PAR BERNARD VASSOR
" Ah le pauvre Vincent ! Quel malheur, monsieur Mirbeau ! Quel grand malheur ! un pareil génie ! Et si bon garçon ! Tenez, je vais encore vous en montrer de ses chefs-d'oeuvre ! Car il n'y a pas à dire, n'est-ce-pas ? Ce sont des chefs-d'oeuvres !" Octave Mirbeau : L' Echo de Paris, 13 février 1894. Mirbeau poursuit : --"Et le brave père Tanguy qui revenait de son arrière-boutique avec quatre ou cinq toiles sous le bras et deux dans chaque main, les disposait amoureusement contre les barreaux des chaises, rangées au fond autour de nous. Tout en cherchant pour ces toiles le jour le plus favotable, il continuait de gémir -Le pauvre Vincent ! C'en est-il des chefs-d'oeuvre, oui ou non ? Et il y en a ! Et c'est si beau, voyez-vous, que quand je les regarde ça me donne un coup dans la poitrine; J'ai envie de pleurer ! Nous ne le verrons plus ! Non je ne peux pas m'habituer à cette idée ! Et M.Gauguin qui l'aimait tant ! C'est pire que s'il perdait un fils ! Il traçait dans l'air, avec son doigt, un rond isolateur, comme font les peintres : --Tenez, ce ciel là ! Quelle couleur, quel mouvement ! Faut-il qu'un homme pareil soit mort ! Faut-il qu'un homme pareil soit mort ! Est-ce juste, voyons ?....La dernière fois qu'il est venu ici, il était justement assis à la place ou vous êtes ! Ah qu'il était triste ! Je dis à ma femme : Vincent est trop triste...il a l'oeil autre part, bien loin d'ici. Sûr qu'il y a du malheur la-dessous ! "-- ! Il n'est point guéri ! Ce pauvre Vincent ! Je parie que vous ne connaissez pas son "Pot de Glaïeuls". C'est un des derniers tableaux qu'il ait fait. U-ne-mer--veil-le ! Il faut que je vous le montre ! Les fleurs voyez-vous, personne n'a senti ça comme lui. Il sentait tout, le pauvre Vincent ! Il sentait trop ! Ca fait qu'il voulait l'impossible. M.Pissaro qui l'a regardé longtemps, et tous ces messieurs, disaient : Les fleurs de Vincent ressemblent à des princesses ! Oui, oui, il y a de cela". ....................................................