L’homosexualité, en vérité, de Philippe Ariño

Publié le 13 octobre 2012 par Tchekfou @Vivien_hoch

Avec une « joie grave », Philippe Ariño publie aujourd’hui un court mais très dense essai, L’homosexualité en vérité, briser enfin le tabou, synthèse urgente (mais non précipitée) de ses quatre précédents  livres, fruits de vingt ans de travail sur la culture homosexuelle : Homosexualité intimé : Le Couple homosexuel par-delà le bien et le mal ; Homosexualité sociale : le couple par-delà le bien et le mal et les deux tomes sur Dictionnaire des codes homosexuels.

Inévitable fait de société avec la question du mariage, l’homosexualité rentre sur la scène politique, témoignant de l’inévitable fuite en avant du système libéral-libertaire qui entend évacuer le social pour n’agiter que le sociétal.

Dans son étude sur la laïcité du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale dirigée par Monique Canto-Sperber, l’historien Jean Bauberot reconnaît combien l’école, la médecine et… le mariage civil ont été les trois piliers du processus de sécularisation de la société française, digne de ce qu’il est convenu d’appeler, avec Vincent Peillon et, un de ses maîtres, Ferdinand Buisson, la « morale laïque ».

On comprend ainsi pourquoi le cas du mariage touche un point sensible mais on comprend moins le ton scandalisé des partisans de la laïcité devant le mariage homosexuel puisque celui-ci ne fait qu’obéir à la logique interne du mariage civil républicain. Brûlant dossier que voilà, sujet à bien des étincelles, où les êtres se définiraient selon leur sexualité… et la sexualité se réduirait à la génitalité, alors qu’elle est avant tout un rapport au monde.

D’ailleurs, il faut tout de suite faire nôtre une des exigences de Claude Tresmontant :

« La morale, on s’en moque. »

Il s’agit de justice. Pas d’impératifs lancés avec fracas au nom de valeurs culturelles. En somme, cette question du mariage relève de la philosophie naturelle et n’importe qui, s’il refuse la malhonnêteté et ne réclame que le bon sens, peut tout à fait saisir les enjeux d’un tel débat.

Avec une « joie grave » (p.83), Philippe Ariño publie aujourd’hui un court mais très dense essai, L’homosexualité en vérité, briser enfin le tabou, synthèse urgente (mais non précipitée) de ses quatre précédents  livres, fruits de vingt ans de travail sur la culture homosexuelle : Homosexualité intimé : Le Couple homosexuel par-delà le bien et le mal ; Homosexualité sociale : le couple par-delà le bien et le mal et les deux tomes sur Dictionnaire des codes homosexuels.

D’abord, le titre.

L’auteur reprend la tournure hébraïque, exigence qui traverse toute la tradition biblique (ou toute philosophie digne de ce nom) : la vérité. A la sincérité, Philippe Ariño oppose le réel ; nous sommes prévenus : il ne fera pas dans la confession compassionnelle ou la pleurnicherie (ce qui rend l’essai d’autant plus émouvant), ne ritualisera pas ses blessures comme s’en délectent bon nombre d’icônes « gay » qui tournent autour de leurs larmes comme autant de fétiches dignes de la Très Sainte Souffrance. Sans parler au nom d’une quelconque association ou d’intérêts partisans, il met cartes sur table en nous présentant ce qu’est le désir homosexuel, en toute simplicité.

Avec Freud, nous avons pris l’habitude de réduire l’individu à sa sexualité mais ce qui manquait peut-être dans l’analyse du psychanalyste, comme le remarque l’anthropologue Mark Anspach dans Œdipe mimétique, est le sens de l’amitié qui, à ce jour, est toujours suspecte en raison du présupposé freudien que nous avons fini par intérioriser, au point que nous rejoignons la juste observation du père Michel-Marie Zanotti-Sorkine dont nous avions présenté le récent ouvrage ( http://www.itinerarium.fr/au-diable-la-tiedeur-du-pere-zanotti-sorkine/ ) et qui, dans son livre précédent, Homme et prêtre, écrivait :

« Ecrasée sous l’autocratie de la sexualité, la moindre amitié devient suspecte, le plus humble des geste de tendresse, deux mains qui se touchent, un bras qui entoure une épaule, une tête posée sur un coeur, un baiser, et les jeux sont faits : « ces deux-là couchent ensemble ! » crie l’imaginaire qui regarde et se délecte. Les rapports entre les êtres ne se déploieraient bientôt que sur deux extrêmes : l’étreinte ou la distance, ou si vous préférez, la copulation ou l’indifférence. »

Ariño rappelle une donnée anthropologique de base : la seule division fondatrice de la vie humaine, c’est la différence des sexes. (p.11)

En vérité, il n’y a pas d’homosexualité ni d’hétérosexualité. L’auteur rappelle que le mot « homosexualité » est apparu en 1869 pour définir une bisexualité, volontiers libertine  ; calqué dessus, le mot « hétérosexualité » apparaît bien plus tard, en 1890, pour désigner « un hermaphrodisme psychique » libéré d’une sexualité normative, partisan de « l’amour vrai et libre ».

Voilà de pures constructions sémantiques – elles-mêmes dérivées de constructions idéologiques (et que la théorie du gender semble oublier) – qui ont des conséquences socio-culturelles évidentes, comme on le voit aujourd’hui avec la question du mariage des personnes du même sexe.

L’idée guère sexuellement correcte de Philippe Ariño est de présenter le désir homosexuel en tant que fantasme du viol, lequel peut se décliner, entre autres, dans la féminité fatale ou le super-héros macho asexué, associé à une ritualisation de la déchirure se voulant imprescriptible et éternelle – nécessaire pour jouer l’accent tragique –, ce qui confine tout de suite à une sacralisation.

