Franco-russe (1/2)

Publié le 10 octobre 2012 par Egea

A l'heure des diagnostics de toute sorte et alors que tout le monde regarde les États-Unis, élections obligent, faisons un peu de contre-programmation et regardons les relations Franco-russes, d'un point de vue géopolitique. Billet à suivre d'un second qui envisagera les options stratégiques.

source

I Racines géopolitiques de la relation franco-russe

La France n’a vraiment découvert la Russie qu’en lui faisant la guerre, à partir du XVIIIème siècle : une victoire et une retraite plus tard (Austerlitz puis la campagne de 1812 puis l’occupation de 1814), la question russe élargissait définitivement l’horizon géopolitique de la France, à peu près simultanément d’ailleurs avec la découverte de la question américaine, en 1776.

Cela permit surtout à la France de renouveler l’alliance de revers qu’elle avait déjà pratiquée au XVIème siècle contre les Habsbourg. Cette fois, l’alliance franco-russe vise initialement (à la fin du XIX° siècle) à contourner l’Allemagne, et sert de base à la Triple Entente qui ouvre la Première Guerre mondiale. Celle-ci cause la fin des tsars et donc la rupture de l’alliance, mais la France n’en gardera pas rigueur à Moscou. En effet, la fascination idéologique pour le communisme va s’exercer pendant l’entre-deux guerres, et explique la grande tolérance pour la Russie soviétique. L’alliance se retrouve pendant la guerre (après 1941) et à l’issue, De Gaulle chercha toujours un dialogue particulier afin de trouver une troisième voie entre les deux grands.

A la différence de bien d’autres pays européens, la France n’a jamais vraiment craint la Russie : elles sont toutes deux de grands pays par la taille ce qui encourage une même façon d’envisager les situations (ce qui passe notamment par une centralisation du pouvoir), toutes deux ont une vision mondiale avec des ambitions qui se sont rarement heurtées directement, enfin la Russie est trop lointaine pour constituer une menace directe. Ceci explique la volonté constante de la France de trouver en Russie un appui, pour contrer un adversaire ou pour renforcer une position. Ce fut d’abord tourné contre l’Allemagne, puis plus récemment contre l’Amérique.

II Perspectives

Aujourd'hui, la relation franco-russe apparaît comme une matrice possible d’organisation européenne : en effet, elle exploiterait la continuité continentale dans le nouvel ordre du monde en train d’apparaître, alors que les liens transatlantiques sont en train de se détendre. Ainsi, la France a toujours considéré que la Russie appartenait à l’Occident, que celui-ci ne se résumait pas à l’Europe et aux États-Unis, et qu’à l’axe euro-atlantique répondait un axe « de l’Atlantique à l’Oural ». Dès lors, on comprend mieux la facilité avec laquelle le président Sarkozy a joué les bons offices au moment du conflit russo-géorgien en 2008, ou a accueilli assez favorablement (mais sans donner beaucoup de suite) la proposition Medvedev d’une nouvelle approche de la sécurité européenne.

Ceci explique enfin que la France n’ait pas hésité à vendre des bateaux de projection et de commandement (type Mistral) à la Russie, au grand dam d’autres nations européennes, surtout les plus voisines de Moscou. Ajoutons qu’à la différence d’autres pays européens, la France ne dépend pas majoritairement de l’énergie vendue par la Russie : cela lui donne une liberté réelle et le moyen de résister à des pressions russes lorsque Moscou veut utiliser l’arme énergétique. D’ailleurs, pour exploiter le gaz en provenance d’Asie centrale, la France privilégie plutôt le gazoduc Southstream (piloté par Moscou) par rapport au tracé turc. Toutefois, Paris n’est pas favorable à l’entrée d’investisseurs russes dans le capital d’Areva.

Pour chacun, la relation avec l’autre sera toujours un deuxième choix, un second best. Les Russes privilégieront toujours la relation bilatérale avec les États-Unis dans le cadre de leur relation globale avec l’Occident, et l’Allemagne dans le cadre de leur relation avec l’Europe. De même, la France choisira toujours un grand allié européen (Grande Bretagne ou Allemagne) avant de se tourner vers la Russie, qui n’apparaîtra jamais que comme un complément : heureusement, elle n’est plus isolée comme elle put l’être à la fin du XIXème siècle, lorsque l’alliance franco-russe apparut comme un soulagement géopolitique majeur.

(à suivre)

O. Kempf