Mieux
taire est un beau livre, très bien édité par Æncrages & co :
papier, typographie, qualité des reproductions des gravures de Jean-Michel
Marchetti.
Il est construit en quatre sections, chacune ouvrant par une gravure : « Une
pièce blanche », « Voir a des trous », « Moins mal », « Si
langue effeuille ». Avec toujours la même disposition : deux blocs de
textes, chacun de six vers, séparés par un blanc. Il s’ensuit une sorte d’effet
de sculpture, comme si le texte était taillé dans le blanc de la page sous nos
yeux, par éclats, par fragments retirés à un marbre pour le moins récalcitrant.
Il est question de murs blancs, de mouches, d’un oiseau, un merle, en rapport
discret mais pertinent avec les gravures « le peu de bec ne crève pas
le/sac lourd ».
Le rapport au monde est difficile, il est opaque, il résiste ; la réalité
s’impose dans un silence impénétrable face à la conscience impuissante,
enfermée dans un désir de dire qui se mue souvent en nécessité de se taire, par
lucide confrontation avec l’impossibilité ou l’inutilité de dire.
Inutilité peut-être plus, qu’impossibilité. Quel sens cela a-t-il de dire et
avant cela, plus profond encore, d’être ? Quid de ce « dedans très
lent qui cogne ». Alors « A dire, on ne trouve / pas, tout rate en
langue plus fort, tu passes ».
Passage, c’est le sentiment que donne le livre, passage par cette tentative,
reprise maintes fois, sans illusion, avec quelque chose de tremblé, quelque
chose qui curieusement ne semble pas purement désespéré alors même qu’ici on
serait bien en peine de trouver une ouverture. Si l’on pense par exemple à
certains auteurs de Fissile, comme Bill Dranty, l’opposition est nette. La poésie d’Armand Dupuy est sombre, mais
elle n’a pas ce côté quasi morbide, cette célébration de la mort et du rien que
l’on trouve, me semble-t-il chez un Dranty ou un Demangeot : « Si
langue effeuille et trouve son rien, trouve / l’os évidé sous l’oiseau, la tête
sous la tête et / moins de bruit, je veux. Là, dans le matin loin, pousser mon
temps, retrouver la cour, la route / de neige fondue. Faire les corvées puis
laisser / pour chaque chose ma bouche où se taire. »
Il y a dans cette tentative quelque chose de paradoxal mais qui trouve dans ce
paradoxe ainsi que dans une forme de douceur et de discrétion très émouvantes,
la force de repousser un peu les parois d’un enfermement, en passant souvent
par le dehors et les objets, le paysage et les tâches, couper du bois, regarder
la neige, un oiseau, des nuages, un arbre.
L’écriture si elle paraît classique n’en tord pas moins souvent la syntaxe mais
sans que jamais le fil soit perdu, lâché. Elle procède par brèves ruptures et
mélange des registres « « La tête rame / fort dans ses nœuds, rien à
faire. La chambre / glisse comme un champ nu maintenant. Les draps / le vent
défaits font des rouleaux longs devant. »
Un livre et une poésie complexes qui appellent la relecture et peut-être une
sorte de rumination comme celle de ces vaches dont le poète dit dans un des
premiers poèmes qu’elles « fabriquent des paysages lents dans leurs
bouches. » Des poèmes comme des paysages lents à fabriquer dans l’œil et
la tête.
[Florence Trocmé]
Armand Dupuy, Mieux Taire, gravures de Jean-Michel Marchetti, préface de
Bernard Noël, Æncrages & co, 2012, 21€
©florence_Trocmé et Poezibao