyse. Il est certain que les républicains ont de nombreux défauts et on peut tout à fait écrire des articles critiques à leur sujet. Mais il faut pour cela se cantonner aux faits et garder un vocabulaire approprié, conserver une cohérence dans son analyse critique, vérifier ses informations… bref, faire son travail de journaliste.
On sent que nos journalistes ont beaucoup de difficultés à argumenter leur rejet des républicains. Quand les arguments rationnels ne viennent pas, on se rabat sur la peur : il faut à tout prix effrayer le lecteur et diaboliser les républicains sans vraiment d’explication ni d’analyse. Tous multiplient les « ultra » devant chaque concept évoqué. La grande championne de l’exercice est Corine Lesnes du Monde. Pour elle, tout ce qui est républicain est« ultra » : les « ultra conservateurs » évidemment (terme plébiscité par la presse française pour qualifier les républicains, il n’est jamais employé par la presse américaine, même de gauche et est donc un apport venant purement de nos journalistes), l’« ultra droite » (on utilise en général ce terme pour évoquer les groupuscules terroristes néo-nazis, mais ça serait dommage de faire dans la nuance), les « ultra-thatchériens » ou même encore les « ultra-chrétiens » (là on a un peu de mal à comprendre…). Parfois, Anne Bernais de RFI s’ultra-emmêle les pinceaux en évoquant la jeunesse du candidat à la vice-présidence Paul Ryan : « Cette tragique expérience construit le jeune garçon, lui enseigne « l’autosuffisance ». Concept que l’on retrouve dans sa politique économique ultralibérale qui séduit tant les ultraconservateurs du Tea Party. » Les ultra-conservateurs séduits par une politique ultralibérale, on n’y comprend plus rien, mais qu’à cela ne tienne, on a pu caser deux « ultra » dans la phrase. Vous avez peur ?
Viennent ensuite les affirmations purement et simplement fausses.
Corine Lesnes étiquetant des économistes qu’elle ne connait visiblement pas : « Tout de suite, il s'est intéressé aux économistes conservateurs : Friedrich Hayek, Ludwig Von Mises, Milton Friedman ». Mises et Hayek ont toujours rejeté l’étiquette de conservateurs et ont même écrit de nombreuses fois contre le conservatisme. Hayek a carrément consacré un chapitre de son livre La Constitution de la Liberté au sujet, qu’il a intitulé Pourquoi je ne suis pas conservateur…
Lorraine Millot et Fabrice Rousselot de Libération font une chose semblable avec Ayn Rand : « Par le passé, Ryan se voulait même disciple d’Ayn Rand, l’une des principales théoriciennes du libertarianisme ». Sauf que Ayn Rand rejetait cette étiquette et était en réalité très critique envers les libertariens. En 1971, elle déclarait : « Tous les gens qui s’appellent aujourd’hui « libertariens », particulièrement ceux qui se font appeler la Nouvelle Droite, ne sont que des hippies, à la seule différence près qu’ils sont anarchistes et pas collectivistes. ».
Anne Royer pour Les Inrocks présente Ayn Rand comme « l’apôtre d’un capitalisme “no limit” », avant de reconnaitre qu’en réalité il y a des limites dans sa philosophie, fixées par le principe de non-agression : « “Sa philosophie, qu’elle appelle “objectivisme”, prône le règne de l’individu : chacun est libre d’utiliser sa raison – mais non la force physique –, d’agir selon ses propres choix, pour améliorer sa vie et trouver le bonheur” ». Don't act.
