Le reclus de Moixiens : Job

Par Unpeudetao

Pauvre et riche, infirme et sain,
prêtez-moi quelque attention,
et puis je prendrai congé de vous.
Craignez un homme que je crains.
C’est Job, qui souffrit maint coup dur.
Job, quand on l’eut logé sur le fumier,
eut le corps tout envenimé,
mais jamais son coeur ne s’éloigna
de Dieu pour rien ni pour beaucoup.
Pensons à Job, vous et moi,
car nous serons jugés par Job,
quand nous viendrons devant la face de Dieu.

Job fut ardent en charité,
Job fut donneur non retardataire,
Job fut le père des orphelins,
Job fut le défenseur des veuves,
Job fut le redresseur des torts,
Job fut le cousin des étrangers,
Job fut le secours de ses voisins,
Job fut l’hôte des pèlerins,
Job ne rendait pas le mal,
Job fut simple et sans ruse,
Job fut éprouvé comme l’or fin.
Job s’entendit à toutes les vertus.

Job n’usa pas de richesse
comme le monde en a l’habitude,
car beaucoup en usent mal.
Job ne musa pas au monde,
Job renonça aux mauvais usages.
Aujourd’hui j’en vois beaucoup qui musent
et peu qui renoncent aux mauvais usages :
ils refusent d’honorer ce qu’on doit honorer ;
mais Job jamais ne le refusa.
J’en vois beaucoup qui s’excusent
de ce dont leur coeur les accuse,
mais Job jamais ne s’excusa.

Job donna des preuves de sa charité ;
il n’attendait pas qu’on le priât.
Où sont ceux qui donnent telles preuves ?
Job ne couva jamais nul trésor,
tant qu’il trouva à qui donner.
Mais maintenant les pauvres trouvent peu d’hommes
qui leur donnent, même quand ils les implorent ;
et quelques-uns regrettent leur don,
mais Job jamais ne se le reprocha.
Que devient ce que les avares couvent ?
Les diables incarnés découvrent tout,
et peu ou néant en tourne à profit. (..)

 
Le reclus de Moixiens (Premier tiers du XIIIe siècle).
Traduit du picard (Extrait de Carité, in Anthologie poétique française. Moyen Âge 1).

*****************************************************