Au XIXe siècle, la mode du bas continue doucement son évolution. D'une grande simplicité au XVIIIe siècle, le bas s'orne au fil des décennies d'embellissements toujours plus complexes. Rivalisant de luxe et d'élégance, il accompagne les robes des élégantes de la délicatesse de ses jours et de ses dentelles, et revêt peu à peu toutes les nuances des toilettes féminines.
1830 : La vogue du bas blanc
Dans les années 1830, le bas blanc à la mode. Il donne « sous les robes noires ou de couleur, une jolie note de lumière »(1), et, bien fin, il dessine parfaitement le pied et la jambe.
Les plus élégantes portent « des bas de soie blancs unis, aussi fins qu'une gaze transparente »(2), mais le plus souvent, les bas sont en coton.
On trouve des bas de coton à tous les prixLes moins chers sont unis et écrus, de la couleur du coton non blanchi, puis ce sont les bas blancs unis, les plus chers étant les bas de couleur, unis ou richement brodés.
Les bas de coton sont légers et parfaits pour la belle saison, de même que les bas de fil.
La nouveauté est le fil d'Ecosse, dont l'aspect brillant et régulier « égale en beauté le bas de soie » et connaît un succès croissant.
Le fil d'Ecosse, qui n'a d'écossais que le nom puisqu'il est alors fabriqué en France, est un fil de coton de grande qualité composé de 3 ou 6 fils très retors*, quand les autres types de fils n'en contiennent que 2 ou 4 au plus. Les bas en fil d'Ecosse sont fabriqués dans toutes les couleurs, essentiellement en blanc ou en noir(3), et ils sont presque tous à jours(4)
Les bas de fil de Saxe sont également une nouveauté. Ecrus ou blanchis, ils sont aussi très appréciés l'été, et sont, dit-on, plus proche encore de la soie par leur brillant(5)
Pour l'hiver, ce sont les bas de laine qui sont le plus portés. Ils sont noirs, gris ou chinés(6).
Mais la laine est un peu rude, et on les double parfois de bas de coton très légers pour empêcher son frottement sur la peau(7)
A ces bas de laine, les riches coquettes leur préfèrent les bas de soie ou de coton. Elles les portent aussi à jours quand il fait froid, sous lesquels elles mettent des bas de soie ou de cachemire de couleur chair(2)et(7)
Les bas sont très souvent brodés, à la main et de préférence ton sur ton, « avec une délicatesse de points variés à l'infini »(8)
« On brode sur tricot à jour, de fil d'Ecosse, ou sur un bas de tulle ouvragé, des dessins à semé, à colonnes, à fleurs variées. Cette broderie se fait au plumetis. C'est encore la même en soie blanche, ou noire, ou même de couleur, sur les bas de soie blancs, noirs, gris, etc. On brode quelquefois maintenant des bas de fil d'Ecosse extrêmement fins, à fil d'or»(9)
« Pour les bas à jour, les dames de goût trouveront les dessins les plus à la mode, tels que dessins à la parisienne, mappemonde turque, égyptienne, tricot de Berlin, polonaise, grecque, extrafins ; dessins tricotés à la main et rapportés, les trois coins* dentelle à baguettes ; grands et petits dessins en blanc écru »(10).
. « On en voit même au travers desquels on aperçoit entièrement la jambe ; les broderies alors sont mates sur le cou de pied »(6)
Selon le moment de la journée, les dames riches changent leurs bas, tout comme elles changent leur robe.
Ainsi, les matin, elles choisissent des bas en fil d'Ecosse, unis et très clairs, sans jours. Les plus ouvragés restent discrets : bas de coton gris ornés de dessins noirs(2), ou bas clair dont « les coins* seulement ont un montant de deux petites guirlandes qui font la flèche, en se joignant dans leurs extrémités »(5)
Enfin, pour une toilette plus habillée, elle enfile alors des bas blancs à jours, aux dessins légers et délicats, de soie ou de fil d'Ecosse.
1860 : Le bas s'assortit à la tenue et il découvre la fantaisie
Dans les années 1860, le bas blanc est toujours à la page.
