J’étais assis, le cul vissé sur une chaise inconfortable. Je ne parvenais pas à trouver ma place. Je ne trouvais pas de position qui me convienne vraiment parfaitement. Je n’étais pas à l’aise. J’avais la désagréable sensation que mon corps se refusait à rester assis une heure de plus. Pire même, je l’entendais très bien m’ordonner de me lever séance tenante et de bouger mon cul loin de cette entreprise machiavélique. Je restais assis malgré tout. C’est juste que j’avais perdu l’habitude de rester aussi longtemps immobile. Surement aussi que j’aimais de moins en moins me retrouver forcé de sociabiliser avec des personnes dont je n’avais strictement rien à carrer. Je n’aimais vraiment pas être forcé de faire cela. Se faire des politesses simplement pour ne pas se foutre sur la gueule dans l’heure qui suivait. J’aime parfois me faire détester lors des premiers contacts que j’ai avec de nouvelles personnes. Bon, la plupart du temps je me contente de faire douter mon interlocuteur jusqu’à ce qu’il ne sache plus si je suis sérieux ou si je ne le suis pas. Comme pour le tester. J’adore ça ! Il y a comme une sorte de tri sélectif qui s’opère. Les plus couillus des salauds s’y sont cassé les dents. Et m’ont cassé une des miennes après cela.
J’écoutais la voix trainante du maitre de conférence, amplifiée par un micro, se répercuter sur les parois de l’amphithéâtre. Je m’évertuais à m’y intéresser le plus fort possible mais au fond j’avais juste envie de lui crier de fermer sa bouche qui d’ailleurs, me rappelait étrangement celle de Steven Tyler en un peu moins salope quand même. Je croisais les bras. Je les décroisais. Je posais mon poing gauche contre mon menton comme pour soutenir ma tête devenu trop lourde à force de remplissage universitaire. Je posais mes mains sur mes cuisses et y jouait des percussions en composant un riff de guitare dans ma tête qui irait bien dessus. Je les posais ensuite sur la table, et levais juste ma main droite, suffisamment au-dessus de la table pour pouvoir faire tourner mon stylo autour de mon pouce comme tout batteur qui se respecte. Je ne savais pas quoi faire de mes mains, ni de ma vie d’ailleurs. Je me demandais si je ne devrais pas écrire un petit poème là-dessus. Je me trouvais effectivement dans le cours le plus ennuyeux, voire le plus horrible du monde, où la vie de l’homme en société n’était réduite qu’à une avalanche de statistiques et de pensées soi-disant empiriques, par laquelle je craignais d’être prochainement enseveli si je ne me reprenais pas au plus vite.
Et je transpirais beaucoup. C’était surement les deux litres de bières que j’avais éclusés avant de me rendre au cours, histoire de pouvoir tenir mon stylo et d’écrire sans inscrire des vagues incontrôlées sur mon bloc-notes que mes mains enmoitaient. Je transpirais mais je m’y étais habitué depuis le temps. Je savais que pour cacher le noir humide sur mon t-shirt pourtant noir et sec il y a deux heures, je me devais de garder ma petite veste en laine. Quitte à transpirer encore plus en dedans ; mais au moins personne ne le verrait. Je cachais donc, et j’avoue que je ne sais pas moi-même vraiment pourquoi, l’amour inconditionnel que je portais à toutes sortes d’alcool. Moi qui d’habitude, n’avais strictement rien à foutre de ce que pouvaient penser de moi les gens qui m’entouraient. J’essayais de maintenir, malgré moi, ce semblant de lien social qui devait m’unir à la plupart des personnes présente ici pour les trois ans à venir.
