Avec ce livre fort et complexe, Sylvie Fabre G. tente la
très difficile épreuve d’écrire sur ou plutôt à partir (mais est-ce même cela)
de la mort d’un tout proche, son frère, Jean-Louis, dont on comprend au cours des
pages qu’il s’est suicidé et qu’il avait ce qu’on appelle pudiquement un
problème d’alcool.
Comment dire le chagrin, comment dire l’infini et taraudant questionnement de
cette mort-là ? C’est tout l’enjeu de ce livre qui me semble marquer une
rupture ou une évolution dans l’écriture de Sylvie Fabre G. en ce sens qu’elle
est confrontée plus avant encore à l’impossibilité de dire et surtout qu’elle semble
sans recours alors que dans ses livres précédents l’espoir, de nature spirituel,
infusait tout le texte.
Le recueil au demeurant est fait de deux ensembles, ce nouveau livre, Frère humain et L’Autre Lumière, une réédition d’un texte de 1995, paru alors aux
Éditions Unes et épuisé. Ce sont vraiment deux mondes qui semblent
presqu’opposés à la manière de ce que j’écrivais à l’instant. L’autre lumière d’un côté et Frère humain de l’autre, frère humain
qui fait mordre la poussière aux certitudes même fragiles, qui remet en cause
l’équilibre et celui de la langue en premier lieu.
Langue perdue mais aussi langue ressassante, celle qui serait, si l’on suit
l’un des deux exergues du livre, une voix
– sans personne (Tardieu).
Et ce que cherchant cette voix, cette présence disparue, Sylvie Fabre G. trouve
en premier lieu et de façon récurrente, c’est l’enfant blond que fut son frère : « elle cherche le mot
/ le trouve sur la page, prodigieux / tant de blond allié à tant d’air (p. 19)
mais dès la chute de ce premier texte on sait de quoi il en retourne :
« sa parole n’est que rais ///// de poussière ».
Il semble bien y avoir des mots « poudre fragile [mais sont-ils] sursis ou
rien » (p. 22) ; car « ils ne font pas l’œil / bleu, ils restent
à la pente / où tout floconne, s’ennuage ».
Sursis on ne sait, mais illusion non. Tout l’enjeu des poèmes et tout le drame
du livre est là : tenter de remonter au jour des mots pour former une
sorte de corps d’absence, par la langue. « Le futur de la main qui
lâche », la « parole rompue ». Le livre dit bien le resurgissement
permanent de la douleur et des images, de la présence absente : « La
pensée va, et vient à ce qui revient / entre l’en-haut et l’en bas trouve / le
corps, le nom, l’humain / tant d’invisible que les mots / ne pèsent pas plus
que les nuages de neige » alors que « vivre et écrire ont en
contrepoint mourir » (p. 31).
Vient une seconde partie au titre énigmatique : « Quelle parole n’est
pas voix d’extinction » : il semble que Sylvie Fabre G approche ici
davantage l’homme adulte que fut son « frère humain / Mort de
mélancolie ». Et toujours l’oscillation, presque diastole/systole entre
une tentative de dialogue, via un tu,
des questions au disparu et les constats brutaux : « le poème telle
l’urne / s’ouvre et se ferme / n’attrape rien. » (p. 40).
Puis le cycle du livre, du deuil peut-être s’achève avec une troisième partie,
brève, « Neige la mort », la neige, un thème qui court dans tout le
livre : échec sans doute de la tentative de dire, mais échec partiel car
les mots ont réussi à dresser aux yeux du monde un frêle
« tombeau » pour Jean-Louis : « la neige recouvre les mots
/// d’une neige l’autre/garder au mort sa voix en bas // la délivrance / n’est
pas dans le poème ».
[Florence Trocmé]
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