A Scargrave Manor de Stephanie BARRON
(Challenge Austenien - 3)
Editions du Masque (Labyrinthes),
2009, p. 446
Première Publication : 1996
Pour l'acheter : Jane Austen à Scargrave Manor
Grande admiratrice de Jane Austen, Stephanie Barron
a réalisé un vieux rêve en faisant vivre à cet auteur
prévictorien, à l'existence en apparence très tranquille,
des aventures où interviennent de nombreux
personnages historiques. Elle vit à Evergreen,
dans le Colorado.
sobel Payne, comme beaucoup de jeunes filles désargentées de son époque, a fait un mariage de raison avec le vieux lord Scargrave. En un jour elle voit disparaître ses ennuis financiers mais aussi ses rêves d’amour romantique. Jusqu’à ce qu’elle fasse la connaissance du charmant neveu de son mari. Mais voilà que lord Scargrave meurt brutalement, laissant la jeune femme dans une situation délicate. Avec une si jeune et jolie veuve, les méchantes langues ont vite fait de se déchaîner. Jane Austen viendra au secours de son amie Isobel mais aura fort à faire pour éviter le scandale et la protéger des médisants qui jugent la mort du lord un peu trop opportune…
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ane Austen fait partie de ces auteurs que j’aime d’amour et est une des seules pour laquelle je tente de lire, non seulement toute son œuvre, mais également tout ce qui se fait autour. Et autant vous dire qu’autour de Jane Austen, il y a un paquet de trucs plus ou moins bons qui sortent tous les mois (oui oui, côté littérature anglo-saxonne, la grande Dame inspire toujours, 200 ans après avoir vécu !). Bref, Stephanie Barron fait partie des nombreux écrivains s’étant inspirés, plus ou moins largement, des écrits ou de la biographie de l’anglaise et en est, pour le moment, au onzième titre sur le sujet ! Jane Austen à Scargrave Manor est le premier de la série mettant en scène Jane Austen… en tant que détective ! Après tout, pourquoi pas ?
Dans sa préface, Stephanie Barron nous explique que ce roman est né de la découverte, chez des amis à elle, de manuscrits et lettres rédigés par Jane Austen elle-même ! Après quelques recherches sur internet, mon soupçon s’est confirmé : tout cela n’est que fiction. L’auteure s’amuse et nous offre un texte sorti entièrement de sa propre imagination. Et pour la petite anecdote, Stephanie Barron - de son vrai nom Francine Mathews - aurait apparemment travaillé comme analyste de la CIA pendant quatre ans !
Après cette mise en bouche, vous vous demandez toujours si j’ai aimé ou non ma lecture ? Et bien oui, j’ai apprécié. Je n’ai pas adoré mais j’ai été assez conquise pour envisager de lire le tome suivant dès que j’en aurai l’occasion.
Ce sont clairement les longueurs de la première moitié du texte qui pourraient entacher mon appréciation finale. En effet, il faut bien attendre la deux-centième page pour que l’enquête se mette véritablement en place. Avant cette limite qui correspond grossièrement, dans le fond, au début du procès, Stephanie Barron met en place son intrigue, son contexte et les personnages qui y évoluent. Je comprends ce choix et ne suis pas foncièrement contre, mais un peu plus de « peps » n’aurait tout de même pas été de refus. En revanche, une fois l’enquête vraiment lancée et Jane Austen pleinement investie de sa mission, le suspense est bien présent et les pages se tournent toutes seules : le lecteur veut connaître le nom du coupable et le mobile !
Le déroulement de l’enquête va donc exponentiellement. Au début, un seul homme trouve la mort et on pense celle-ci naturelle puis, par la suite, les évènements étranges se multiplient ainsi que les cadavres. Sans être vraiment extraordinaire, j’ai trouvé l’énigme plutôt bien trouvée et menée. Je me suis laissée entraîner aux côtés de Jane Austen et j’ai suivi la résolution avec beaucoup de curiosité. Le nom du coupable et les explications du forfait sont amenés petit à petit. Tout cela m’a paru plausible et a réussi à me convaincre.
A part une ou deux scènes que j’ai jugées plutôt ridicules (dans ses relations avec un certain personnage et lorsqu’elle croise un « fantôme »), je trouve que Stephanie Barron s’est assez bien imprégnée de la biographie de Jane Austen et parvient à la mettre en scène de façon vraisemblable. Grâce à son esprit que beaucoup qualifie de vif, je n’ai aucun mal à l’imaginer dans la peau d’une « détective », observant et scrutant son entourage à la recherche du moindre indice, comprenant avant tout le monde l’assemblage du puzzle. Je pense que l’auteure connait bien la biographie de son héroïne mais également l’œuvre de celle-ci puisqu’ elle intègre des références aux romans de Jane Austen. Ces clins d’œil sont amusants et agréables à retrouver pour ceux ayant lu son œuvre.