Anne Bernas frise l’inculture en analysant les positions religieuses de Paul Ryan : « Le pape l’a ainsi inspiré dans son projet de réduire les dépenses publiques. « Le Saint-Père, Benoît XVI, a accusé les gouvernements, les collectivités et les personnes privées endettées à des niveaux élevés de vivre aux dépens des futures générations, et de ne pas vivre dans la vérité », confie-t-il. Pour les fidèles du Tea Party, comment ne pas succomber à la tentation Ryan ? ». Sauf que la grande majorité des « fidèles du Tea Party » sont protestants (52%) contre seulement 21% de catholiques (New York Times/CBS News Poll, avril 2010). Le Tea Party est l’un des mouvements politiques américains où les catholiques sont le moins présents. La prise en main du Tea Party (qui était au départ un mouvement libertarien) par les conservateurs évangélistes a d’ailleurs été un tournant majeur de son existence. Les catholiques sont bien plus implantés chez les démocrates et la droite modérée alors que les évangélistes sont très nombreux dans le Tea Party. Et ces derniers ont peu de chances de « succomber à la tentation » en entendant Paul Ryan citer le pape !
Quand il s’agit de s’opposer à un républicain, tous les moyens sont bons : ainsi, Laure Mandeville du Figaro n’hésite pas à dire que « Ron Paul est aussi isolationniste, estimant qu'il n'y a «plus d'argent» pour se mêler des affaires du monde ». Pourtant, le terme d’« isolationniste » va plus loin que les politiques de non-intervention militaires que préconise Ron Paul. Il signifie également la fin du commerce extérieur, la fin des alliances diplomatiques et un repli sur soi... qui sont très éloignés de ce que souhaite Ron Paul. Ainsi l’intéressé explique lui-même : « un isolationniste est un protectionniste qui construit des murs autour de son pays, ils n’aiment pas le commerce, ils n’aiment pas voyager à travers le monde et ils aiment mettre des sanctions envers les autres pays. Certaines personnes qui m’appellent comme ça sont en réalité bien plus favorables aux sanctions et à la limitation du commerce, ce sont ceux qui ne veulent pas faire de commerce avec Cuba et qui veulent mettre des sanctions à quiconque leur cligne de l’œil. En fait, nous croyons le contraire, nous pensons que Nixon a eu raison d’ouvrir les relations commerciales avec la Chine car c’est ainsi que nous avons cessé de nous entretuer et que nous sommes maintenant en paix, ce qui vaut mieux, car ils sont devenus notre banquier. Ainsi, la non-intervention est quelque chose de totalement différent car ce que les Pères Fondateurs nous ont enseigné était de bien s’entendre avec les autres, commercer avec les autres, pratiquer la diplomatie, plutôt que d’avoir cette obsession de dire aux autres ce qu’il faut faire et comment doit marcher le monde tout en construisant des murs autour de notre propre pays. Ça c’est de l’isolationnisme et c’est bien loin de ce en quoi nous croyons. »
Étant donné les grandes campagnes médiatiques que les journalistes français ont menées contre la guerre en Irak, on a du mal à croire qu’ils s’attaquent maintenant à un tel discours. Car si Ron Paul se justifie face à ce qualificatif d’« isolationniste », ça n’est pas en réaction aux attaques des journalistes français de gauche, mais plutôt en réactions aux attaques… des faucons néoconservateurs qui ont été les premiers à l’affubler de ce qualificatif ! Dans leur aveuglement à s’opposer à tout ce qui est républicain, les journalistes français n’ont pas hésité à aller puiser dans l’argumentaire de mauvaise foi des néoconservateurs…
Enfin, lorsqu’ils s’efforcent de rester neutres, nos journalistes font preuve d’un brillant esprit d’analyse… Ainsi, en plein cœur des primaires républicaines, Laure Mandeville nous explique que « Mitt Romney n'a toujours pas réussi à convaincre l'électorat républicain, ce qui, reconnaissons-le, n'est pas un petit handicap! ». On le reconnait effectivement…
Mais le contraste est saisissant lorsque les correspondants de presse français aux États-Unis parlent de Barack Obama. Tout de suite, finis les brûlots, leurs articles ressemblent plus au skyblog d’une ado en adoration devant sa star. Ainsi Les Inrocks titrent « Obama le mec le plus cool du monde » , Corine Lesnes se fend d’un « L’anniversaire de Barack, c’est bientôt » ou encore des articles très objectifs comme : « Obama: je préfère profondément la paix »...
