En un demi-siècle, les sciences et technologies ont énormément progressé et
la vie sociale a, elle aussi, beaucoup évolué. Vatican II fut une mise à jour tardive des relations entre l’Église et la société contemporaine. Une nouvelle mise à jour semble inéluctable avec
les développements rapides du monde actuel.
Le 11 octobre 1962, il y a cinquante ans, le pape Jean XXIII
venait d’ouvrir le concile Vatican II, vingt et unième "réunion" de tous les évêques catholiques depuis
le concile de Nicée I en 325, pour réfléchir sur la foi, la doctrine et la liturgie. Deux mille cinq cent quarante évêques étaient présents à la session d’ouverture. « L’événement du siècle », selon De Gaulle dont les sources
chrétiennes l’inspiraient régulièrement.
Infaillible ?
Le précédent concile datait d’un siècle avant, Vatican I qui fut interrompu le 20 octobre 1870 lorsque les
troupes italiennes arrivèrent à Rome et conquirent les États pontificaux. C’est au cours de ce concile que fut décidé le principe de l’infaillibilité papale (grâce à l’absence, pour guerre, des
évêques allemands et français, dont Mgr Dupanloup, qui y étaient plutôt hostiles). Le vote a eu lieu le 18 octobre 1870 par 533 voix pour et 2 voix contre afin d’approuver la suprématie du pape.
Il faut savoir qu’au cours des deux millénaires, la question revenait souvent de savoir qui avait le dernier mot, le pape ou l’assemblée des évêques réunie en concile.
Contrairement à ce qui est souvent cru, cette infaillibilité ne donne pas quitus "divin" à tout ce que dit ou
fait le pape en tant que tel (il est faillible autant qu’un autre humain) mais seulement lorsqu’il parle ex cathedra et qu’il engage spécifiquement
son autorité sur la morale et la foi. Elle a été une nouvelle fois explicitée le 21 novembre 1964 au cours de Vatican II : « Le pontife romain,
chef du collège des évêques, jouit, du fait même de sa charge, de cette infaillibilité quand, en tant que pasteur et docteur suprême de tous les fidèles, et chargé de confirmer ses frères dans la
foi, il proclame, par un acte définitif, un point de doctrine touchant la foi et les mœurs. » ("Lumen
Gentium").
En clair, cela signifie que le pape peut évidemment se tromper mais que lorsqu’il émet une déclaration
"infaillible", elle est définitive à l’ensemble des fidèles et ne peut être contredite par une autre déclaration "infaillible". Cette infaillibilité n’est donc évoquée que de manière très
exceptionnelle sur des points de doctrine que le pape considère comme essentiels et immuables.
Et c’est parce que c’est exceptionnelle que cette infaillibilité, en pratique, n’a été proclamée qu’une seule fois depuis 1870, par Pie XII sur le
dogme de l’Assomption de la Vierge Marie ("Munificentissimus Deus", le 1er novembre 1950), mais en
aucun cas sur l’interdiction de la contraception artificielle ("Humanae Vitae", Paul VI le 25 juillet 1968),
l’impossibilité d’ordonner des femmes prêtres ("Ordinatio Sacerdotalis",
Jean-Paul II le 22 mai 1994), ni même sur l’avortement ou l’euthanasie ("Evangelium Vitae", Jean-Paul II le 25 mars 1995).
Mais revenons à Vatican II.
Jean XXIII
Le pape Jean XXIII prononça devant les deux milliers et demi d’évêques le 11 octobre 1962 un discours d’ouverture considéré comme marquant :
« Notre devoir ne consiste pas seulement à conserver ce trésor précieux comme si nous nous préoccupions uniquement de l’antiquité, mais de nous
consacrer avec une ferme volonté et sans peur à cette tâche que notre époque exige. (…) Il est nécessaire que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être fidèlement respectée, soit
approfondie et présentée d’une façon qui corresponde aux exigences de notre temps. En effet, il faut faire la distinction entre le dépôt de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre
vénérée doctrine, et la façon dont celles-ci sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. ».
Et il leur donnait une méthode : « Il vous faut la sérénité et la paix du cœur, la concorde
fraternelle, la modération des propositions, la dignité dans les discussions, la sagesse dans toutes les délibérations. Fasse le Ciel que vos activités et travaux sur lesquels se concentrent non
seulement les regards du monde mais aussi les espérances de l’univers, répondent amplement à l’attente. ».
