Lors du synode sur la « nouvelle évangélisation », Benoît XVI a reconnu, avec un ton bien décidé, combien « la tiédeur discrédite le christianisme » ; devant « le tsunami de la sécularisation » qui ensevelit les églises-musées d’Occident converties en parcs d’attraction pour adultes, Michel-Marie Zanotti-Sorkine, prêtre de la paroisse Saint-Vincent de Paul à Marseille, publie un brûlot galant et racé, Au diable la tiédeur, véritable prière de feu en faveur d’une restauration du christianisme où la mystique, la soulevante, gagne le quotidien et son extra-ordinaire banalité, en se libérant du carcan théologico-littéraire dans lequel elle semblait jusqu’ici renfermée.
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Non, la mystique n’a rien d’une abstraction intellectuelle poussiéreuse et n’appartient pas à une quelconque élite. D’abord exigence du chrétien, elle est en réalité voulue pour tous, pour toutes, au point que « la pudeur renaît chez la catin la plus éhontée lorsqu’elle se met à aimer sans frime une canaille d’homme » (p.142). Médiateur et ramasseur d’âmes, le prêtre a pour mission de rappeler le sens de la vraie joie en sa simple présence. Comme une main tendue ou un baiser volé, la soutane s’inscrit dans cette logique de la « graine » à planter dans la modernité, celle qui crève d’absurde en implorant son pain de vie.
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Il n’y a pas à passer par quatre chemins, il faut plonger, un point c’est tout. Etre des fous de Dieu. A la franciscaine.
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Dans Mystique de la chair, si Fabrice Hadjadj prenait le parti d’écrire que, loin d’être un opium, la foi est « un rude coup de pied au cul », Au diable la tiédeur s’associe tout à fait à cette généreuse colère , cette « trempe » adversaire du « cool » et du Sacro-Saint Confort.
Oui, en notre tyrannie de la langueur, il faut saluer ce virulent essai comme une authentique bénédiction. Avec une intrépide désinvolture, l’auteur d’Homme et prêtre, Cette nuit, l’éternité (son chef-d’œuvre) ou de Marie, mon secret, rejoint la grâce des poètes-soldats qui entendent
« faire descendre le beau, le vrai, à l’intérieur de l’homme, jusque dans ses viscères » (entretien au Figaro)
Le lecteur est amené à goûter à la sensibilité franciscaine chez ce fada de Saint Maximilien Kolbe, pris d’horreur devant les « réunions », tel un souvenir de Saint François, l’inventeur de la « sainte simplicité », laquelle reculait devant le sens des ordres pour ne conserver que la substantifique moelle, un traité de l’essentiel : la forme-de-vie. On comprend mieux ainsi son souci de la forme : « C’est par la forme que l’on accède au fond qu’elle révèle » (p.77).
Ne pas se faire beau, mais être beau.
Oui, il y a un je ne sais quoi du Chartreux dans cette prière vivante, à la fois « anarchiste » et « en ordre », disciplinant sa présence pour les autres.
Cette pudeur qui reconnaît ses faiblesses sans jamais s’y complaire n’a rien du prudent puritanisme qui gagne les cerveaux catholiques. Ne scandaliser personne, surtout pas ! Ne rien oser, éternels chicaneurs.
Dans Comizi d’amore, Pier Paolo Pasolini admettait, avec une brillance de mystique : « Il n’y a que les pharisiens qui se scandalisent. » ; c’est pourquoi Zanotti-Sorkine écrit en chantant une « juste ivresse » afin de secouer « le vrai jusqu’au bout des ongles » (p.145)
Toutefois, que l’on s’entende bien : rien à voir avec de la moraline – il est ici question de vie. Rien de l’humanisme naïf mais examen de l’homme jusque dans ses entrailles, jusqu’aux plaies s’il le faut.
Ici, rien de l’indignation laïque, mais exaspération, ce qui revient à faire jaillir l’aspérité des choses, avec un bout de tendresse, de sensibilité, d’excellence. De l’amour en éclats, en veux-tu, en voilà.
Alors, oui, « pas de doute », une telle lectio divina est digne de nous labourer l’âme, en vue de nous nourrir du Christ ; décidémenti, cette année de la foi sera placée sous le signe du « rude coup de pied au cul ».
Qu’importe l’épreuve pourvu qu’on ait le panache.
Que ce dingue du Christ en soit aimé. Avec scandale, s’il le faut.
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Son site internet où l’on peut découvrir ses homélies : http://www.delamoureneclats.fr/