J'y étais venue de prime abord pour assister à une conférence sur l'éducation qui se donnait à 18 heures dans le cadre de l'université populaire.
Alain Badiou, écrivain et philosophe avait intitulé son intervention « A propos de l’éducation », sans doute en clin d'oeil au très connu traité du philosophe Alain, Propos sur l'éducation. Vous aurez compris que chaque mot compte.
Il a décortiqué deux conceptions très différentes de l’éducation. La première la définit comme une transmission garante d’un ordre social déterminé dans une vision somme toute conformiste et conservatrice visant à transmettre des " valeurs communes " autour desquelles les opinions seront convergentes.
La deuxième ouvre à l'universel, en développant la capacité de jugement des individus qui, ainsi, seront capables d'accueillir la nouveauté. Les deux visions sont antagonistes et le philosophe a pointé le marché comme étant le grand tribunal de la compétence. Il insiste pour que l'école et la famille ne soient pas la même chose. L'école de demain devra devenir potentiellement internationale alors que le ciment de celle de Jules Ferry était national.
Il met en garde contre une école publique qui suivrait le modèle américain et qui serait destinée au gardiennage laborieux des enfants des faubourgs tandis que les couches sociales plus aisées confieraient leurs enfants à des structures privées, quitte à y engloutir la moitié de leurs salaires. En regrettant que l'idéologie égalitaire soit incompatible avec notre société qui prône le contraire, Alain Badiou a provoqué beaucoup de questions dans le public.
On s'imagine que lorsqu'un théâtre affiche complet çà l'est. Pas exactement, et une vingtaine d'heureux parviennent en général à être casés au dernier moment. Je vous encourage donc à tenter votre chance si vous ne vous déplacez pas en groupe et que donc vous n'avez pas besoin de sièges adjacents.
C'est dans ce contexte que j'ai assisté à la représentation de Se trouver, une pièce de Pirandello, mise en scène par Stanislas Nordey. Le texte est peu connu. On ne se souvient pas vraiment du duo composé par Samy Frey et Delphine Seyrig en 1966 sous la direction de Claude Regy en 1966. On aborde donc le spectacle avec un oeil quasi neuf.
On fume beaucoup au début du spectacle. Faut-il voir dans la systémisation du geste une lubie de mise en scène ou une signification quelconque évoquant que nous sommes tous identiques, quelle que soit notre position dans l'échelle sociale, avec les mêmes travers ?
Le valet Enrico et la femme de chambre (qui n'a ni nom ni prénom) vont accueillir les invités d'une soirée dont l'hôte de marque devrait être la grande actrice Donata Genzi, superbement interprétée par Emmanuelle Béart, venue là se reposer près de son amie, Elisa Arcuri, qui est la maitresse de maison ( Claire Ingrid Cottanceau).
Il existe une forme de filiation avec le dernier film d'Alain Resnais dans les interrogations sur le théâtre et sur la vie. Est-ce qu'on joue sur scène des sentiments que l'on a éprouvés dans la vraie vie ? Sont-ils aussi crédibles s'ils sont le fruit de l'imagination de l'interprète ? Les deux positions sont opposées comme précédemment en matière d'éducation ...
Tout est théâtralisé, à commencer par les changements de décor qui se font à vue, en partie par les comédiens eux-mêmes. Jusqu'où peux-t-on aller ? La vie n'est pas une plaisanterie, encore moins une folie dit le comte.
Le théâtre non plus. Donata l'exprime de façon bouleversante : on ne se trouve à la fin que seule (...) avec nos fantômes. Seul est vrai qu'il faut (se) créer et alors on se trouve.
Alors que tous sont vêtus dans un camaïeu de beige et de marron glacé, l'actrice principale est en vert, une couleur qui a la mauvaise réputation de porter malheur. C'est la couleur du costume de scène de Molière lorsqu'il joua pour la dernière fois le Malade Imaginaire. Et puis la teinture verte autrefois utilisée contenait de l'arsenic. Beaucoup de comédiens ont été victimes d'intoxications en transpirant. N'oublions pas que si l'académicien porte l'habit vert, il n'a de vert que des broderies, sur un tissu noir.
Chaque apparition de Donata éblouit de par l'emploi de cette couleur. L'effet est visuel et psychologique, comme si elle avait le cran de défier le destin. Sa rencontre avec Ely Nielsen, artiste lui aussi, mais peintre, lui révélera la sensualité. Cette relation orageuse l'éloigne du théâtre et l'étouffe.
L'actrice se cherche, se perd et finalement se trouve. L'interprétation est bouleversante et Emmanuelle Béart est tout simplement prodigieuse, avec une manière de jouer qui rappelle par moment Romy Schneider alors que son partenaire a d'étranges tonalités qui évoquent la voix si particulière d'Anne Alvaro.