On commence malgré tout à apprécier les bas de couleurs, de même que « les bas de fantaisie », car « les toilettes d'aujourd'hui exigent des bas assortis aux robes »(11)
On assortit donc désormais les bas « aux nuances des robes, en soie ou en filoselle*, les bas de soie à coins* brodés Louis XV, les bas brodés en paille ou en perles et tout ce qui constitue la grande fantaisie ». Au Grand-Frédéric, qui possède sa propre fabrique à Paris, « il suffit d'envoyer un échantillon pour recevoir peu de temps après des bas de la même nuance »(11)
La boutique, rue du faubourg Saint-Honoré, émerveille ses visiteurs, «étonnés du luxe des bas dont le pied est couvert de riche dentelle et émerveillés de la perfection avec laquelle cette dentelle est appliquée par une broderie de soie. Les bas de soie à dentelle et les bas de soie blanche si richement brodés méritent aussi un point d'admiration. Il y a ensuite les bas de soie de couleur jaune à coins* noirs, bleus et lilas à coins blancs, rouges, verts et violets à coins noirs, puis les unis sans coins »(12).
Cette diversité accompagne les élégantes tout au long de la journée.
Le matin, ce sont des bas de mérinos de couleur, ou bien des bas de coton ou de filoselle* chinés gris et noir, ou gris et marron. L'après-midi, des bas de soie assorties à la robe. Pour le soir, des bas à coins* brodés Louis XV(13)
1890 : Le bas blanc fait place au bas de couleur
Dans les années 1885-1890, le bas de couleur a désormais les faveurs des élégantes.
« Une véritable révolution s'est en effet opérée, et voilà bien des années que le bas blanc a été biffé du livre d'or des bas qui se respectent. Bon pour les cuisinières, tout au plus, le bas blanc, à moins qu'il ne soit un bas de dentelles et qu'il n'apparaisse dans le frou-frou neigeux d'une robe toute blanche, le soir, au bal ou à l'Opéra »(14)
« Les couleurs les plus en vogue sont le noir, le rouge (seulement pour le voyage ou l'été avec certaines toilettes) ou l'écossais, ainsi que les bas à raies verticales ou horizontales. D'autres couleurs se portent aussi, assorties aux toilettes de fantaisie» (15)
En revanche, le bas clair est préféré au bas foncé qui a été à la mode quelques temps, assorti au costume, et qui donne aux femmes « des jambes de coq ». Le bas clair quant à lui, galbe joliment « leurs jolis mollets ». Et si l'on veut ajouter à la finesse de la cheville, contrastant avec le galbe du mollet, « un large coin sombre sur la cheville en complète la science raffinée, rendant le pied plus étroit et soulignant ce coude-pied»(14).
Les bas s'ornent de raffinements dont la délicatesse et la richesse s'oppose à la simplicité des broderies ton sur ton d'autrefois. Ils sont rayés, décorés de dessins ou de broderies, et sont garnis de dentelles.
« Avec le bas blanc, le coton a également presque disparu, remplacé par le fil d'Ecosse, lorsque ce n'est pas la soie qui pose sur la jambe fine son fil arachnéen ainsi qu'un imperceptible épiderme »
A la belle saison, la légèreté du fil d'Ecosse a la préférence. Les bas de fil d'Ecosse offrent une grande diversité : brodé, carrelé, rayé, losangé, à coins*, à mouches, à facettes, bas d'Arlequin, bas Mazarin, bas à Colin, bas Watteau, bas Directoire à coins excentriques.
L'hiver, la soie est bien chaude, mais elle demeure un objet de luxe, et ceux qui ne peuvent se le permettre portent des bas de laine, qui ne présente malheureusement pas la finesse et l'élégance des bas de coton.
Par contre, en dehors des temps froids, sachez que, « avec les toilettes d'été, le bas de soie serait absolument déplacé »(14)
A cette époque encore, la mode demande d'assortir les bas à la toilette, ainsi qu'aux différents moments de la journée. « La règle absolue, pour le bas de fil comme pour le bas de soie, c'est l'assortiment absolu au costume »(14).
La couleur du bas s'assortit à celle de la robe. Ses rayures, dessins et broderies, ses dentelles, rappellent ceux de l'ensemble de la toilette. Pour une tenue unie, le bas se brode ton sur ton.
