« La séduction suprême n’est pas d’exprimer ses sentiments. C’est de les faire soupçonner. » Jules Barbey d’Aurevilly
Tout a commencé quand on m’a demandé si j’avais “une vie de quartier“. Bien sur ! Ma boulangère me connaît, mon vendeur de chez Bricolex se moque de moi, mon épicier me tutoie et mon buraliste … Ah mon buraliste ! Il faut que je vous parle de mon buraliste, cet homme mystérieux d’une cinquantaine d’années.
Tout le monde connait le bureau de tabac, passage obligé pour se fournir en cigarettes, en timbres fiscaux et en timbres tout court. Je n’ai qu’une rue à traverser pour m’y rendre alors, le soir en rentrant, je fais souvent un saut dans cet endroit loufoque aux allures vieillottes avant de rentrer chez moi. J’aime ce café-bar-tabac. On y voit toujours de drôles de choses. Les femmes boivent un déca assises sur des banquettes en cuir marron tandis que les hommes commentent le match de foot de la veille, debout au comptoir.
Je n’ai pas remarqué tout de suite que mon buraliste me draguait. La première fois, nous avions juste plaisanté innocemment :
- « Aaah ! » gémit-il « je me suis coincé le doigt dans le tiroir ! »
- « Vous n’êtes pas très doué ! » dis-je sur le ton de l’humour.
- « Et bien, passez sous le comptoir pour venir chercher vos timbres ! »
Anodin, gentillet me direz-vous. Tout à fait. J’étais loin de me douter que je lui avais tapé dans l’oeil.
Un peu plus tard, l’homme a été entreprenant mais toujours de façon très subtile :
- « Capucine, c’est joli comme prénom, c’est une très belle fleur. » fit-il en lisant mon patronyme sur ma carte bleue.
- « On en fait des infusions, ça a un pouvoir calmant à ce qu’il paraît, ça se mange aussi en salade… j’aimerai bien y goûter ».
J’ai souri, j’ai repris ma carte et je suis rapidement sortie, un peu gênée.
Désormais convaincue de son amour, je sais que l’homme ne séduit que moi. Alors que ma sœur était venue me rendre visite, elle est allée faire un tour dans ce bureau de tabac pour acheter des cigarettes. Après avoir demandé son dû, elle est ressortie, un peu énervée :
- « Non mais ça va, il veut pas ton numéro non plus ? »
- « Pardon ? Qu’est ce que tu racontes ? » fis-je interloquée
- « Tas pas vu ? Il ne m’a pas regardé une seconde, il avait les yeux braqués sur toi, c’est hyper mal élevé. »
Je ne pouvais pas nier. J’étais repérée. Ma soeur avait tout vu. Malgré ma gêne apparente, j’étais tout de même rassurée par ce témoignage d’affection. Mais hier soir, mon buraliste m’a porté le coup ultime, celui qui démontre ses 2 ans de frustration :
- « Bonjour, vous acceptez la carte bleue à partir de combien de paquets de cigarettes ? »
- « Quatre comme d’habitude pourquoi ? » me dit-il
- « Pour savoir. Il y a des tabac qui acceptent à partir de cinq maintenant »
- « Ah non, pas moi, ça fait cher sinon pour vous et puis comme ça, je sais que vous allez revenir dans quatre jours, ça me fait moins longtemps à attendre. J’aimerai bien que vous ne m’en preniez qu’un comme ça je vous verrais tous les jours ».
J’ai éclaté de rire, cette situation était vraiment improbable. Mais il faut voir le bon côté des choses, cet amour platonique pourrait m’être bénéfique. Je pourrais sûrement demander un crédit pour acheter des cigarettes ? Avec la nouvelle augmentation du prix du tabac au 1er juillet 2013, ce n’est pas négligeable. Pas folle la guêpe !