Atteint d’un cancer de l’estomac, Jean XXIII s’éteignit le 3 juin 1963 bien avant l’achèvement des travaux conciliaires. Son acte majeur a donc été
l’organisation de ce concile, décidée publiquement le 25 janvier 1959 et cette initiative fut considérée par le futur Paul VI comme un « événement
historique de première grandeur, (…) grand pour l’Église entière et pour l’humanité ». Probablement que l’idée originelle d’un concile fût venue du théologien français Yves Congar
(devenu cardinal quelques mois avant sa mort) car ce dernier préconisait depuis des années des réformes internes, notamment dans son livre "Vraie et fausse réforme dans l’Église" (1950) que le
futur Jean XXIII avait attentivement lu.
Cette démarche conciliaire lui a valu une grande sympathie populaire, et exemple parmi d’autres, à sa mort, de nombreuses communes françaises
donnèrent son nom à une rue ou une école. Il a été béatifié par Jean-Paul II le 3 septembre 2000.
Paul VI
Paul VI, archevêque de Milan très impliqué dans les travaux préparatoires du concile, lui succéda le 21 juin 1963 et continua les travaux de Vatican
II.
Parmi les réalisations du concile, il y a eu ce changement de nom très symbolique néanmoins essentiel de la "Sacrée congrégation du Saint-Office"
(anciennement appelé "Sainte Inquisition romaine et universelle" jusqu’au 29 juin 1908) en Congrégation pour la doctrine de la foi (que le cardinal Josef Ratzinger allait présider de 1981 à 2005
sous le pontificat de Jean-Paul II). Créée le 21 juillet 1542, cette plus ancienne congrégation est désormais chargée (depuis le 28 juin 1988) de « promouvoir et de protéger la doctrine et les mœurs conformes à la foi dans tout le monde catholique » ("Pastor Bonus").
Cette réforme du Saint-Office fut une réalisation de Josef Ratzinger, qui, théologien et pas encore évêque de Munich, conseilla durant tout le
concile, comme "consulteur théologique", l’archevêque de Cologne Josef Frings qui fit un discours très audacieux le 8 novembre 1963 (préparé par Josef Ratzinger) sur les actions du Saint-Office
qui « ne sont pas en harmonie avec les temps modernes et sont une source de scandale pour le monde entier ».
L’une des innovations très visibles de Vatican II fut aussi la modernisation de la liturgie dans le but de renforcer la participation active des laïcs
aux célébrations eucharistiques (usage des langues locales au détriment du latin, autel tourné dans l’autre sens, etc.).
Après quatre sessions, le concile se termina le 8 décembre 1965 par le discours de clôture de Paul VI qui concluait ainsi : « Mais alors, ce Concile (…), ne serait-il pas destiné à ouvrir une nouvelle fois au monde moderne les voies d’une ascension vers la liberté et le vrai
bonheur ? Ne donnerait-il pas, en fin de compte, un enseignement simple, neuf, neuf et solennel pour apprendre à aimer l’homme afin d’aimer Dieu ? Aimer l’homme, disons-nous, non pas
comme un simple moyen, mais comme un premier terme dans la montée vers le terme suprême et transcendant. Et alors, le Concile tout entier se résume finalement dans cette conclusion
religieuse : il n’est pas autre chose qu’un appel amical et pressant qui convie l’humanité à retrouver, par la voie de l’amour fraternel, ce Dieu dont on a pu dire : "S’éloigner de lui,
c’est périr ; se tourner vers lui, c’est ressusciter ; demeurer en lui, c’est être inébranlable ; (…) retourner à lui, c’est renaître ; habiter en lui, c’est vivre." (saint
Augustin) ».
Car c’est peut-être ce qui distingue cette religion des autres, son premier "mot d’ordre", c’est d’aimer, d’aimer son prochain comme soi-même, mais
aussi tout en se respectant et en respectant l’autre.
Herméneutique de la discontinuité
Dans les interprétations du concile Vatican II, il y a eu deux "écoles", celle qui privilégiait la rupture par rapport au passé, très communiquée dans
les médias qui la voyaient d’un œil favorable, et au contraire, celle qui y voyait une réforme en continuité des deux millénaires de christianisme, une évolution progressive et cohérente.