Ainsi, un bas bleu pâle convient à un costume bleu sombre, grenat, bronze ou vert myrte. Lilas, il sied à une toilette violette ou prune. En soie dorée ou cerise, il est parfait avec une robe gris souris, loutre ou blonde(14)
« Le bas de fantaisie s'assortit aux costumes d'été. A toutes petites raies, c'est le plus ordinaire ; à pois, écossais, Pompadour, avec un semis de fleurettes, il est encore coquet ». « Joignons-y le bas madras, à grands carreaux ; le bas Colas, à toutes petites raies très serrées sur un fond assorti au costume ; le bas arlequin, à losanges ; le bas pompadour, à fleurettes. Comme on voit, les bas blanc fait la triste figure de Pierrot dans ce bigarrage»(14)
« Le bas de soie clair pour les toilettes de maison ou du soir, présente une fantaisie plus grande et un luxe plus varié et plus infini. Ici la dentelle trouve sa place, les fleurettes Pompadour, les broderies de toutes sortes, même l'or et l'argent ! »
« Pour le soir, le bas plus ou moins brodé, plus ou moins ajouré, appliqué de dentelle, s'assortit donc très exactement à la toilette, en soie très fine, azur, chair, fris d'argent, or, perle, etc. ; des palmettes d'or, de gentilles fleurettes brodées en relief, des coins* de dentelle noire ou blanche ou une application sur le cou-de-pied ajoutent à sa grâce»(14)
« Pour une robe de soie azur relevée sur une jupe de dentelles blanches, le bas de soie azur appliqué de dentelle blanche.
Pour une toilette rose garnie de dentelles noires, le bas rose résillé de dentelles noires.
Une robe pampillée exige un bas moucheté. Des dessins Pompadour doivent être reproduits sur le bas dont le fond est celui de l'étoffe.
Une robe de poult de soie maïs rehaussé d'or veut un bas maïs brodé d'or et appliqué de dentelle d'or.
Une toilette de crêpe blanc lamé d'argent, un bas de soie blanche et lamé d'argent.
J'ai vu une toilette de satin lilas de Parme, enguirlandée de roses et semée d'hirondelles. Le bas était en soie lilas, brodé de boutons de roses et de toutes petites hirondelles.
Pour une autre toilette en tulle blanc, couverte d'une pluie de pétales de roses, le bas blanc brodé des mêmes pétales roses»(14)
« Enfin, prenant un bas, voyez comme elle pose
Son pied mignon et nu sur son genou tout rose.
Le bas est mis, - il faut qu'il soit bien tiré !
Le précepte qui veut que, sur la jambe fine,
La main ne laisse pas un pli de mousseline,
En France comme ailleurs est un fait avéré.
La jarretière rose, au-dessus du bas blanc,
Fait aux genoux ensuite un beau noeud de ruban. »
(Les feuilles perdues, par Edouard Dangin, 1873)
Petit lexique :
*Retors : « La dénomination de fils retors s'applique à tous les fils ayant subi le retordage, qu'ils soient simplement doublés, c'est-à-dire formés de deux bouts seulement, ou qu'ils soient composés d'un plus grand nombre de bouts »(16)
*Coin : « Partie d'un bas dessinée en pointe, et dont l'extrémité inférieure répond à la cheville. » (17)
*Filoselle : « La filoselle est cette soie irrégulière, très commune, que l'on voit distribuée, comme à l'aventure, autour des longs fils qui forment le corps des cocons et que l'on rebute au dévidage. La filoselle porte aussi le nom de fleuret ou bourre de soie.
Autrefois, lorsqu'on avait dévidé la soie, on jetait sur les fumiers la coque des vers ; les Italiens seuls savaient utiliser la filoselle. Aujourd'hui, et depuis plusieurs années déjà, la filoselle se file et se met en écheveaux comme la soie. » (3)
Sources photos des bas : The Metropoltan Museum of Art
Sources :
1 - Le décolleté et le retroussé, 1910, de John Grand-Carteret
2 - Affiches, annonces judiciaires, avis divers du Mans et du département de la Sarthe, 1831
3 - Encyclopédie des gens du monde, Librairie de Treuttel et Würtz, 1839
4 - Encyclopédie du commerçant, par Guillaumin, 1839
5 - La mode : revue des modes, 1832
6 - Affiches, annonces judiciaires, avis divers du Mans, et du Département de la Sarthe, 1832
7 - Manuel des dames, ou l'art de l'élégance, par Elisabeth Celnart, 1833
8 - La mode : revue des modes, 1849
9 - Nouveau manuel complet de la broderie, par Elisabeth Celnart, 1840
10 - Journal des Deux-Sèvres, politique, littéraire, commercial, de la Société d'agriculture et de l'Athénée, 1830
11 - L'artiste, Beaux-Arts et Belles-Lettres, 1865
12 - L'artiste, Beaux-Arts et Belles-Lettres 1867
13 - L'artiste, Beaux-Arts et Belles-Lettres, 1866
14 - L'art de la toilette chez la femme : bréviaire de la vie élégante, par Aline de Laincel, 1885
15 - Le livre de la femme d'intérieur, par Oscar-Edmond Ris-Paquot, 1891
16 - Annales du commerce extérieur, Imp. Et Libr. Administrative Dupont, 1854)
17 - Dictionnaire de l'Académie française, 1835