La championne toutes catégories de la flagornerie reste cependant Laurence Haïm qui sévit sur les chaines du groupe Canal+ et qui est la seule journaliste française à être accréditée auprès de la Maison Blanche. Yann Barthès a eu la bonne idée de l'inviter au lendemain de la piteuse prestation du président américain dans le débat qui l'opposait à son adversaire républicain Mitt Romney. Au bord des larmes, Laurence Haïm a perdu tout honneur en faisant une analyse pitoyable, contraire à toutes les analyses de presse de la planète, y compris des journalistes français. Retranscription :
Yann Barthès : Pourquoi Barack Obama était-il à côté de la plaque ?
Laurence Haïm : Alors je crois que pour lui, il n'était pas du tout à côté de la plaque et c'est ça qui est intéressant, en fait Barack Obama, il en a ras-le-bol des chaines d'information continue, il en a assez des petites phrases chic et choc et il considère que finalement la politique dans une démocratie ce n'est pas un match de boxe, que ça doit être civil, qu'on doit prendre son temps pour écouter les gens parler et il essaie vraiment de contrer cela. Et voilà, ça n'a pas marché car nous les journalistes, mais aussi les citoyens, lorsqu'on regarde le débat, on veut simplement non pas entendre des chiffres, des longues phrases, des beaux projets, mais on veut vraiment le moment où ça cogne, et Obama essaie de résister à cela et moi je trouve que c'est vraiment intéressant en termes de communication.
Plutôt que de reconnaitre qu'Obama a été mauvais, Laurence Haïm rejette la faute sur le reste du monde : les journalistes, les citoyens... qui sont des gens brutaux et méchants qui n'écoutent pas les autres, alors que Barack, il a des beaux projets et pas des phrases chic et choc...
Yann Barthès : La Une du Monde titre "Barack Obama Mister (faux) cool", il serait perfectionniste, distant, mauvais perdant, voire même condescendant...
Laurence Haïm : Moi ça m'énerve ça parce que c'était très à la mode d'idolâtrer Barack Obama en 2008, c'était le génie absolu de la politique mondiale, la star, tout le monde voulait être aux pieds de Barack Obama, les journalistes disaient "Ah Obama Obama" et maintenant voilà, il a raté un débat et tout le monde commence à lui taper dessus, ça va être la mode de taper sur Obama. Un peu de retenue hein, c'est pas facile d'être président, que ce soit aux États-Unis ou en France et c'est pas à nous journalistes de commencer à taper quand ça va mal sur un homme politique. Faut rester objectif, voir ce que cet homme politique fait pour le pays et puis après on peut faire des belles couvertures.
Laurence Haïm qui donne des leçons d'objectivité journalistique, ça fait rêver. Mais Laurence Haïm qui critique les journalistes qui veulent être aux pieds d'Obama, c'est une expérience métaphysique rare.
Friedrich Hayek notait déjà en 1944 dans La Route de la Servitude la désinformation issue des correspondants de presse à l’étranger :
Les opinions de toutes nuances, même les plus conservatrices sont influencées dans un pays tout entier par les tendances de gauche qui prédominent chez les correspondants de presse à l'étranger. Le meilleur exemple en est peut-être dans l'opinion quasi générale aux États-Unis concernant les relations entre la Grande-Bretagne et l'Inde. L'Anglais qui veut comprendre quelque chose aux événements de l'Europe continentale doit s'attendre à ce que son opinion ait été déformée de la même manière et pour les mêmes raisons. Nous ne doutons pas de la sincérité des journalistes anglais et américains. Mais quiconque sait quels milieux les correspondants de guerre fréquentent dans les pays étrangers comprendra aisément l'origine de cette déformation.
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