Pas une semaine ne passe sans qu’on ne parle de Kickstarter, la plateforme de financement qui permet à chacun de présenter son projet aux internautes qui peuvent faire des promesses de dons pour lancer sa conception. Le site a rapidement été adopté par les studios indépendants comme une corne d’abondance qui permettrait enfin de développer des jeux originaux sans gaver les éditeurs qui souffrent ces dernières années d’une image de plus en plus diabolisés tant par les médias que par les joueurs. Mais aucun système n’est parfait et celui de Kickstarter arbore aussi des failles.
Des failles qui attirent certains éditeurs tentés de profiter de l’opportunité financière que représente Kickstarter. Fin septembre 2012, Le PDG d’Obsidian Entertainment Feargus Urquhart a révélé qu’un éditeur dont il a préféré taire le nom lui avait proposé de distribuer leu jeu à condition que son studio mette en place une levée de fond sur Kickstarter. L’éditeur indélicat se réservait bien sûr la propriété de la marque et une partie des profits générés par les ventes. Ou comment s’assurer, en cas de succès, une rémunération sur le long terme, le tout sans débourser un centime.
Nul doute que cette proposition pour le coup vraiment indécente ait été motivée par l’excellent résultat de la levée de fond du projet de jeu de rôle en vue isométrique d’Obsidian. Pour le moment désigné par le nom de code : « Project Eternity », il a récolté près de deux millions d’euros (2 500 000$) en seulement trois semaines. Une démarche qui étonne, pour le moins, lorsqu’on sait que le studio développe actuellement le RPG South Park pour THQ et qu’il a signé Fallout : New Vegas pour Bethesda.
On est bien loin de l’image que l’on se fait d’un studio indépendant. Se pose alors la question de la légitimité d’une telle démarche, alors que Feargus Urquhart a déjà prouvé sa capacité à faire financer des projets d’envergure. Les promesses de dons proposées sur la page Kickstarter du projet vont de 4€ (5$) à 7 700€ (10 000$). Si cette dernière somme vous semble extrêmement élevée, sachez qu’elle permet à l’heureux élu et à un de ses potes de se déplacer – à ses frais – jusqu’aux locaux d’Obsidian, en Californie.
« Des animaux de foire et des prostitués »
Premier dérapage ou bonne volonté maladroite ? Toujours est-il qu’une déclaration similaire du studio Loot Drop, composé de vétérans de l’industrie, a fait réagir Oskar Burman, une des têtes pensantes de Rovio Games (Angry Birds, Bad Piggies). Dans un tweet assassin, il a accusé Kickstarter de transformer les développeurs en « animaux de foire et en prostitués ». En effet, la proposition de Brenda Brathwaite et Tom Hall de remettre le jeu en personne à qui aurait offert 10 000$ ou plus, sur un coussin de velours rouge, à Disneyland, sort totalement du cadre de la création vidéoludique. On peut clairement dire qu’il s’agit d’un avantage en nature.
Mais qu’en est-il des jeux ? Shadowrun Returns, un nouvel épisode des Chevaliers de Baphomet, Wasteland 2, le point’n click de Double Fine, et les projets d’Obsidian et Loot Drop affichent clairement leur dimension nostalgique, voire carrément passéiste. Des RPG old-school et des jeux d’aventure comme on en faisait dans le temps, soit des produits réservés aux quelque milliers d’internautes qui ont pris la peine de les financer. On trouve pourtant sur Kickstarter des jeux innovants et des projets vraiment nouveaux (la console Ouya pour ne citer qu’elle), mais force est de constater que les produits axés retro-gaming tiennent le haut de l’affiche.
Mécénat 2.0
Les joueurs ont découvert le phénomène en février 2012, lorsque Tim Schafer, charismatique président de Double Fine et créateur de jeux de légendes (Day of the Tentacle) en a appelé à la passion des joueurs pour financer son projet de jeu d’aventure. Grâce à un appel aux dons complètement barré en mode « Faisons la nique aux éditeurs qui pensent connaître mieux que les joueurs ce à quoi ils souhaitent jouer », il a réussi à lever 310 900€ (400 000$) en 24 heures.
Kickstarter, le site de crowd-funding leader sur le net, permet à un créateur de faire financer son projet par les internautes intéressés. Les dons sont hiérarchisés par paliers, les mécènes se voyant récompensés en nature à hauteur de leur investissement. Ainsi, les plus radins gagneront tout au plus une copie du jeu, tandis qu’aux plus généreux reviendront des bonus comme une participation au beta test, du contenu inédit voire leur nom quelque part au générique.
Surtout, il a attiré l’attention sur ce moyen de financement qui a tout du rêve éveillé : enfin, les développeurs indépendants aux idées si novatrices qu’elles ne trouvaient jamais de financement allaient pouvoir proposer aux joueurs aventureux des expériences inédites. Une sorte de vision vertueuse du capitalisme qui tient de l’utopie. Récemment, Kickstarter a pris des mesures pour protéger les internautes qui participent aux appels des créateurs, en obligeant ces derniers à expliquer les risques liés à la production (retards, annulation).
Pia avec Ghislain Masson