C’est quand voulant anticiper l’endroit où je rangerai La Survivance dans ma bibliothèque passablement surchargée que j’ai retrouvé un autre ouvrage de Claudie Hunziger, Bambois la vie verte. Une édition de 1973, date de sa sortie, qui m’a ramené quarante ans en arrière ! Mais le plus beau était à venir car les deux livres entrent eux-mêmes en résonance, le second reprenant l’histoire du premier quatre décades plus tard. C’est ce genre d’incident qui rend la vie des amoureux de la lecture, plus belle encore.
Bambois, la vie verte n’était pas un roman mais plutôt un récit ou un journal retraçant le parcours d’un jeune couple parti s’installer dans une ferme des Vosges pour y élever des moutons et se lancer dans le tissage. Un texte très écolo et représentatif de cette époque où de jeunes citadins partaient dans le Larzac vivre leurs rêves de hippies.
La Survivance qui vient de paraître, s’inscrit dans la même démarche, sauf que nos héros Jenny et Sils ne sont plus un couple de jeunots, mais des adultes d’une soixantaine d’années, obligés de se séparer de leur logement et de leur librairie en faillite. Acculés, mais habitués toute leur vie à la dèche, ils trouvent refuge dans une baraque en ruines perdue dans le massif du Brézouard dans les Vosges. Ni eau ni électricité, à peine un chemin pour y accéder, ils s’y installent secrètement car si le terrain leur appartient, il n’est pas permis d’y habiter.
Avec Avanie l’ânesse (dans Bambois elle se nommait Utopie) et Betty la chienne, ils vont construire une mini-communauté post-soixante-huitarde, « Nous sommes nés pour ne rien posséder », constituée de deux êtres humains exclusivement. Refaire le toit quasi inexistant à leur arrivée, couper du bois en prévision de l’hiver particulièrement rude à cette altitude dans cette région, planter un petit potager, le retour à la terre n’est pas une sinécure.
Si les corps souffrent, l’âge ne facilitant pas les choses, l’esprit reste vif et vaillant, entretenu par ces piles de livres qui constituent l’essentiel de leur avoir et envahissant leur demeure. Le soir, épuisés du travail manuel de la journée (elle surtout !), s’éclairant à la bougie ils lisent et se lisent des extraits des bouquins qui sont leur principale raison de vivre.
Nos deux ermites ne se contentent pas de regarder pousser leurs carottes ou d’étudier le comportement d’une harde de cerfs, ce qui nous donne de belles pages à lire néanmoins, mais ils sont très cultivés et leurs discussions savantes autour des pigments utilisés par le peintre Grünewald ou la pensée de Maître Eckhart nous laissent un peu sur le bord du chemin parfois.
Claudie Hunzinger réussit un bien beau livre, sans intrigue haletante, sans révélations fracassantes, sans bruit finalement, mais qui nous parle de l’essentiel, la liberté qui rime souvent avec difficulté, la vie simple qui n’exempte pas des peines, la nature à laquelle nous sommes tous redevables même ceux qui ne l’ont pas encore compris et enfin, pour ceux qui connaissent ce secret si riche de joies, les livres et leurs univers sans limite.
« Pour l’évasion, il avait un carton spécial : celui des romans qu’il pouvait relire chaque année avec le même plaisir, dont Le Hussard sur le toit, un de ses préférés. Il adorait les romans, ça le changeait de ses études. Quand il lisait, il s’y croyait. Il était ailleurs, il survolaitla Terre. Il lui avait déjà dit adieu. Il m’avait annoncé, parce qu’il était sans surcharge, détaché : Il faut vivre comme si on allait jamais mourir tout en vivant comme si on était déjà mort. »