Le gouvernement entend réduire les dépassements d'honoraires pour permettre "l'accès aux soins pour tous". Une promesse dangereuse.
Par Baptiste Créteur.
L'accès aux soins pour tous, promesse de campagne du gouvernement, est un souhait louable ; on ne voit pas pourquoi certains seraient privés du droit d'accès à la santé. D'ailleurs, il n'est interdit à personne de se rendre chez le médecin, ni même de le choisir. A priori, la condition de l'accès aux soins pour tous est donc remplie.
D'ailleurs, l'acception française de l'accès aux soins pour tous va plus loin : l'assurance-maladie rembourse une partie des prestations, et la santé des plus pauvres est déjà financée intégralement par les autres via l'AME et la CMU.
Plusieurs catégories tarifaires cohabitent pour les médecins, généralistes et spécialistes :
- Le secteur 1, médecins conventionnés avec un tarif fixé par l'assurance-maladie ;
- Le secteur 2, médecins conventionnés avec un tarif libre fixé dans certaines proportions fixées par l'assurance-maladie ;
- Le secteur 3, médecins non conventionnés avec un tarif totalement libre.
Chaque patient a donc la possibilité de choisir son médecin et, par-là même, le prix qu'il paiera, et peut inclure dans son choix le remboursement partiel ou total de l'acte.
Si on veut un tarif bas et un remboursement maximal (concrètement, il reste un euro à payer pour une consultation chez un généraliste), on peut donc choisir un médecin du secteur 1. C'est aussi simple que ça : un accès aux soins pour tous, gratuit pour les plus pauvres.
Mais, pour le gouvernement, l'accès aux soins pour tous passe par l'accès de chaque Français à tous les médecins. François Hollande souhaite donc réguler les dépassements d'honoraires, c'est-à-dire imposer un tarif aux médecins qui, jusque-là, jouissaient d'une liberté tarifaire toute relative et qui les prive de certains avantages. La ministre de la santé le dit clairement, fortement même : "Je le dis simplement mais fortement : il y a dans notre pays des dépassements d'honoraires qui ne sont plus acceptables".
Car les tarifs des médecins qui choisissent justement de fixer eux-mêmes leurs prix, dans une certaine limite, sont plus ou moins "acceptables". Le gouvernement doit donc intervenir : il serait inhumain que ceux qui ne paient pas pour leur accès aux soins ne puissent pas choisir parmi l'ensemble des médecins !
Et certains médecins coûtent cher : "Le montant moyen des dépassements est de 54% du tarif de la Sécu, avec toutefois de grandes disparités selon les départements : ce taux est de 150% à Paris et dans les Hauts-de-Seine, 110% dans le Rhône, près de 90% en Alsace et 80% dans les Alpes-Maritimes. L'Assurance maladie a même recensé 600 médecins pratiquant des tarifs à 300% au-delà du tarif Sécu".
Concrètement, pour un acte pratiqué par un médecin du secteur 2, la Sécurité Sociale rembourse sur la base du tarif du secteur 1. Pour un acte de médecine générale par exemple, facturé 50 euros au patient, la sécurité sociale rembourse 70% de 23 € - 1 € de retenue forfaitaire, soit 15,1 €. Reste à la charge du patient 39,9 € s'il n'a pas de complémentaire santé.
"Les mutuelles remboursent tout ou partie de ces dépassements, mais le reste à charge peut s'avérer très élevé pour certains patients. Sans compter que les ménages les plus modestes n'ont souvent pas de complémentaire santé. D'où la volonté d'agir du gouvernement, qui a fait de l'accès aux soins pour tous l'une de ses priorités."
Donc, si on n'a pas de complémentaire santé et qu'on va voir un médecin qui pratique des tarifs plus élevés, dans la mesure où l'assurance-maladie ne rembourse pas l'intégralité de la prestation, on peut avoir à payer le restant dû. Ce restant dû peut être jugé important, le gouvernement doit donc intervenir en empêchant les médecins qui choisissaient jusque-là leurs tarifs (dans certaines limites, encore une fois - en moyenne 54% au-delà du tarif du secteur 1, selon l'article) de continuer à les choisir. On pourrait également envisager de supprimer intégralement la liberté tarifaire, d'imposer aux médecins un tarif unique et nul, car après tout, ce sont eux qui assurent notre santé, et comme la santé est un droit, ils devraient le faire gratuitement.
D'ailleurs, l'article de L'Expansion s'achève par des statistiques sur les revenus des médecins, comme si la valeur de l'acte pratiqué n'était pas objectivement liée à l'acte en lui-même et devait prendre en compte le fait que les médecins gagnent relativement bien leur vie. À quand une régulation des prix des biens et services indexée sur les profits de l'entreprise qui les propose ?
De leur propre aveu, avec tout l'attachement que les médecins ont pour leurs patients et malgré une relation de confiance construite au fil des ans, le gouvernement devra bientôt affronter un obstacle sur le chemin de "la santé pour tous" : le départ des pigeons voyageurs.