Magazine Bien-être

Dans le sillage d'Advayavajra

Publié le 13 octobre 2012 par Joseleroy

Connaissez-vous le blog de Joy Vriens? Joy Vriens enseigne le tibétain à Marseille. Son blog est consacré au bouddhisme tibétain et vraiment très intéressant. On y trouve de nombreuses traductions.

Bonne lecture.

josé

http://hridayartha.blogspot.fr/

Voici un des ses messages sur le Tibet : Y a-t-il eu une influence du bouddhisme Chan chinois sur le Dzogchen tibétain?


Plusieurs documents de Dunhuang sont relatifs au concile de Lhasa, entre la partie indienne et la partie chinoise. Au 8ème siècle, le maître Mahāyāna (Hva śaṅ) était invité au Tibet par le roi tibétain Khri srong lde btsan pour y enseigner la méditation (dhyāna). Le manuscrit 4646 du Fonds Pelliot chinois de la Bibliothèque Nationale de Paris, est intitulé Préface de la ratification des vrais principes du grand véhicule d’éveil subit et a été rédigé par Wang Si à la demande de maître Mahāyāna[1]. Il y est écrit que le grand maître de Dhyāna Mahāyāna « conféra de secrètes initiations au Dhyāna » et que « l’impératrice, de la famille Mou-Lou (‘Bro)…aussitôt prise d’une dévote ardeur, fut illuminée d’un seul coup. » Elle se rasa la tête, se couvrit du vêtement foncé et prêcha la Loi du Grand Véhicule.[2] En 794[3], « fut enfin promulgué ce grand édit : « La Doctrine du Dhyāna qu’enseigne Mahāyāna est un développement parfaitement fondé du texte des sūtra ; il n’y a pas la moindre erreur. Que désormais religieux et laïcs soient autorisés à pratiquer et à s’exercer selon cette Loi ! »[4]
Les sources tibétaines disent le contraire et D. Ueyama[5] a tenté de réconcilier la contradiction entre les sources chinoises et tibétaines en suggérantque Hva-shang eut un débat par écrit avec Śāntarakṣita, qu’il avait gagné, mais que plus tard il avait été battu par Kamalaśīla puis exilé en Chine.
Il est certain néanmoins que la tradition du Dhyāna et de l'approche simultanée (T. gcig car du 'jug pa) s’est maintenue au Tibet. Au début du 9ème siècle, les maîtres de dhyāna (T. bsam gtan gyi mkhan po) Tshig tsa Nam mkha’i snying-po et sBug Ye shes dbyangs étaient actifs au Tibet et les textes (tradutions ou autres) qu’ils utilisaient étaient appelées « manuels de méditation » (T. bsam gtan gyi yi ge).
Karmay écrit qu’il existe des fortes preuves que, pendant la période persécution du bouddhisme monastique au Tibet par le roi Langdarma (assassiné en 842) et par conséquent des maîtres de Dhyāna, la pratique des tantras Mahāyoga échappèrent à la persécution et ont continué à se développer jusqu’au 11ème siècle. Selon Karmay, pour qui le Dzogchen primitif et le Dhyāna chinois ne sont pas reliés, le Dzogchen (de Vairocana) existait alors sous une forme embryonnaire et aurait réussi a se maintenir en s’associant avec les tantras Mahāyoga.  Pour le Professeur Tucci il y a un lien étroit.

Pour Karmay, la mention du Dzogchen dans les manuscrits IOL 597 et 647 (Le coucou de l’Intelligence), ainsi que le chapitre sur l’éveil subit dans le bSam gtan mig sgron de gNubs chen Sangs rgyas ye shes (11ème siècle) sont la preuve de l’existence d’une tradition Dzogchen indépendante.
Les Cinq Chroniques (T. bKa’thang sde lnga) sont un texte terma redécouvert par Orgyen Lingpa (né en 1323). Les Chroniques du Ministre (T. Blon po bka’ thang), contiennent une déscription de la tradition de l’éveil subit au Tibet et une référence à Bodhidharm(ottāra) comme le fondateur de la tradition Ch’an.[7] Karmay exprime des doutes sur l’authenticité des Chroniques du Ministre, ou des parties de la Lampe éclairant l'oeil de la méditation (bSam gtan mig sgron) de Noubchen, gNubs chen Sangs rgyas ye shes, seraient réutilisées et mal interprétées en faisant de Hva-shang un pratiquant de tantra.
Quoi qu’il en soit, gNubs chen Sangs rgyas ye shes considère l’approche subite comme une tradition bouddhiste qu’il place au-dessus de l’approche graduelle[8]. Pour lui l’approche simultanée procède de sūtra parfaitement aboutis (T. yongs su rdzogs pa’i mdo sde’i gzhung), contrairement à l’approche graduelle, mais les deux approches constituent cependant des déviations (T. gol sa) par rapport au "véhicule spontanément abouti" (T. lhun rdzogs pa’i theg pa), qu’est le Dzogchen. Pour son exposition de l’approche simultanée, Noubchen s’appuie sur des traditions de méditation (T. sgom lung) de maîtres Dhyāna tibétains tels Gle’u gZhon-nu snying-po, Lang-’gro dKon-mchog ’byung-gnas, Tshig-tsa Nam-mkha’i snying-po (auteur d’un Sūtra sur l’approche simultanée T. Cig car jug pa’i mdo), mentionnés dans certains manuscrits de Dunhuang. Noubchen explique que

