Voyez y aussi une réflexion sur ce que nous prenons tous soin d'éviter du mieux que nous pouvons tant que nous le pouvons : la mort.
Elle était ma mémé Hélène. Je l'ai toujours appelé mémé. Il y avait Mémé et Pépé du côté de mon papa et Papi et Mamie du côté de ma maman. Il y a toujours Mamie.Mémé Hélène, née le 5 Février 1921. Décédée le 7 Octobre 2012. 91 ans.Ma mémé Hélène avait 6 frères et soeurs. Elle était la 3ème de la fratrie. Elle vivait dans la Sarthe. Elle a connu la guerre. Elle a connu la misère. Elle a perdu son père à l'âge de 9 ans. Après l'école obligatoire elle est montée à Paris pour être bonne. Mémé a vécu à la dure. Elle était brillante et aurait beaucoup aimé faire des études. Mais à l'époque, il fallait surtout penser à survivre. Alors les études ...Elle marchait des kilomètres en sabots remplis de paille et a connu l'alimentation précaire à base de pain et de fromage blanc, le rationnement ...Elle nous racontait ça quand nous étions enfants. Pour nous ça semblait d'un autre temps, d'une autre époque ! Ma mémé Hélène qui nous faisait des tartines beurrées saupoudrées de Benco ou des tartines de rillettes quand les voisins d'en face nous faisaient saliver avec les leurs.Ma mémé Hélène et mon Pépé Charles. Pépé Charles est parti 10 ans plus tôt. Dès lors, Mémé n'a plus trop eu envie de s'accrocher à la vie... Elle l'aimait tant. Ils s'aimaient tant.Mon pépé Charles, engagé à 16 ans comme Mousse sur la Jeanne d'Arc (la vraie l'unique)qui a fini au plus haut grade qu'il pouvait être permis d'avoir. 2 Tours du monde, la guerre d'Indochine, c'était un sacré bel homme ! Et bon vivant avec ça. Alsacien... donc autant dire que lorsque nous étions chez eux, les repas se devaient de prendre des allures festives et gourmandes ! Avec mon pépé quand on se resservait 2x à table c'est qu'on était bien du même sang, et il aimait ça :) Quand j'étais petite et que nous passions des vacances chez eux, on se levait le matin vers 9h. Ils étaient déjà debout depuis l'aube et quand nous descendions l'escalier qui grinçait, ils étaient déjà tous les deux dans la cuisine, la radio en marche, l'odeur du café chaud se mêlant à l'odeur du repas du midi qui se préparait déjà...Nos bols de chocolat chaud, nos cracottes, biscottes, et surtout le BENCO ! C'était LE chocolat des cousins et cousines. Et toujours de la confiture maison. Quand on descendait à la cave c'était la caverne d'Ali Baba. Des conserves de tout. D'ailleurs, pas un de ses fils ne repartait sans un énorme cageot de victuailles à la fin de chaque séjour. Une fois qu'on avait pris notre petit déjeuner, fait notre toilette, on descendait la rejoindre au potager. Inspection. Il fallait faire le point avec mémé sur tout ce qui était planté et qui poussait. Au passage on allait nourrir Caroline la tortue. Une tortue qui selon la légende familiale était sûrement déjà centenaire. Et puis les tourterelles aussi. Mémé avait une volière. Quand il y en avait trop elle en tuait. Hop', d'un coup entre le pouce et l'index... Je ne l'ai jamais vu faire....Et puis les lapins dans les clapiers. Des lapins qu'on retrouvait souvent en rillettes des mois plus tard !Ma mémé faisait des super bonnes rillettes !Donc tournée du potager... ça me fascinait enfant. Les tomates, les haricots, l'oseille, les framboises, les fraises, les mûres,... c'était un énorme boulot mine de rien.Après le repas, Mémé et Pépé passaient au salon télé. En général, Pépé s'endormait devant les émissions, Mémé tricotait mais s'endormait très vite aussi. Et nous on s’éclipsait pour les laisser tranquilles se reposer.Mémé, c'était la reine du tricot et de la couture. J'ai encore un petit manteau qu'elle m'avait fabriqué à partir d'un pantalon en toile de laine de la marine