Après l'Amérique Latine, l'Europe

Publié le 10 octobre 2012 par Uscan
OkeaNews : Après le succès de Debtocracy et un changement perceptible (mais encore insuffisant) de la vision de la situation en Grèce dans beaucoup de pays d’Europe (je pense aux mouvements de solidarité qui sont apparus un peu partout dans le monde), pensez-vous que l’opinion publique a changé de regard envers la Grèce et envers les grecs ?
Katerina Kitidi :
Il est vrai que la perception du public est en train de changer sur la Grèce, principalement dans les pays qui sont confrontés aux mêmes problèmes financiers dans le cadre de la zone euro. Les faits ont émergé qui prouvent que les Grecs travaillent aussi durement que les citoyens d’autres nations européennes ou que la taille du secteur public grec est dans la moyenne de celle de l’OCDE. Il est aussi plus largement admis que les politiques d’austérité imposées par la troïka (Union européenne, FMI, BCE) avec la collaboration du gouvernement grec ne peut que plonger le pays dans une récession plus profonde, avec des conséquences catastrophiques pour la population.
La solidarité vis-à-vis de la Grèce est un soulagement pour les citoyens du pays, surtout quand il résulte de la profonde compréhension des causes de la crise. Je dis cela en tenant compte d’une observation que le philosophe slovène Slavoj Zizek a fait lors d’une interview que nous avons eu pour notre prochain documentaire, »Catastroika ».
Comme Zizek le dit, il ne faut pas tomber dans le piège d’une fausse compassion concernant la Grèce. Beaucoup de gens à l’étranger disent:  »Oh les pauvres Grecs, ils n’ont pas d’argent pour nourrir les enfants», etc. Bien sûr, cela est vrai. Mais en montrant les choses de cette façon, la crise financière est en quelque sorte présentée comme une catastrophe naturelle. Comme si les Japonais avaient Fukushima et les Grecs avaient la crise. Comme Zizek l’explique, en réalité, la Grèce est utilisée comme un rat de laboratoire pour le reste de l’Europe, à la fois dans le secteur financier et dans le domaine politique. Un nouveau type de gouvernement autoritaire est testé en Grèce, qui reste démocratique seulement en surface. La Grèce n’est pas une nouvelle Somalie, comme il le souligne. Nous nous battons et nous aimerions que tous les peuples de l’Europe se battent avec nous pour la démocratie et la justice sociale.
Les évènements du 12 février dernier ont été très largement médiatisés dans un sens unique : les émeutes et les violences. Pour vous, quelles en sont les raisons et les effets sur la population grecque ? Pourquoi avoir sous évalué le nombre de manifestants pacifiques ? Pourquoi les médias ne parlent-ils pas de la violence policière envers la majorité de manifestants pacifiques lors des manifestations ?
Le 12 Février, lorsque les nouvelles mesures d’austérité de 3,3 milliards d’euros ont été votées au parlement grec, il y avait d’énormes manifestations qui s’y opposaient, pas seulement à Athènes, mais aussi dans d’autres villes. Les gens étaient dans leur grande majorité pacifiques, et malgré les efforts de la police de les disperser très tôt dans la journée avec des gaz lacrymogènes et des matraques, ils revenaient sans cesse vers la zone de manifestation. Avec le nombre sans précédent de manifestants, la violence des autorités était la caractéristique la plus importante de la journée. Mais ce n’est pas l’image projetée par les médias.  Les télévisions ont uniquement axé sur les destructions causées par l’«autre camp» principalement à des banques et à des magasins des multinationales, et sur un niveau secondaire à d’autres bâtiments, comme les deux cinémas.