De toute façon, il me semble qu’il faut avoir un minimum de « connaissances » sur Jane Austen et ses romans pour se lancer dans la lecture de cette série, sinon, même si l’enquête est divertissante, elle perd tout de même beaucoup de son intérêt. En effet, Stephanie Barron fait des parallèles entre ses personnages et ceux, célèbres, de son héroïne détective et installe un contexte très similaire aux romans de la Dame. On retrouve donc l’indispensable bal, les occupations féminines autour des broderies, la jeune demoiselle superficielle, la mère cherchant à tout prix à marier sa fille ou encore le jeune officier beau parleur. L’ensemble est bien construit et plutôt immersif. Je n’ai pas eu beaucoup de mal à être transportée dans ce manoir de Scargrave, auprès d’une Jane Austen détective en robe empire.
Comme dans la plupart des romans de l’anglaise (Persuasion, Orgueil et préjugés, Emma…), les personnages sont nombreux et leurs relations très enchevêtrées. La lecture des premières pages n’est alors pas très aisée (au début je confondais les deux frères Hearst) mais on s’habitue vite à la généalogie particulière de ces familles anglaises du début du XIXe siècle. Et c’est un parallèle supplémentaire que l’on peut faire avec les récits ayant inspirés Stephanie Barron, ce n’est donc pas un point complètement négatif.
L’ensemble du roman est écrit sous forme de journal intime, exclusivement du point de vue de Jane Austen. C’est assez agréable de pouvoir s’imaginer suivant les pensées de cette auteure que j’apprécie tant et même si, je sais qu’il s’agit d’une fiction, j’ai apprécié découvrir les réflexions et réactions de la romancière, ici transformée en détective.
Stephanie Barron a tenté de copier le style de Jane Austen et si, pour plusieurs éléments, elle s’en approche assez, dans l’ensemble, j’ai trouvé qu’il manquait quand même beaucoup de l’ironie mordante de mon auteure féminine favorite. Disons que même si l’action n’est pas ce qu’il y a de plus présent dans l’œuvre de celle-ci, le style a quelque chose de « vivant »… Pour moi, les livres de Jane Austen ne sont pas du tout ennuyeux, ils ont une sorte de « peps », quelque chose d’unique. Ici, chez Stephanie Barron, je n’ai pas retrouvé cet élément, j’ai plus eu une impression de « mollesse » (surtout dans la première moitié). Ce n’est pas mal écrit, pas du tout, mais ça manque d’un je ne sais quoi.
On peut parfois reprocher la référence d’un livre à Jane Austen, souvent dans un but commercial mais ne rendant pas du tout hommage à l’auteure. Stephanie Barron n’a pas produit un chef d’œuvre mais le lien à l’une des plus célèbres romancières anglaises n’est pas usurpé. « L’esprit Jane Austen » est, dans l’ensemble, bien respecté, et j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre les réflexions de l’héroïne détective, malgré une première partie de roman un peu longue.
"Recevoir la fortune et l'apparence de Fanny Delahoussaye, mais être en échange privée de la raison et de l'esprit que je me flatte de posséder, me serait assurément intolérable ; mais quand je vois la certitude avec laquelle elle forme des projets de mariage, et les facilités qui sont les siennes pour accéder à l'état conjugal, j'avoue que j'aimerais bien être à sa place, au moins pour quelques heures. J'ignore ce qu'il en est d'être à la fois belle et riche ; je ne dois mes conquêtes qu'à la vivacité de mon esprit et à mon caractère enjoué, lesquels m'ont permis de vaincre bien des préventions à mon endroit. Mais quelle femme se satisferait de bonne grâce de ce genre de victoires, s'il lui faut comme moi rester célibataire, tandis que d'autres jouissent du privilège de la beauté et de la fortune ?"
"Une fois délivrée de l'atmosphère étouffante de ces pièces au luxe ostentatoire et pesant, ma cousine poussa un soupir de soulagement.
- Cette pauvre Honoria est une atroce vieille rombière, déclara Eliza en gravissant le marchepied de la calèche dans un tourbillon de soie verte, mais au moins nous a-t-elle dit ce que nous voulions savoir.
[...]
- Je ne cesserai jamais de remercier le Destin de m'avoir conduite en France, répondit-elle comme l'attelage s'ébranlait. En allant à la guillotine, le comte a fait plus pour mon avenir qu'il ne le pouvait soupçonner. De fait, il m'a épargné l'épreuve de dépérir d'ennui à ses côtés, si bien que sa mort ne fut pas complètement inutile."