La Michodière présente en cette rentrée une version inédite d'"Occupe-toi d'Amélie". Inédite car dépouillée d'un acte IV accessoire et dispensable, dont Georges Feydeau ne voulait pas, écrit et ajouté à l'oeuvre après coup sous la pression des directeurs de théâtres de l'époque qui imposaient, entre autres, deux entractes et davantage de fastes sur leurs plateaux. Ce sont donc les trois actes originels qui nous sont donnés à voir par une joyeuse bande de dix comédiens, impeccablement et finement dirigés par Pierre Laville, évoluant dans deux superbes décors. les amateurs du vaudevilliste seront comblés.
Est-il nécessaire de résumer Feydeau ? Le peut-on seulement ? Tentons (et simplifions !). Etienne part pour l'armée et confie la garde rapprochée de sa maîtresse, la ravissante cocotte Amélie, à son meilleur ami Marcel. En l'absence du premier, l'inévitable ne pourra être évité, les deux autres coucheront ensemble au cours d'une soirée trop arrosée. Les ennuis et quiproquos ne feront alors que commencer.
Mais peu importe l'intrigue. Car ce qui nous plait chez l'auteur, c'est sa maîtrise totale de la mécanique du rire, la virtuosité avec laquelle il fait se dépétrer ses protagonistes des situations les plus folles et les plus inextricables. C'est également son talent pour imaginer des personnages hauts en couleurs, irrésistibles, du rôle principal à la moindre silhouette. Valets improbables, étrangers farfelus, généraux d'opérette et princes de pacotille côtoient toujours cocottes, cocus et femmes du monde. C'est enfin son sens des dialogues impayables. "Occupe-toi d'Amélie" ne déroge pas à ces vérités énoncées. Sans être, à nos yeux, la meilleure comédie du dramaturge, elle se révèle des plus délectables.
Pour que Feydeau triomphe, il lui faut toutefois des interprètes à la hauteur, capables de s'engouffrer à 200 à l'heure et avec 40 de fièvre dans sa folie, restituant sur le plateau l'implaccable précision qu'il a couchée sur le papier. Nous l'écrivions en introduction, la troupe de la Michodière est excellente.
Bruno Putzulu, d'abord, incarne un noceur à la fois lunaire et nerveux, réjouissant à souhait. La façon dont son Marcel subit les évènements enchante le spectateur. L'acteur nous offre notamment un moment d'anthologie lorsque qu'il se voit contraint au réveil, dans une panique totale, de résoudre une division de tête, s'aidant pour cela de ses mains et de ses pieds. Quel ballet ! A ses côtés, Hélène de Fougerolles est une cocotte soignée, lumineuse et pétillante, à la diction appliquée. Ses débuts sur les planches sont une heureuse surprise même si l'actrice pourra encore gagner en assurance avec le temps et donner de l'ampleur à son personnage.
Autour d'eux, Jacques Balutin, en père populaire d'Amélie, malmène la langue française avec un plaisir non feint et insuffle au spectacle une cadence excellente grâce à son expérience du boulevard. Serge Ridoux compose brillamment un hollando-belge un tantinet ahuri. Jean-Christophe Bouvet est un prince autoritaire à la libido débordante et mal maîtrisée des plus cocasses. Stéphane Roux, l'ami trahi, est un cocu distingué à la vengeance malicieuse, Julia Duchaussoy une comtesse au sang diablement chaud, Antoine Courtray un jeune domestique à la fois impertinent, espiègle et attendrissant. Citons enfin Jean-Christophe Barc et Constance Chaperon qui complètent hamonieusement cette distribution.
Si le spectacle devra un peu gagner en nervosité dans les semaines qui viennent (mais ce sont les premières...), il fait d'ores et déjà montre d'une belle qualité. Pierre Laville monte Feydeau dans les règles de l'art et lui apporte en plus une certaine élégance qui n'est pas là pour nous déplaire.
Un très bon moment de pur divertissement.
Allez-y !