Mais qu’est que je foutais là bordel ? Cette question, je ne parvenais pas à la sortir de ma tête…
La littérature m’intéressait pourtant bien plus que la sociologie, science obligatoirement objective. Moi qui tenait tant à cette subjectivité qui faisait le propre de la bonne littérature et celle de l’être humain, semblant me conforter dans l’idée que nous étions autre chose que des putains de robots préprogrammés incapables de sentiments. Le sociologue se doit pourtant d’être neutre dans ses observations comme dans ses écrits. Sa subjectivité, il la garde au chaud pour l’intimité d’une douce soirée privée dans sa salle à manger ou sur son canapé. Néanmoins j’avais choisi cette voie. Comme pour tenter de comprendre les mécanismes qui régissaient ce monde en train de partir en couilles dans tous les sens. Dans tous les cas je suis sûr, qu’étudier la littérature à l’université m’en aurait dégouté à jamais. Sans parler des débouchés auxquels conduit cette voie. Et dire que Victor Hugo n’a jamais eu son bac’… Mais aller essayer d’expliquer cela aux personnes « normales » qui prétendent se faire du souci pour vous. Si elle s’en faisait vraiment, elle comprendrait que c’est l’unique échappatoire possible pour vous…L’unique rédemption si jamais elle était possible…Si j’utilise le terme « normales » c’est que j’ai appris récemment que j’appartenais à une autre catégorie : celle des déviants. En partant de ce simple postulat, ne devrais-je simplement pas abdiquer de suite et les envoyer se faire foutre, eux, leurs statistiques, leurs concepts masturbatoires à la con ainsi que tout le reste ?
Il y avait du positif. J’apprenais tout de même plusieurs choses que je n’avais pas découvertes au cours de mes lectures personnelles. J’avais, c’est un fait établi, aussi sur que la Terre tourne autour du soleil, toujours préféré apprendre par moi-même. Depuis toujours. Surement parce que je ne ressentais alors aucune des contraintes et des pressions évaluées mais aussi parce que j’étais libre alors, de forger mon esprit seul, et de la manière qui me convenait. Malgré tout, il y avait certaines choses dont mon intellect était friand. Et putain ! Il a toujours les crocs celui-là ! Malgré cela, je pensais tout de même que le gain était vraiment trop peu comparé au préjudice subi… Qu’est qui n’allait pas chez moi ?
Je me donnais tout de même une chance de réussir et de construire un semblant d’avenir. « Hahaha !! En sciences humaines ? Autant t’inscrire directement au pôle emploi » me dit un ami quelque peu indélicat mais néanmoins réaliste.
Mais qu’est que je pouvais faire d’autre ?
J’étais dans une situation relativement critique. Comment espérer trouver la force nécessaire pour écrire, étudier, se cultiver, travailler, rire, planer un coup et jouer de la musique avec Los Bolos dans leur local ou ailleurs, maintenir un lien social le plus fort possible avec les seules personnes qui m’aient jamais accepté tel que je suis, avoir un maximum de vie sexuelle, gérer le loyer, les factures et autres imprimés administratifs tortueux et kafkaïens. J’admirais vraiment mes parents sur ces trois derniers points. Moi qui avais déjà du mal à rester en vie… C’était trop pour être aussi sensible que moi. Si je devais vraiment haïr quelque chose en ce bas-monde, il est certain que l’administration en général, tiendrait une bonne place dans le classement. Quelle horreur de devoir faire la queue pendant des heures, se faire renvoyer d’un service l’autre, juste pour s’entendre dire que « Désolé monsieur mais si vous avez le statut étudiant, on ne peut rien faire pour vous ». Et alors je fais quoi connasse ? me retins-je de répliquer à la grosse femme à lunettes derrière son bureau qui m’offrit une superbe vue sur son cul adipeux moulé dans un legging qu’une femme digne de ce nom n’aurait pas osé porter. J’étais pénalisé parce que j’essayais de faire autre chose de ma vie que d’aller récurer la merde humaine dans les conduits de la ville. Je n’avais pas non plus droit au RSA en tant qu’étudiant et je ne parle même pas du chômage. Je n’avais pas du travaillé officiellement depuis au moins trois ans. Et quel temps avais-je pour moi dans l’équation ? Nietzsche a dit très justement que celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour lui-même est un esclave. Est-ce vraiment encore possible d’en avoir ne serait-ce rien qu’un tiers de nos jours ? Bien sûr que non ! Nous sommes tous des esclaves. Je choisis donc, par un instinct de survie que je ne me connaissais pas jusqu’alors, d’abandonner le cours à peine repris de mes études afin de subvenir à mes besoins.
