Librement inspiré de l’affaire Geneviève Lhermitte (pour rappel, la mère nivelloise qui a tué ses cinq enfants, avant de rater son suicide en 2007), A perdre la raison pose la question du pourquoi de l’infanticide, ou plutôt du comment. Le sujet est délicat, non seulement par son propos mais surtout parce qu’il surfe sur la vague d’un fait divers récent. Cela lui a d’ailleurs été suffisamment reproché.
Pourtant, Joachim Lafosse le répète, c’est une fiction. La réalité ne l’intéresse que dans la mesure où elle peut fournir des mythes adaptables sur grand écran. En entendant relater le quintuple infanticide dans sa voiture, alors qu’il venait d’apprendre qu’il était papa, le réalisateur a senti qu’il y avait des leçons d’humanité à en tirer. Le contre-coup de l’affaire Lhermitte est tel que l’opinion publique crie au monstre, avant que le procès ne mette en lumière la possible responsabilité du Docteur et du mari (thèse cependant non suivie par le jury). Déjà à l’époque, Lafosse s’intéresse à cette femme et veut en faire son personnage. Il lui faudra plusieurs années pour mettre au point avec ses coscénaristes un scénario qui puisse passer en salle. Une première version chargeant plus le Docteur sera, par exemple, atténuée.
En ressort donc un film terriblement humain, qui montre à voir la chute lente et douloureuse d’une femme meurtrie par son environnement, au point que les meurtrissures ne peuvent trouver d’apaisement que dans le meurtre. Là réside toute la finesse de Joachim Lafosse : accompagner d’une caméra discrète la décomposition dépressive d’une mère paumée. Et le réalisateur est servi par un jeu d’acteur sublime, Emilie Dequenne en tête, qui campe un déclin hors du commun. Comme dans Rosetta, il y a dix ans de cela, la performance est magistrale et lui a d’ailleurs valu le Prix de la Meilleure Actrice dans la catégorie Un Certain Regard du Festival de Cannes. Tourner avec ses compatriotes lui réussit plutôt bien.
On y croit. On sourit au bonheur du jeune couple, à la générosité du Docteur, à la première naissance. Puis, on est dérangé par le piège qui se referme, par les compromis pervers qui s’instaurent, par le mal-être de Murielle. Au point que la fin atroce (sublimée par le hors champ) s’impose au spectateur. Et c’est peut-être le plus déstabilisant et en même temps la plus grande preuve de la maîtrise du réalisateur.
Pari réussi donc, mise en scène efficace, montage elliptique, musique qui prend aux tripes, particulièrement le Mentre io Godo in dolce oblio de Scarlatti, leitmotiv fabuleusement infernal.
Une belle leçon de cinéma belge. Si vous n’avez pas peur de l’émotion, n’hésitez donc pas.
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