Peut-être que la meilleure défense de l’évolution positive de l’Église catholique est à mettre sur le compte du détracteur de Vatican II le plus
célèbre, à savoir l’évêque traditionaliste Mgr Marcel Lefebvre qui considérait, peu avant son excommunication, le 2 décembre 1986, que les papes depuis 1965 trahissaient leur propre
religion : « Adoptant la religion libérale du protestantisme et de la Révolution, les principes naturalistes de Jean-Jacques Rousseau, les
libertés athées de la Constitution des Droits de l’Homme, le principe de la dignité humaine n’ayant plus de rapport avec la vérité et la dignité morale, les Autorités romaines tournent le dos à
leurs prédécesseurs (…) et elles se mettent au service des destructeurs de la chrétienté (…) ».
Ce qui donne, en traduisant, que justement, l’Église a commencé à prendre en compte le droit des personnes à vivre la vie qu’elles veulent
indépendamment de toute contrainte morale extérieure. Et elle a enfin compris que le libre arbitre commence d’abord par ses propres fidèles. Cela a été un pas très positif dans la modernisation
sociale de l’Église.
D’ailleurs, concernant les relations conflictuelles entre les traditionalistes (à savoir, la Fraternité Saint-Pie-X d’Écône) et le pape, le philosophe
Marcel Gauchet juge que c’est d’un enjeu mineur qui n’a rien d’intéressant sur le plan religieux : « Globalement, c’est un problème très
secondaire qui est un peu réglé par le fait qu’il y ait une espèce de tolérance qui s’est établie à l’égard de toute les formes cultuelles ou sacramentelles. On revient un peu à l’Église
tridentine où l’on laissait les communautés locales gérer leurs affaires sur le plan liturgique. ».
Interprétation de Benoît XVI
Très impliqué dans le processus du concile Vatican II auprès du cardinal Josef Frings, nommé évêque de Cologne le 1er mai 1942 (jusqu’en
1969) et connu pour s’être opposé courageusement aux nazis (il clamait que la répression contre les Juifs était une « injustice qui criait vengeance
au Ciel »), Josef Ratzinger était considéré comme un théologien réformateur face à la vieille institution catholique. Il prônait surtout un retour aux sources du christianisme afin de
se rapprocher de la société moderne et défendait le principe permanent de remise à jour ("aggiornamento") qui renouvellerait la foi régulièrement et lui alimenterait la vie.
Devenu le pape Benoît XVI, Josef Ratzinger rappelait le 22
décembre 2005 les raisons de Vatican II en indiquant les trois discussions nécessaires : d’une part, « définir de façon nouvelle les relations
entre foi et sciences modernes », d’autre part, « définir de façon nouvelle le rapport entre l’Église et l’État moderne » et
enfin, définir le « rapport entre foi chrétienne et religions du monde ».
Si la deuxième discussion a abouti avec efficacité, en prônant « la responsabilité d’une coexistence
ordonnée et tolérante entre les citoyens et de leur liberté d’exercer leur religion », en clair, en soutenant le principe de laïcité et neutralité religieuse des États (et donc, en renonçant à l’hégémonie de l’Église), la première mériterait d’être bien plus approfondie et la troisième
reste parfois laborieuse (en particulier dans ses rapports avec l’islam ; en revanche, les rapports
avec la "foi d’Israël" ont considérablement évolué).
D’ailleurs, il insistait beaucoup sur ce sujet de la liberté religieuse qui pourrait être « considérée
comme une expression de l’incapacité de l’homme à trouver la vérité, et, par conséquent, devenir une exaltation du relativisme » alors qu’il faudrait « considérer la liberté de religion comme une nécessité découlant de la coexistence humaine, et même comme une conséquence intrinsèque de la vérité qui ne peut
être imposée de l’extérieur, mais qui doit être adoptée par l’homme uniquement à travers le processus de la conviction ».
