Si Dieu était dj, il s’appellerait Jeff Mills

Publié le 10 octobre 2012 par Wtfru @romain_wtfru

Jeff Mills donnait un concert exceptionnel à la salle Pleyel avec l’Orchestre National d’Ile de France il y quelques jours. L’occasion pour nous de parler un peu plus de lui, et de l’idée d’un esthétisme classique dans la techno (c’est possible).

L’approche esthétique de la musique électronique se construit avec un héritage qui entrecroise à la fois celui de la musique dans son intégralité, et celui de l’artiste, qu’il s’est construit au fil du temps. Parler d’esthétisme dans la techno n’est pas une bêtise, et la notion d’héritage le complète si on cite les noms de Derrick May, Juan Atkins, Richie Hawtin et Jeff Mills.

Tous ont en commun une approche artistique de la musique électronique, loin du carcan lucratif de leurs contraires, tels que Sinclar, Guetta et tous les mecs présents à la techno parade de cette année (on y était, on a les noms) : que ce soit Richie Hawtin avec le Léviathan d’Anish Kappoor, Derrick May et Juan Atkins qui furent compositeurs avant de se tourner vers les machines, ou Jeff Mills et les orchestres.

Aujourd’hui on va s’attarder un peu au plus vieux de la bande. Jeff Mills, 49 ans, plus que jamais un magicien des machines.

Sa relation avec l’art commence par une révolution de la musique électronique. Durant les années 90, Jeff Mills prend part à des raves partout en Europe, mais se distingue des autres djs présent par sa technique et ses choix de vinyles. En effet, il joue sur trois platines à la fois des grosses tracks acides, bien binaires (on ne va pas vous faire un dessin), sur lesquelles il couple des sons funk, disco, soul. Le tout devant une grosse foule en transe avec un gros nuage toxique au-dessus de sa tête. L’alliance entre la violence de son, et la beauté des voix et du groove donnera lieu à cette « révolution », où la naissance de l’abstract house, plus singulière que sa grande sœur, et dont seul Jeff Mills à la recette. Ce courant représente en tout lieu son label créé avec Mike Banks (le génial producteur) en 1989, on veut bien sur parler d’Underground Resistance.

A la différence des autres producteurs cités plus haut, Jeff Mills est parti des machines pour aller vers la composition, alors que ses confrères firent le contraire. Il est donc le symbole même d’un apport technique, technologique, et électronique à la musique et la composition dans leur ensemble. Cet élan, ce mariage (loin d’être forcé) entre la musique électronique et la musique classique sera le fruit d’un long travail technique de la part de Jeff Mills, entre d’un coté des dizaines d’EPs et albums explorant la musique electronique dans son intégralité, et de l’autre cette recherche esthétique qu’il trouve notamment dans sa passion pour le cinéma.

Tout commence en 2003, lorsqu’il décide de mettre sur partition un bon nombre de ses tracks, des plus violentes aux plus douces. L’idée est en effet de faire rentrer la techno dans la sphère classique, la démocratiser, puisque beaucoup trop mise à l’écart par la nouvelle génération selon lui.

Après trois ans de travail, le résultat est là, et on assiste à l’un des plus beaux moments musicaux de l’histoire de l’humanité. Jeff Mills rencontre sur scène l’orchestre philharmonique de Montpellier, devant le magnifique Pont du Gard, pour un live d’1h30 devant une foule médusée. C’est la rencontre entre le classique, l’électronique, l’architecture d’un monument de plus de 2000 ans et un public venu pour prendre la claque de sa vie. Voici Blue Potential.

De Gamma Player aux mélodies entrainantes, à Amazon, digne d’une balade à l’orée des bois, en passant par la très célèbre The Bells ou l’ultra-violente Sonic Destroyer, tout y passe. Les morceaux les plus célèbres de Jeff Mills sont joués en live par un orchestre de 80 personnes, en plein été, devant l’aqueduc. (Ok on a pleuré).

The Bells (Original mix) :

The Bells Blue Potential :

 

Sonic Destroyer (Original mix)

Sonic Destroyer – Blue Potential

Les montées des tracks, ce moment où les basses sont coupées, et que le rythme s’accélère, où la foule lève ses bras en criant « Alleeeeeeeeeez », sont tout simplement jouées en cœur par les 25 violons. Le son de cloche de The Bells est à la charge du carillon et du xylophone. Les gros tambours et les percussions se chargent des basses. Le tout forme un amalgame d’une époustouflante beauté, quelque chose d’uni, aux mélodies qui ont le pouvoir de te faire sourire sans que ton cerveau ne le commande.

Mais ce n’est pas fini ! Jeff Mills est là, à coté de l’orchestre et de son chef, tout discret. Muni d’une TR-909 et d’une ENORME table de mixage-création, il ajoute au son des instruments jouant de concert des claps, des boucles, des effets, tout en ne prenant pas le dessus sur les musiciens, juste pour rendre cela encore plus beau que ce qu’il n’est déjà. C’est à ce moment là que tu bandes, tu mouilles, tu jouis, tu sautes, tu cries, tu fais n’importe quoi. Et avoir 15 ans au concert, c’est garder à jamais en mémoire la marque d’une rencontre avec la beauté, la perfection musicale, l’Éden. Un peu comme une infinie étendue de tartiflette.

L’aventure continue.

Et bien il se trouve qu’en fait, ce concert n’était que la première étape du voyage. Le billet retour nous dépose à la salle Pleyel à Paris, lieu de musique hors du commun par son nom d’abord, ses installations acoustiques ensuite.

Jeff Mills y rencontre l’orchestre national d’Ile de France, pour un concert exceptionnel. La salle est comble, tout le monde ayant en tête le magnifique Blue Potential. Là encore, le concert est constitué de reprises des morceaux de Jeff Mills, encore arrangés à sa sauce et mis sur papier avec le concours du chef d’orchestre. On y retrouve encore les classiques Gamma Player, Sonic Destroyer, Amazon et The Bells (parmi une vingtaine de morceaux). Mais à la différence avec le concert de 2006, celui de ce soir là est empli de finesse, les mélodies sont plus enjouées, et les basses plus présentes (jouées encore par des instruments de l’orchestre). De plus, la place de Jeff Mills est moins discrète, se permettant des petits solos de claps. Mais une chose est sure, ce concert là est plus techno que le Blue Potential. La salle est en délire, certains se lèvent de leurs confortables fauteuils pour frapper des mains et faire quelques bonds.

Apogée du spectacle : un b2b de l’espace entre Jeff Mills toujours sur sa 909 et le percussionniste de l’orchestre, d’une durée de 2 minutes (dans ce cadre là, c’est long).

Le résultat global est au-delà de nos espérances. D’une part la rareté et la pureté de ce genre de performances donne au concert une étiquette mystique et envoutante. On n’est pas près de revoir un dj aussi connu et ancien mettre ses morceaux sur partition et les jouer en live avec un orchestre. A cela s’ajoute une très discrète communication autour des deux concerts, qui va de pair avec la magie mélodieuse du soir.

Il est bon de noter que ce genre de concert se marie très bien avec l’expression « c’est bon, je peux mourir maintenant ! », enterrant toutes celles dites auparavant.

Le concert à la salle Pleyel, très bien filmé par Arte Live Web :