Beaucoup de gens disent que cette violence a été largement causée par des agents provocateurs. Comme l’histoire l’a déjà montré lors des manifestations précédentes, cela pourrait très bien être vrai. Cependant, il ne faut jamais oublier que c’est seulement une certaine partie de la population qui peut réagir avec violence à la violence systémique d’un Etat qui les a plongés dans une telle situation horrible. Parfois, nous entendons dire que 2 millions de personnes vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté et que 1 million de plus vivent dans une situation d’exclusion sociale. Le taux de chômage atteint officiellement 21% et 400.000 personnes travaillent sans être payés. Un grec sur trois n’a pas d’assurance santé et les salaires ont chuté de 22 à 32%. Mais la plupart du temps, nous oublions que derrière les chiffres il y a des gens. Des gens frustrés et en colère. C’est pourquoi il y a des photographies, par exemple, de personnes de 70 ans jetant des pierres à la police.
En ce qui concerne les médias, dans leur grande majorité, ils soutiennent les décisions  financières et politiques du gouvernement et de la troïka. En se concentrant sur les destructions de bâtiments, ils créent une image de l’anarchie et de la peur qui dissuade les gens de protester dans les rues.
Pour vous, quel est le but des cures d’austérité, quand on sait désormais qu’elles n’aboutissent qu’à la destruction de la macro-économie et des acquis sociaux ?
Le but du programme d’austérité est double: d’une part, il permet de donner aux banques et aux autres détenteurs de la dette grecque le temps de la transférer aux contribuables grecs et européens. Comme l’économiste Costas Lapavitsas l’a récemment fait remarquer, la politique de l’UE a ainsi réussi à transformer un problème de dette entre un Etat et ses bailleurs de fonds privés par un problème de la dette entre les Etats et les organisations bilatérales. D’autre part, le programme d’austérité a visé et a réussi à violer toutes sortes de droits pour les travailleurs, qui avaient été conquis par les travailleurs dans des revendications douloureuses durant le 20ème siècle.
Peut-on parler d’une volonté cachée de s’approprier des biens publics à bas cout ?
Au nom du remboursement de la dette, le gouvernement est en effet en train de mettre en vente des propriétés privées à un prix très faible, non seulement à des acheteurs étrangers, mais aussi aux  élites financières grecques. Sur le même temps, il prend des décisions hâtives de politique étrangère, en formant des alliances maladroites, ce qui fait diminuer encore plus son rôle dans l’échiquier mondial.
Il est important de noter que la récession actuelle en Grèce n’a pas de précédent dans les dernières décennies à travers le monde entier. Une telle destruction massive des ressources sociales se passe seulement au cours des périodes de guerre. Ni en Argentine, ni en Russie n’ont été observées une réduction de 17% du PIB, comme nous l’avons maintenant en Grèce.
La campagne de privatisation a débuté avec des appels d’offres lancés par le gouvernement. Que pensez-vous de ces privatisations, sans révéler le contenu de catastroika ?
La vente des biens publics qui a lieu en Grèce a été tentée à plusieurs reprises dans des circonstances similaires. Les mêmes personnes, qui ont entrepris la vente des services publics dans les pays latino-américains, ont maintenant déplacé leurs sièges dans les pays de la périphérie européenne – et les plus compétents d’entre eux ont voyagés à Athènes au cours des derniers mois.
La procédure suit toujours exactement les mêmes étapes : au début, le gouvernement, en collaboration avec les médias de masse, lance une attaque vigoureuse contre les fonctionnaires, qui sont présentés comme les responsables de tous les déboires financiers du pays. Le mythe d’un secteur public sur-dimensionné est souvent basé sur la manipulation de données par des organisations qui ont soutenu et soutiennent encore le gouvernement. Parallèlement, les organismes publics spécifiques sont délibérément laissés à leur sort et non pris en charge et les citoyens sont exaspérés en raison de leur inefficacité. Le processus est complété par la vente des organisations publiques les plus rentables, pour une fraction de leur valeur réelle.
Pensez-vous que le choc en grèce a laissé place à l’action ?
