Magazine Cinéma
Julia est riche, architecte, en phase terminale d’un cancer. Marine vient de perdre son boulot d’aide soignante, galère, ne sait même pas où dormir. C’est là que débute leur rencontre. Parler du cancer à l’écran en échappant aux ennemis jurés des longs-métrages estampillés « combat contre la maladie », à savoir le mélange fatal de pathos et de glauque, n’est pas chose facile. Pourtant, Isabelle Brocard- dans son premier film- relève le défi haut la main. Pas question pour le duo féminin de s’apitoyer sur leurs sorts respectifs ; ce que raconte Ma Compagne de nuit se situe bien ailleurs : dans la relation entre les deux femmes, qui transcendent leur statut patiente/aide soignante pour asseoir des personnages plus nuancés, quelque part entre un sentiment mère/fille non avoué (d’un côté, la fille de Julia l’ignore- par égoïsme propre à son âge ? Par terreur d’affronter le regard d’une mère mourante ? / de l’autre, la mère de Marine est absente), et quelque chose de plus intime : un lien qui a à voir avec la vie, la mort, le corps qui (s’) abandonne.
Le corps, parlons-en. Dans Ma Compagne de nuit, il est omniprésent. Dans le cinéma de Brocard aussi, puisque ses deux premiers courts semblaient fascinés par l’usage que l’on en fait, sa dégradation (le premier parlait d’allaitement, le second d’anorexie). Ici, accompagnée de deux comédiennes épatantes (Emmanuelle Béart, crédible en femme forte atteinte de plein fouet par la maladie, Hafsia Herzi, toute en force et émotion brute), elle scrute les moindres tressaillements des chairs : celle qui pourrit, celle qui explose d’énergie, celle qui exulte. Dans une séquence qui en dit long, le frère de la malade se jette sur l’aide soignante : un besoin irrépressible de toucher, de sentir, de faire l’amour pour envoyer balader la mort. La cinéaste épouse cette idée tout du long en préférant le silence aux mots, la rébellion à la soumission. Doucement, à l’instar de Marine, elle amène son héroïne jusqu’à l’obscurité. Le titre est doux, à l’image du long métrage tout entier- qui sans pour autant annihiler l’âpreté de son sujet, parsème de luminosité l’horreur.