Je me souviens de cette scène de « Kick-Ass » dans laquelle Nicolas Cage est retenu prisonnier et où sa fille Hit Girl doit le délivrer. Séquence intense dans l’obscurité où poignent le danger et la mort. La musique est là pour accentuer les sensations, une musique à la puissance sans équivoque. Cette musique, ce n’était point une composition de la bande originale, mais l’un des thèmes du beau Sunshine de Danny Boyle, composé par John Murphy. Aussi intense que fut la séquence, et aussi grande que fut la partition de Murphy, la juxtaposition de cette bande originale d’un autre film sur « Kick-Ass » m’avait presque semblé déplacée.
Pourtant il a fallu se rendre à l’évidence, car le doute s’est dissipé avant la fin du film lorsqu’un autre morceau de la bande originale de « L’assassinat de Jesse James » s’est fait entendre. La suspicion était donc fondée, la jolie musique que l’on entendait depuis le début de « Quelques heures de printemps » était bien celle de Cave et Ellis, semble-t-il très légèrement réarrangée. Lorsque le générique de fin a commencé, la mention « Musique composée par Nick Cave et Warren Ellis » est apparue sans vergogne, comme si les deux compères avaient spécialement écrit la musique pour le film. Plus loin au cours du générique, en prêtant un œil attentif, il fut tout de même possible de lire que les quatre mouvements entendus étaient extraits de la bande originale du long-métrage réalisé par Andrew Dominik.
Dans l’absolu, impossible de reprocher à Stéphane Brizé d’avoir été conquis par la musique de Nick Cave et Warren Ellis. La bande originale du western fait partie de ce qui s’est composé de plus beau pour le grand écran dans les années 2000. Mais le problème ne se pose pas en ces termes-là. Le problème, c’est qu’une telle situation touche non seulement à l’intégrité d’une œuvre (quoi que cela se fasse certainement avec l’accord du « copié »), mais elle joue avec l’appropriation que le spectateur a déjà pu se faire de la dite œuvre.
C’est une question qu’il est déjà possible de se poser avec des chansons que des films se sont approprié et qu’ils ont rendues iconiques et immédiatement identifiables à un univers cinématographique précis. « The Sound of Silence » de Simon & Garfunkel par exemple, qui est issu de la culture populaire mais qui a été si parfaitement utilisé dans « Le Lauréat » qu’il est impossible, pour qui a vu le film, d’entendre la chanson sans immédiatement l’associer au film de Mike Nichols, et revoir Dustin Hoffman assis au fond du bus après être allé "voler" Katharine Ross à l'église . Ça n’a pas empêché Zack Snyder de placer le titre de Simon & Garfunkel dans « Watchmen », mais ce film est un tel bordel musical qu’il n’y avait de toute façon aucune chance que l’on distingue véritablement la chanson. L’effet que pourrait produire une telle chanson iconique dans un autre film que « Le Lauréat » est forcément amoindri par le poids de son aîné.
Stéphane Brizé aura beau me demander ce que j’ai pensé de son film (la formule est rhétorique, mon avis lui importe certainement peu), je pourrais très bien lui dire que « Quelques heures de printemps » est plutôt réussi, parfois fort, parfois touchant avec un beau duo Vincent Lindon / Hélène Vincent (même si la fin est un peu tire-larmes), mais dans le souvenir que j’en garderai pour les années à venir, ce que j’ai véritablement pensé du film s’estompera et n’aura au bout du compte pas vraiment d’importance. Car « Quelques heures de printemps » restera comme le film qui a malencontreusement emprunté la musique de « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » (sans toutefois emprunter son plus bel élément, « Song for Bob »)…