Comme dans d’autres endroits, où une telle thérapie de choc  a été appliquée, beaucoup de gens en Grèce se sentent engourdis par la situation. D’autres, malheureusement, ont encore l’idée fausse qu’ils se débrouillent pour échapper à la crise. Toutefois, en raison de la gravité de la situation, le temps historique en Grèce se rétrécit rapidement et les gens pourraient bientôt atteindre la limite de leur tolérance. Cela pourrait très probablement déclencher une insurrection.
Comment voyez vous l’avenir proche de la Grèce avec les élections qui semblent se préciser pour avril ou mai ? Quel est votre regard sur les partis politiques  actuels et en formation ? 
Malgré l’effort de présenter l’actuel premier ministre Lucas Papademos comme un technocrate immaculé qui va tout arranger, il est maintenant clair que beaucoup de gens n’ont pas confiance en sa manière de gérer la situation. Papademos n’a aucune légitimité et aucune influence dans la société grecque, mais il pourrait bien être maintenu à son poste après l’élection, en fonction de l’équilibre des forces entre les deux grands partis politiques. Un gouvernement d’unité entre eux, comme celui que nous avons maintenant, ou peut-être avec l’aide d’un ou plusieurs petits partis est le résultat le plus probable des élections selon les sondages. Il est important de noter que le plus grand pourcentage dans les sondages est celui des personnes qui répondent « je ne sais pas » à la question « Pour qui allez-vous voter? »
Le soi-disant parti social-démocrate (PASOK) va probablement gagner environ 13-17%, tandis qu’à droite, la Nouvelle Démocratie est à 25% environ dans les sondages. Même ce nouveau gouvernement sera un gouvernement instable. Sa principale fonction sera de voter un nouveau paquet de mesures d’austérité en juin, qui sera imposé à la suite de l’échec du budget de 2012. Ce paquet ancrera  plus profondément la Grèce dans la récession dans laquelle elle est depuis les cinq dernières années.
En ce qui concerne les nouveaux partis qui sont maintenant créés, la plupart d’entre eux rassemblent des visages connus du système politique, qui proviennent de ces deux principaux partis. Ils sentent le grand mécontentement de la population et ils essaient de sauver leur avenir politique. Cependant, les idées qu’ils prêchent ne remettent pas en cause les véritables raisons qui ont amené la Grèce au mémorandum avec la Troïka. En fait, ils essaient de sauver le système actuel, inhibant ainsi des réactions plus radicales vers un avenir plus juste et plus démocratique avec l’égalité pour tous.
Que pensez vous du mouvement Rebranding Greece / Give Greece a Chance qui souhaite changer l’image de la Grèce ?
Le problème de la Grèce n’est pas un problème de marketing, d’autant que les entreprises qui soutiennent cette initiative ont applaudi les politiques du FMI et de la BCE.
Comment le citoyen européen peut-il aider concrètement la Grèce et la population grecque ? 
Chaque citoyen devrait comprendre que nous sommes tous victimes des mêmes politiques et que chaque nouveau prêt proposé à un pays endetté, comme la Grèce, rapproche d’un pas de plus vers la soumission financière et politique au diktat de la troïka. Ainsi, la meilleure façon pour chaque citoyen est de se soulever contre son propre gouvernement si celui-ci décide ce genre de politique.
Pour revenir à Catastroika, les donations ont-elles été suffisantes pour financer le projet ? Avez-vous une date officielle de sortie ?
Le documentaire sera diffusé dans les dernières semaines d’avril. Il y a eut de nombreux dons et de nombreuses personnes étaient prêtes à aider, mais les sommes données ont été beaucoup plus petites que dans le cas de Debtocracy, en raison de la crise. Beaucoup de personnes de l’étranger ont également contribué à travers notre site web www.catastroika.com, depuis qu’ils se rendent compte que le documentaire présente également la situation de leur propre pays.
Source : http://www.catastroika.com/detailsfr.php?id=255