Trois choix s’offraient maintenant à moi : La clochardisation, la prison, ou le suicide…
Je choisis d’abord la clochardisation. Tout simplement car c’était la voie la plus évidente. Et surement aussi car ça avait ce petit côté bohème qui m’attirait inexorablement. Je me donnais l’impression de vivre les écrits de Rimbaud, Bukowski, Kerouac, Burroughs, Ginsberg, et j’en passe et des meilleurs…Je travaillais donc juste ce qu’il fallait pour toucher le maximum d’aide possible. Le fric que je touchais tous les mois me servait principalement à payer mes quelques factures et à picoler, planer, passant mes journées entre poésie, musique, sexe, et délires plus étranges les uns que les autres au fur et à mesure que mes consommations augmentaient. Puis l’argent vint à manquer. Je commençais donc à taper quelques commerces et autres pharmacies. Et comme à n’importe quel jeu dans lequel on a un adversaire, on ne peut pas gagner à tous les coups. C’est mathématique. Une chance sur deux. Je me fis donc arrêter en possession de plusieurs grammes de Skenan, de subutex, de méthadone, et autres psychotropes relativement gentils. Mais aussi d’herbe et de cocaïne. Mais ça c’était ma consommation personnelle. J’eus grand peine à faire passer ce dernier argument pour la totalité des paradis artificiels que j’hébergeais dans mon petit studio. C’est comme ça que je fis la connaissance de l’avocat du pharmacien qui m’avait grillé. Une petite pourriture un peu trop sure d’elle- même qu’une obscurité de trop longue durée avait marqué au point de se croire obligé d’être constamment sous les feux de la rampe. Il s’appelait Nicolas et je ne me doutais absolument pas à l’époque qu’il deviendrait, bien des années plus tard, président de la république. Ce n’est pas aussi sidérant que si le type avait été maçon, je vous l’accorde, mais ça reste une anecdote qui me fait encore sourire lorsque j’en parle. Bien que je n’ai aucune raison d’en sourire. Bien au contraire…
Mon avocat à moi était commis d’office… Le fric que j’avais amassé m’avait été confisqué par l’état qui ne voulait apparemment pas que je m’en serve pour m’en sortir. Il désigna un petit chauve sans aucune prestance, et muet de surcroit, pour s’occuper de mon cas. Après quelques jours d’hésitation, je pris ma défense tout seul. Le juge rendit son verdict. Sept ans de réclusion…
Lorsque je sortis de taule, la vie dehors ne m’était plus insupportable. Elle m’était impossible. Je respirais de l’air quand j’en avais envie, je pouvais me promener à mon gré et tout ce genre de conneries qu’on vous sert à longueur de temps. Mais tout ça n’était que poudre aux yeux. La vérité c’est que ce que le principe de réinsertion était absurde. Personne pour me soutenir. La société ne voulait plus de moi. Cette putain capricieuse m’avait donné ma chance et je l’avais laissée passer. Je n’avais plus le droit de vote mais ça je m’en foutais réellement… Je ne croyais plus depuis longtemps que ma voix pouvait améliorer en quoi que ce soit ma vie et celle de mes concitoyens, qui de toute évidence, se satisfaisaient de leurs sordides préjugés. Les devoirs administratifs me revenant en pleine gueule, et n’ayant plus la force nécessaire de me faire enfermer, c’est d’un naturel effrayant que je me jetais sur les rails rouillés de la voie, un lundi matin, devant le TER qui ne passait pas très loin de chez moi.
Le conducteur était horrifié… Il fit valoir son droit de retrait le jour même…Une grande manifestation suivit pour protester contre les horaires hallucinants qu’imposaient à tous ces usagers la SNCF. Le train étant arrivé en retard, c’est tout naturellement qu’ils en avaient déduit que son conducteur était responsable de ma mort. Chic ! Ma famille allait pouvoir se faire un peu de fric sur mon corps éparpillé encore chaud.
Quant aux passagers, les pauvres petits étaient sous état de choc… Ils prirent néanmoins ce même train dès le lendemain, malgré l’absence de visibilité sur la vitre de la locomotive encore souillé de mes impuretés, pour s’en retourner bosser…
Les pauvres…
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