Selon lui, le fantasme du viol (ou sa réalité) est l’interdit absolu que refuse d’admettre la « communauté » homosexuelle qui se construit par l’homophobie et la haine de soi tournée en « orgueil », « identité », « Amour ». (P.31)

Alors, qu’est ce que le désir homosexuel ? D’après Ariño, il s’explique par « un désir non acté, un élan ressenti » ; c’est d’abord une sensibilité, sublimation du désir, intériorisation de l’amour-passion, un « élan d’amour et de violence » (p.12) qui traduit une incapacité à « s’incarner paisiblement, et [qui] en devient violent et divinisant. » (p.14)

Dans son livre monumental « L’amour et l’Occident », Denis de Rougemont distinguait « l’amour passion » (mythe d’inspiration cathare entretenu par les troubadours) et « l’amour action » dans le mariage (chrétien) et peut-être la pratique du désir homosexuel s’enracinerait-elle dans un réflexe cathare, lequel nie le mariage et la réalité du corps. Il ne s’agit pas, bien entendu, de réduire le désir homosexuel au mythe cathare – nombre de couples « hétérosexuels » ont intériorisé ce mythe (absent dans les traditions orientales, par exemple) – mais de reconnaître qu’il n’en sort pas.

En définitive, les désirs homosexuels et hétérosexuels sont jumeaux (p.54) et, pour sortir de ce piège sémantique, il n’existe plus à ses yeux d’hétéros (mythifiés en beaufs superficiels et « bourgeois coincés », Barbie/Ken) et des homos (pour qui le sexe n’aurait plus aucun secret) mais des couples femme-homme aimants et des « couples de semblables sexués [qui] pourraient tout à fait se résumer à un pacte tacite de masturbation mutuelle » (p.51) où l’on cherche à « se masturber par personne interposée, ou réciproquement » (p.51)

Aujourd’hui, Philippe Ariño « savoure beaucoup plus la sexualité en étant continent que ceux qui ont oublié le goût de la génitalité à force de s’en goinfrer, que ceux qui enchaînent les aventures sexuelles sans trouver satisfaction. » (p.82)

Le lecteur sera toujours tenté d’y déceler l’expression d’un aigri qui ne s’assume pas. Rien de tel. Avec une « joie grave », l’auteur « n’éteint pas [son] désir homosexuel : [il] le canalise et le donne à Dieu. » (p.82) et reste dans le « milieu » en reconnaissant que l’amitié, la vraie, est le seul rempart contre l’homophobie qui, écrit-il, est le désir homosexuel pratiqué, en acte. Son essai très ramassé, brillant et didactique, embrasse toute la complexité de ce désir blessé, afin de mieux mettre en évidence non pas l’égalité des droits mais l’égalité des identités, des différences.A ce sujet, Fabrice Hadjadj écrit, avec son habituelle malice :

« Je n’eus pas le courage de demander [à cette militante d'Act up] si elle pensait qu’il fût nécessaire que je pratiquasse la sodomie pour être tolérant, et si selon elle, par conséquent, la vertu de tolérance en ce domaine s’acquerrait uniquement par voie rectale. Tolérance, quoi qu’il en soit, n’est pas complicité. Et complicité n’est pas connaissance morale. L’orgueilleux ne sait plus ce que c’est que l’orgueil, et il se croit même très humble. […] Si j’ignore ce qu’est la santé, je ne peux comprendre les ravages de la maladie. » (Réussir sa mort, p.259)

L’auteur refuse le mot de maladie (même s’il ne le rejette pas) mais propose « désir blessé » que l’on pourrait sans doute expliquer par un premier tiers-modèle féminin souterrain pour les garçons ; modèle masculin pour les filles ayant ce désir. Il existe de bonnes inégalités qui permettent l’échange et la relation (p.60) sans réduire l’humanité à un ensemble de « bisexuels angéliques ». (p.61)

Certes, fidèle à l’émotionnel, ultime alternative pour évacuer les questions de fond, on oppose toujours l’éternel argumentaire de « l’homosexualité refoulée » (qui peut exister) : « refoulé ? Pas refoulé ? » A ce petit jeu, il est toujours possible d’offrir une ouverture en admettant très humblement que, quoi qu’il arrive, un germe chrétien est toujours à l’œuvre, souterrainement : tout le monde veut le Christ, le sachant ou pas. En outre, il est toujours possible de souligner cette spécificité de façon tout à fait rationnelle : c’est l’objet de tout le projet du métaphysicien Maurice Blondel qui, sans jamais faire appel à la Révélation, manifeste la présence en nous d’une normative, pré-adaptation à la vérité surnaturelle en Christ. En clair, peu ou prou, que l’ait un désir homosexuel ou pas, ce qui semble sûr, c’est que nous sommes tous, à notre mesure, avec notre style, des chrétiens refoulés. L’Eglise le sait d’ailleurs très bien en distinguant les personnes de leurs pratiques sexuelles. En définitive, Philippe Ariño montre que la sexualité ne se réduit pas à la génitalité et qu’il est tout à fait possible de vivre sa sexualité dans la continence – peut-être la liberté se situe-t-elle là, dans la maîtrise de soi. Et peut-être y a-t-il une jouissance dans ce désir accepté (et non sublimé) où la sexualité devient non plus rapport avec soi-même mais rapport avec le monde, ouverture au réel et non plus dépendance au sexe comme une dépendance névrotique qu’il faudra bien analyser un jour. Mais nous touchons là à un autre tabou, l’intimité des intimités, le mystère de la sexualité.

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Site de l’auteur :  http://www.araigneedudesert.fr/

Son passage à « Dieu merci » : l’Eglise est-elle homophobe ? (20/05/2011)