Les opérateurs téléphoniques "historiques" ont des difficultés à s'aligner avec Free dans leur structure de coûts et cherchent la protection de l’État. Pour le gouvernement, il faut donc choisir : favoriser les consommateurs ou favoriser les opérateurs et leurs salariés.
Par Baptiste Créteur.
Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et Fleur Pellerin, ministre déléguée au Numérique, veulent « permettre aux quatre opérateurs de vivre ».
Après avoir été longtemps protégés par l'État, les opérateurs téléphoniques font enfin face à une concurrence d'un nouvel entrant. C'est une aubaine pour les consommateurs, mais les opérateurs vont être obligés de revoir un modèle économique que les barrières étatiques à l'entrée ont longtemps empêché d'évoluer. Sous couvert de protéger aujourd'hui l'emploi, demain l'innovation et plus tard les ours polaires ou les paysages de France, le gouvernement entend bien "protéger" les Français ; mais il lui faudra choisir entre les marges des opérateurs et l'emploi en France ou à l'étranger d'un côté, le pouvoir d'achat des consommateurs de l'autre.
Pour ceux qui se demandent encore comment tout cela va finir : à la fin, le marché gagne toujours.
Il y a quelques mois, un nouvel acteur est entré sur le marché français de la téléphonie mobile : Free. Avec des prix plus avantageux que ses concurrents, le nouvel entrant a permis aux Français de communiquer plus pour moins cher. Free compterait 3,6 millions de clients, alors que ses concurrents, qui se sont longtemps partagé le marché, ont perdu au total 1,1 millions d'abonnés ; 2,5 millions de Français ont donc souscrit une ligne pour la première fois ou une ligne additionnelle sans pour autant résilier leur abonnement ailleurs. L'arrivée du nouvel entrant est donc une bonne nouvelle pour les consommateurs, c'est-à-dire pour les Français.
Les opérateurs "historiques", longtemps protégés par l’État de l'arrivée d'un concurrent, ont des difficultés à s'aligner avec Free dans leur structure de coûts, et cherchent la protection du gouvernement :
Si le nouveau gouvernement ne remet pas en cause le bien-fondé de l'arrivée d'un quatrième opérateur, jugée favorable à la concurrence et bénéfique au consommateur, il estime en revanche que les conditions de son arrivée ont été «totalement mal pensées» par le gouvernement précédent. Il pointe notamment l'absence de toute étude d'impact sur les conséquences en matière d'emploi.
Pour le gouvernement, il faut donc choisir : favoriser les consommateurs ou favoriser les opérateurs et leurs salariés. Plutôt que s'abstenir de toute intervention et laisser faire le marché, le gouvernement veut permettre aux anciens opérateurs de maintenir leur modèle économique inefficient :
L'arrivée de Free Mobile a bouleversé le secteur. Le gouvernement va présenter d'ici à quinze jours ses mesures pour « permettre aux quatre opérateurs de vivre ». Mais la marge de manœuvre est étroite.
En arrivant à Bercy, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et Fleur Pellerin, ministre déléguée au Numérique, ont trouvé un secteur des télécoms mis à feu et à sang par l'arrivée de Free Mobile, qui oblige tous les opérateurs à revoir leur modèle économique.
Il s'agit pour le gouvernement de jongler entre l'impact pour les consommateurs et "les conséquences [de l'arrivée de Free] en matière d'emploi."
Et la jonglerie se complique quand on veut protéger l'emploi partout dans le monde :
Enfin, sur les centres d'appels que le gouvernement avait souhaité un temps rapatrier en France, le gouvernement pourrait bien être contraint de faire marche arrière. Difficile en effet, d'un point de vue diplomatique, d'expliquer au Maroc et à la Tunisie, pour qui les centres d'appels sont la deuxième activité après le tourisme, que l'on met toute une partie de leur population diplômée au chômage.
Ce qui est difficile, ce n'est pas de leur expliquer qu'une partie de leur population serait mise au chômage par le rapatriement des centres d'appel, mais de leur expliquer que ce rapatriement n'est pas le résultat d'un calcul économique des entreprises concernées mais d'un calcul politique de ceux qui veulent dicter leur conduite aux opérateurs après les avoir longtemps choyés.
Ne blâmons pas les femmes et hommes politiques ; l'avenir le fera pour nous, et cela pourrait les déséquilibrer, occupés qu'ils sont à jongler avec le pouvoir d'achat des Français, l'emploi en France, l'emploi au Maroc, l'emploi en Tunisie, les profits des opérateurs, leurs perspectives de réélection et je ne sais quoi d'autre encore.
En revanche, ces sympathiques dirigeants d'opérateurs téléphoniques, qui ont maintenu de très proches relations avec la classe politique pour préserver des marges confortables, auraient pu gagner en compétitivité s'ils avaient accepté les règles de la concurrence. À la fin, le marché gagne toujours : il est l'expression des choix des individus, bien plus fréquente et représentative que le scrutin démocratique. Si vous ne laissez pas le marché décider, vous acceptez de faire reposer votre succès non pas sur la préférence des individus pour le(s) plus compétent(s) d'entre vous sur les critères qu'ils jugeront pertinents (prix, qualité du réseau, innovation…) et votre capacité à vous adapter pour les satisfaire, mais sur la capacité que vous aurez à obtenir le soutien des gouvernements successifs dont les préoccupations sont les leurs et celles de leur électorat, et devrez quoi qu'il advienne vous adapter in fine aux exigences des consommateurs.
La question est donc de savoir si le gouvernement va choisir de laisser le marché décider, c'est-à-dire laisser les individus décider de ce qui est le mieux pour eux, permettant ainsi aux opérateurs d'évoluer - sans doute dans la douleur, car ils ont perdu l'habitude de la concurrence – ou décider, lui, avec ses gros sabots bleu-blanc-rouge fraîchement repeints, retardant des évolutions inéluctables et d'autant plus douloureuses qu'elles seront tardives.
La réponse paraît connue d'avance, au même titre que l'issue ; nous assisterons donc au spectacle pathétique d'un gouvernement ramant dans des sens divers avant de s'apercevoir que le vent du marché souffle trop fort et qu'il aurait pu, avant de lâcher prise, éviter de se fatiguer pour rien et de faire perdre sa course au radeau France.