Il constatait entre autres : « Dans la période entre les deux guerres mondiales et plus encore
après la Seconde guerre mondiale, des hommes d’État catholiques avaient démontré qu’il peut exister un État moderne laïc qui, toutefois, n’est pas neutre en ce qui concerne les valeurs, mais qui
vit en puisant aux grandes sources éthiques ouvertes par le christianisme. La doctrine sociale catholique, qui se développait peu à peu, était devenue un modèle important entre le libéralisme
radical et la théorie marxiste de l’État. ». En d’autres termes, Benoît XVI estime nécessaire que l’Église encourage l’émergence de cette "troisième voie".
Transition vers le nouveau siècle
Benoît XVI a décidé de "promulguer" une Année de la foi du 11 octobre 2012 au 24 novembre 2013 : « Nous voudrons célébrer cette Année de manière digne et féconde. La réflexion sur la foi devra s’intensifier pour aider tous ceux qui croient au Christ à
rendre plus consciente et à revigorer leur adhésion à l’Évangile, surtout en un moment de profond changement comme celui que l’humanité est en train de vivre. » (Rome le 11 octobre
2011).
Il est probable que le pape Benoît XVI (bien moins
conservateur donc qu’on ne le clame souvent ; il suffit de lire sa première encyclique "Deus Caritas
Est" du 25 janvier 2006) reste un pape de transition après le très long et très riche pontificat de Jean-Paul II. De transition même si la durée du pontificat n’y fait rien.
Élu le 19 avril 2005 trois jours après son 78e anniversaire, parce qu’il était le plus anciens des cardinaux, selon l’idée de Mgr Jean-Marie Lustiger, Benoît XVI est donc pape depuis plus de sept ans, soit bien plus long que le pontificat de
Jean XXIII (moins de cinq ans) qui fut un élément moteur dans la modernisation de l’Église catholique et son entrée dans le XXe siècle.
Vers Vatican III ?
Justement, interrogé par "La Vie" le 25 septembre 2012, Marcel Gauchet pense qu’un nouveau concile, Vatican III, devient indispensable pour faire rentrer l’Église dans le XXIe siècle. Il considère
en effet que Vatican II était un rattrapage sur le passé et qu’il est complètement dépassé avec les nouveaux enjeux de la société actuelle, tant sur les progrès scientifiques que sur l’évolution
des mœurs.
Marcel Gauchet estime que si Vatican II a réglé la liberté religieuse et la liberté politique, il faudrait maintenant régler la liberté des personnes,
notamment dans leur intimité fondamentale : sexualité, procréation, cellule familiale, éthique médicale : « Ce n’est pas simplement un
problème d’institution, c’est un problème doctrinal qui nécessiterait une révision très profonde car le décalage avec la société est complet. ».
L’intellectuel voit d’ailleurs deux évolutions possibles pour l’Église qui perd de plus en plus de fidèles : un repli sur soi « pour former une église très soudée, minoritaire et identitaire », ou au contraire, une grande ouverture, déjà très pratiquée en particulier par les
évêques français, où les "sympathisants", plus nombreux que les pratiquants, doivent être mieux entendus et impliqués.
Le pari de l’ouverture
Il n’y a pas en fait d’autre choix pour une Église qui a renoncé à l’hégémonie que de s’adapter à la société moderne. Il y a encore trop peu de
réflexions sur des domaines entiers des sciences, comme la génétique, le nucléaire, et même la physique quantique dont les implications philosophiques devraient servir de terreau à une nouvelle
pensée chrétienne.
Que le prochain pape soit européen, africain, sud-américain ou même asiatique, pour l’instant, tout est possible entre la frilosité du repli
identitaire et l’enivrante audace de séparer le tangible de l’intangible et de s’ouvrir vers des pratiques plus en lien avec notre siècle (comme l’ordination des femmes et la contraception) sans
pour autant renoncer aux dogmes essentiels. La première voie (repli) conduirait inéluctablement à la disparition progressive tandis que la seconde voie (adaptation), bien plus ambitieuse,
rendrait également un fier service à la société laïque. Mais pour cela, il faut des hommes (et des femmes) pour porter cette espérance.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (11 octobre
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean-Paul II et le
pardon.
Benoît XVI aux
Invalides.
Benoît XVI
et les préservatifs.
Mgr
Lustiger.
La passion
du Christ.
Deus Caritas
Est (texte intégral).
Interview de Marcel Gaucher ("La Vie" du 25 septembre 2012).
http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/50-ans-apres-vatican-ii-la-124063