de mon grand père. Elle nous a rapiécé des centaines de jeans. Pas une cousine ou cousin n'a pas eu son jean sauvé par Mémé. Elle nous tricotait des pulls. On choisissait le modèle, la laine, la couleur, et hop, quelques mois plus tard on revenait et on avait un beau pull!Bon. Le seul hic c'est que sur la fin, Mémé ne nous voyait pas grandir donc les pulls devenaient un peu ajustés et moulants. Et puis la laine grattait un peu trop !Quand c'était l'heure de partir, quand nous étions un peu plus grand, elle nous donnait parfois un chèque. Il ne fallait surtout pas discuter. C'était comme ça. Pas un anniversaire sans une jolie carte et un gentil mot, avec un chèque, toujours. Ils étaient d'une grande générosité, attentionnés, toujours égaux avec tous. Ils ne s'achetaient rien pour eux. Ils économisaient sou après sou pour leurs enfants et petits enfants, pour l'avenir.Tous les soirs nous avions une soupe de légumes. Petits nous avions en plus des pâtes alphabets dedans. On adorait ça !C'est fou comme ces souvenirs restent intacts. Je me souviens aussi des sorties avec mon Pépé. Le matin tôt ça arrivait que je l'accompagne aux promenades des chiens. On prenait des petits chemins, il me montrait plein de choses, on rigolait. Et puis on partait au Codec en ville avec les bouteilles à consignes pour faire des petites courses. Mais il y avait toujours la sortie hebdomadaire à Leclerc. Là, attention top organisation.Mémé enfilait sa perruque, ses chaussures de ville, ses lunettes, sa liste de courses et embêtait pépé tout le long du trajet en voiture car elle avait très peur en voiture...Et là je me dis que pour une fille qu'on surnomme souvent Doris (le poisson bleu sans mémoire dans Nemo), je me souviens de plus en plus de plein de détails, de scènes...j'ai leur voix encore intactes... Je veux me souvenir de cela. Ma mémé Hélène qui faisait ses quiches lorraines comme personne, qui étalait la pâte avec une vieille bouteille en verre poli, qui veillait quand j'y pense à ce qu'on ne manque jamais de rien, qu'on soit bien chez eux.J'essaie de ne pas trop penser au choc que j'ai eu il y a 3 ans de la voir déjà absente, qui ne me reconnaissait plus, qui était comme une petite fille. J'essaie de ne pas trop penser à la douleur encore vive que j'ai ressenti en la voyant morte dans son cercueil hier, à ce besoin que j'ai eu d'embrasser son front glacé pour lui dire au revoir. Ma petite mémé à la vie bien remplie, qui est partie rejoindre mon pépé Charles à 91 ans et demi.Pourquoi, pourquoi la mort fait elle forcément partie de la vie? Pourquoi doit-on se faire à l'idée que l'on perd toujours à un moment donné les gens que l'on aime? Pourquoi faire face à la mort aussi crue nous rappelle tant qu'il ne faut pas oublier de vivre? La mort. Cette chose inéluctable. La mort. Cette chose qui survient toujours par surprise même quand on se prépare. La mort qui déchire l'âme, qui arrache le coeur de ceux qui restent, qui crée un vide, un manque indescriptible pour ceux qui restent... et qui rappelle que ceux qui restent seront les prochains à un moment ou à un autre.Je ne comprends toujours pas le sens de la vie car je ne comprends pas le sens de la mort. Je ne comprends pas la cruauté de la mort, son aspect irréversible et encore moins la souffrance parfois qui l'accompagne...Peut être un jour je réussirai à accepter. Peut être un jour la grande faucheuse me fera moins peur. Pour l'instant, même si j'ai bien intégré le fait que c'était inévitable, je trouve toujours cela déchirant.Tu es toujours là pour moi ma petite mémé ... je crois que j'aurai toujours du mal à parler de toi au passé. Tu as été une super mémé et quand on me dit que je te ressembles, je suis drôlement fière. Je t'aime fort, pour toujours.