La méditation ou concentration (S. dhyāna) recherchée n’est pas une méditation artificielle, mais la méditation du tathāgata (T. de bzhin gshegs pa’i bsam gtan), que Noubchen explique être « l’union de repos mental et de perspicacité » (T. zhi gnas lhag mthong). Maitrīpa, ne la définie pas comme l’union de de repos mental et de perspicacité (toujours maintenue par un effort selon lui), mais comme la méditation continue et naturellement présente du tathāgata (« intérieur »).
Carmen Meinert[10] suggère qu’il y avait une interaction entre le Ch’an et le Dzogchen, et se base pour cette hypothèse sur deux manuscrits, dont l’un serait un texte racine (Stein 689-1, chez Noubchen cité comme « Lung chung ») sur la contemplation de l’esprit (T. sems la bltas), qui reprend les thèses de Hva-shang, et l’autre un commentaire (Pelliot 699) selon le point de vue du Dzogchen.
Noubchen se distancie d’une influence du Ch’an sur le Dzogchen et semble pour cela viser la vue Ch’an exprimée dans le commentaire (P699). Le commentaire a été écrit sur la frontière tibéto-chinoise par un auteur originellement adepte de Ch’an, mais connaissant le Dzogchen et faisant une synthèse des deux. Il semble donc qu’il a pu y avoir une certaine confusion entre l’approche simultanée du maître chinois Hva-shang, le mahāyoga et le Dzogchen. C’est afin d’élucider les différences que Noubchen aurait entrepris d’écrir la Lampe éclairant l’œil de la méditation. Le point qui semble particulièrement prêter à confusion est la pratique de non discursivité (T. mi rtog pa S. avikalpa) que le Ch’an et le Dzogchen (primitif) affectionnent particulièrement.

Le terme « face-à-face », « confrontation » (T. ngo sprod) prend ici son véritable sens, mais dans cette méthode, le rôle du médiateur semble moins importante, ou du moins moins présente. Notez la présence de terminologie affectée par Maitrīpa.  
Le texte-racine poursuit en introduisant un terme que l'on retrouve dans le Dzogchen (mais pas uniquement !) :

L’auteur du commentaire (Pelliot 699) multiplie les références Dzogchen. Il fait référence à des maîtres de l’Atiyoga, compare l’approche simultanée à l’envol du garuḍa... et écrit dans une note (mchan ‘grel)  que « les transformations [mentales] s’équilibrent dans [la syllabe] A[13]   
Sam van Schaik et Jacob Dalton, chercheurs auprès du British Library, ont publié un article sur ces deux manuscrits (« Where Chan and Tantra meet ». En comparant les caractéristiques de l’écriture des différents scribes, ils ont conclu que le rédacteur de ces deux manuscrits était également celui des manuscrits Pelliot 626, 634 et probablement 808. Puisque le contenu des trois documents 699, 626 et 634 est similaire, ils ont décidé de mettre ses trois textes en regard. Le commentaire (699) peut être lu comme un simple commentaire Ch’an, mais mis en regard avec les deux autres textes, qui comportent davantage d’éléments Mahāyoga (les trois samādhi, la syllabe A comme support de méditation…), certaines références du 699 pourraient être interprétées dans ce sens. D’autant plus que la fin du commentaire contient une citation du texte mahāyoguique Questions et réponses de Vajrasattva (T. rdo rje sems dpa’i zhus lan), ce qui fait dire aux auteurs de l’article que le texte Ch’an d’origine était peut être destiné à la communauté de Mahāyoga. Restent ouvertes les questions sur le pourquoi d’une telle entreprise.
Pour revenir sur la syllabe A, des notes dans les manuscrits PT626 et PT634, nous apprennent qu’elle désigne la conscience pure et représente la transition de la luminosité générale de l’absorption qui illumine tout à la visualisation détaillée de l’absorption causale. La syllabe A (ou Oṃ) seiat utilisée souvent comme la visualisation initiale de l’absorption causale dans les manuscrits de Dunhuang. Van Schaik et Dalton écrivent que l’auteur de PT699 ne suggère cependant pas que le pratiquant continue ensuite avec les visualisations tantriques. Cela serait aller trop loin, mais ils insistent que le commentaire veut quand même être un pont de plus vers le monde du mahāyoga.
Ce que j’aimerais déduire de tout cela est qu’il y a un lien évident entre l’approche Dhyāna et le Dzogchen primitif. Ce lien est l’approche simultanée, qui consiste à tourner le regard vers l’esprit (T. sems la blta ba), ce qui conduit à la non discursivité (S. avikalpa). L’expérience de la non discursivité doit ensuite être traduite ou transposée en l’expérience ordinaire (qui doit embellir, orner, animer.. l’expérience de l’absorption de télléité, de bhzin nyid kyi ting nge ‘dzin). Pour cela, le Mahāyoga et donc le Dzogchen utilisera les visualisations tantriques, mais l’approche simultanée du Dhyāna n’ira pas plus loin que la syllabe A, inhérente à toutes les autres syllabes. De toute façon, c’est là que la frontière fut tirée.
Par la suite, le Dzogchen et d’ailleurs toutes les autres traditions tibétaines se sont débarassés de toutes les traces trop emblématiques de la tradition Dhyāna, ce qui ne veut pas dire qu’elles se sont purgées des méthodes associées"


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