Dossier : réception du Concile Vatican II, deuxième partie – voir la première partie
Cinquante ans nous séparent du IIe concile oecuménique du Vatican qui a débuté le 11 octobre 1962. Les ouvrages sont légion pour nous décrire son extraordinaire impact du point de vue théologique et pastoral. Toutefois aucun, à notre connaissance, n’a abordé la question de sa réception en France de 1965 à nos jours. Voici une humble et rapide analyse historique d’un sujet sensible mais nécessaire à approfondir pour enterrer les vieux démons de l’après-concile.
Les démons de l’après concile avaient été parfaitement bien identifiés par le philosophe Jacques Maritain dans son livre Le paysan de la Garonne (1966), dans ce sens où, engouffrés dans le monde bipolaire, enfants d’un siècle sordide, précipités à l’orée de 1968 vers la libération des mœurs, du libertarisme et des derniers assauts de l’Idéologie à bout de souffle, les catholiques de ce temps ne pouvaient qu’être déchainés par les passions. Il est un des premiers à évoquer ce qu’on appelle « l’esprit du Concile ».
Il décrit la « fièvre néo-moderniste » qui s’est emparée du Concile, une espèce « d’apostasie « immanente » (j’entends décidée à rester chrétienne à tout prix) en préparation depuis bien des années et dont certains espoirs obscurs des parties basses de l’âme, soulevés ça et là à l’occasion du Concile, ont accéléré la manifestation, – mensongèrement imputée parfois à l’« esprit du Concile », voire à l’« esprit de Jean XXIII ». Ces mensonges-là, nous savons bien à qui […] il convient d’en faire remonter la paternité. Mais justement on ne croit plus au diable et aux mauvais anges, ni aux bons, naturellement. Ils ne sont que les survivants éthérés d’une imagerie babylonienne. »
Bien-sûr, il y eut le pontificat de Jean-Paul II jusqu’en 2005 qui donna une impulsion nouvelle à l’Eglise, offrant en France les mains libres au Cardinal Lustiger pour assurer le maintien d’un épiscopat modéré. Entre progressistes et traditionalistes l’objectif était de parvenir à un équilibre.
La Fraternité de Jérusalem à Saint-Gervais à Paris. Fondée en 1975, elle fait partie des multiples communautés nouvelles qui ont foisonné dans les années 1970.
Ce fut aussi l’époque de la fondation de multiples communautés nouvelles qui connurent pour la plupart beaucoup de succès, dont certaines aussi ont rapidement périclité. Ce foisonnement n’était pas le fruit du hasard : cela ressemblait à une fuite loin de ces combats internes des catholiques français dans les années 70. Leur croissance a été faite par des gens qui voulaient s’abstraire de ces conflits en cherchant à se recentrer sur des pratiques plus spirituelles. Ils rejetèrent les choses temporelles, le combat doctrinal et les choix théologiques, source de tant de tentations, de tant de discordes. Progressivement, alors que régnait dans le clergé la mouvance progressiste modéré par un épiscopat centriste, naquit dans les années 80 et 90 une autre génération de prêtres qui, influencée par les communautés nouvelles, étaient hostiles à toute exploitation politique de la religion, dans la vie de la cité et en interne. Après une période houleuse, ce clergé pacifiait. Sans col romain comme leur prédécesseur, il n’avait pas un sens aigu de la liturgie, mais il était tout de même pragmatique, réanimant un souffle spirituel à sa paroisse, s’adaptant à sa population, mais trop souvent parfois au profit de paroissiens bien trop engagés. Ainsi le calme régnait dans les paroisses, mais empêchait souvent de nombreuses bonnes volontés de pouvoir s’exprimer.
Il y a avait alors trois types de laïcs. Le premier avait adopté « l’esprit » du concile, se rappelant son statut de « prêtre, prophète et roi » que lui avait conféré son baptême, au point qu’il lui semblait inutile la présence persistante du clergé autour de son clocher. Le second, moins investi ni au fait de ces notions conceptuelles, vivait passivement les bouleversements des laïcs du premier type ou du curé – ou des deux à la fois –, restant fidèle à la paroisse, par esprit d’obéissance. Le troisième, plus offensif, voulut faire rejaillir le sens du sacré dans son église, mais, minoritaire, il ne parvint pas à surmonter les obstacles et, par souci de transmettre la foi à sa progéniture, il se mit à girovaquer de paroisse en paroisse, de communautés en communautés, cherchant, objectivement, « un peu de sérieux », et par là-même, un peu de mieux-être. Les paroisses restées traditionnelles étaient rares.
La tribalisation du catholicisme
Cette valse des fidèles devenait de plus en plus importante en raison d’une population pratiquante lassée des élucubrations pastorales de leur clocher. Elle conduisit littéralement à éclater le vieux système paroissial et à former une nouvelle géographie fondée sur les sensibilités religieuses. Nécessité sans doute. Mais, si la nouvelle cellule paroissiale permettait ainsi de mieux conserver la foi de ses fidèles en fonction de leur sensibilité, elle cassa néanmoins le lien qui permettait à toutes les classes sociales de se retrouver le dimanche matin et qui reflétait l’universalité du peuple chrétien. Yvon Tranvouez parle de la « tribalisation du catholicisme, qui rejoint celle de la société »[1]. Le délitement des paroisses fut dramatique.
Le concile Vatican II en est-il la cause ? Le prétendu « esprit » du concile a en effet contribué à faire fuir les fidèles les plus observants dans certaines paroisses, facilitant ainsi le nomadisme spirituel. Mais les raisons sont plus nombreuses : la population française devint plus mouvante ; l’individualisme et le consumérisme contribuèrent à prendre la messe comme un produit jetable
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[1]Catholicisme et société dans la France du XXe siècle, Apostolat, progressisme et tradition, d’Yvon Tranvouez, ed. Karthala, coll. Signes des Temps, 2011, 322 pages