Le Prix Nobel de physique vient d’être attribué au Français Serge Haroche et à l’Américain David G. Wineland (quel joli nom) pour leur travaux en physique quantique. Les deux lauréats ont été récompensés pour leur étude de l’interaction entre la lumière et la matière. Pour les néophytes en cette discipline, la physique quantique s’intéresse à l’infiniment petit, à l’échelle subatomique. Dans ce cadre, les coordonnées des particules élémentaires (comme le fameux boson de Higgs) ne se déterminent pas selon un plan (x,y,z) mais selon un groupe de probabilités. En effet, un élément se propage à la fois sous la forme de matière et sous forme d’onde, ce qui est très bien rendu par la fameuse expérience d’Afshar, ou par le non moins célèbre chat de Schrödinger, qui était à la fois mort, vivant ou les deux à la fois, ce qui ne facilite pas le choix des croquettes. En bref, à l’échelle quantique, il n’existe pas de situation binaire de type oui/non, ce qui rend extrêmement complexe l’isolat d’une particule. L’exploit de Serge Haroche consiste à avoir isolé un photo pendant 13 centièmes de seconde.
François Hollande s’est empressé de féliciter notre Nobel national, en soulignant l’excellence de la recherche française. Hélas, trois fois hélas pour les passionnés de physique, l’excellente recherche française ne se porte pas si bien que cela. Serge Haroche, qui tient également une chaire au Collège de France, aimerait bien que la recherche fondamentale soit plus attractive. Notons par ailleurs que Serge Haroche, diplômé de Polytechnique, aurait pu couler des jours heureux de patron ou de haut fonctionnaire. Mais il a préféré s’user les yeux et la matière grise à la traque du photon.
Or, il faudrait une meilleure grille de salaires, des budgets élargis et des projets à long terme , pour conserver les meilleurs chercheurs et pour pouvoir empêcher la fuite des cerveaux (les vrais, pas ceux qui fuient pour des raisons fiscales) vers la filière « recherche et développement » plus axée sur la chasse aux débouchés économiques. C’est la stratégie portée par l’Union Européenne, via le Traité de Lisbonne et ses avatars, qui vise à consacrer 3% du PIB à la recherche et au développement pour créer un espace économique de la connaissance et de l’innovation. C’est un objectif louable, mais ce n’est guère suffisant sans recherche fondamentale. Et malheureusement le but avoué est moins la « société du savoir » que la compétitivité.
La compétitivité, tout le monde n’a que ce mot à la bouche en ce moment. C’est précisément ici qu’on passe du minou de Schrödinger au chien de Pavlov, vous savez celui que l’on conditionne à baver selon toute une gamme de stimuli. Ainsi, dès que l’on prononce le mot « impôt », le Medef et ses copains aboient à tout rompre. Et dès que l’on prononce la locution « règle d’or », les politiques de droite comme de centre-droit qui composent la quasi-totalité du Parlement (et des gouvernements depuis des lustres), remuent la queue et donnent la patte à Cruella Rigueur qui veut se faire un manteau en cuir d’assisté.
Christine Lagarde l’a avoué, du haut de sa chaire du FMI: puisqu’il est impossible de toucher à l’euro, le seul moyen de rendre l’économie européenne compétitive, c’est de faire baisser les salaires. Regardez comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal sont compétitifs maintenant qu’on les a bien dépouillés. Observez, de vos yeux ébahis, comme l’Europe de la connaissance et de l’innovation éclaire le monde libre de sa lumière sacrée depuis que le déficit structurel des Etats-membres est rigoureusement encadré.
Il faut le préciser: si l’Allemagne est le « bon élève » de l’Union Européenne, c’est certes parce qu’elle s’est empressée de raboter son droit social, mais c’est aussi parce qu’elle a poursuivi un effort d’innovation qui lui permet d’exporter aujourd’hui des produits de qualité. Sauf que sabrer dans le budget, c’est une stratégie à court terme, et que la recherche, fondamentale ou appliquée, est un travail de longue haleine qui est en plus phagocyté par le système des brevets et de la propriété intellectuelle. Les belles promesses de la stratégie Europe 2020 (qui encadre les projets scientifiques européens) risquent donc de rester longtemps lettre morte tant qu’ils ne pourront dégager de la rentabilité à court terme. D’ailleurs, on ne parle quasiment jamais des enjeux de la recherche et de l’éducation dans les débats sur l’Europe ou pendant les campagnes électorales.
On recherche déjà de l’argent et des terroristes, on ne peut pas être sur tous les terrains. Ou alors on peut. Ou alors on peut et on ne peut pas. Miaou!