Dans sa déclaration à l'occasion de la conférence environnementale, le Président de la République a annoncé que la centrale nucléaire de Fesseheim "qui est la plus ancienne de notre parc, sera fermée à la fin de l'année 2016". La loi le permet-elle ?
Un parlementaire a bien voulu me poser récemment cette question : si, politiquement, rien ne s'oppose bien entendu à ce que le Chef de l'Etat décide d'appliquer un engagement électoral relatif à la fermeture d'une centrale nucléaire, juridiquement qu'en est-il ?
La question a son importance et n'est en rien anecdotique. Que l'on soit pour -ce qui est mon cas - ou contre la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, personne, dans un Etat de droit, ne peut se satisfaire que le droit soit éventuellement absent d'une réflexion sur un sujet aussi important pour l'avenir du pays. Surtout, l'analyse juridique permet de savoir si la décision du Chef de l'Etat est sincère, de comprendre si elle sera effectivement suivie ou non d'exécution et comment. En l'état actuel des choses, le doute est encore permis : le droit nucléaire permet-il une décision de mise à l'arrêt définitif d'une installation nucléaire de base pour un motif autre que strictement lié à la sûreté ?
En l'état actuel des textes applicables en droit nucléaire, force est de constater que la réponse est sans doute négative. Le droit ne prévoit pas qu'un Président de la République ou l’Etat puisse ordonner la fermeture d''une centrale nucléaire pour un motif qui n'est pas relatif à sa sûreté mais qui relève d'un choix de mix électrique.
Le but du présent article n’est bien entendu pas de présenter une analyse complète mais de souligner certaines des difficultés juridiques qui peuvent caractériser ce dossier. En définitive, une mise à jour du droit sera sans doute nécessaire, sans doute le vote d’une loi, pour permettre la mise en œuvre de l’annonce par François Hollande d’une fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim en 2016.
Quel est le motif de la décision du Président de la République ?
Reprenons tout d'abord le texte même de la déclaration de François Hollande pour identifier le motif précis de sa décision qui procède d'un engagement de campagne. Cette déclaration précise:
"La transition énergétique, c'est la sobriété, mais c'est aussi la diversification des sources de production et d'approvisionnement. J'ai fixé là encore le cap : la part du nucléaire, dans la production de l'électricité, sera ramenée de 75% à 50% à l'horizon 2025, et cela en garantissant la sûreté maximale des installations et en poursuivant la modernisation de l'industrie nucléaire.
La centrale de Fessenheim, qui est la plus ancienne de notre parc, sera fermée à la fin de l'année 2016 dans des conditions qui garantiront la sécurité des approvisionnements de cette région, la reconversion du site et la préservation de tous les emplois. Nous devons même en faire un exemple de démantèlement réussi de façon à ce que les centrales, qui viendront à expiration dans de nombreux pays du monde et qui appelleront des technologies maîtrisées, puissent être, là encore, une inopportunité pour l'industrie nucléaire française".
Il convient de souligner, de manière précise, le(s) motif(s) de la décision de François Hollande de fermer Fessenheim. Il semble qu'ils soient au nombre de deux, même si l'un d'entre eux apparaît prédominant.
Le premier tient à l'âge de la centrale. Peut-on en déduire, juridiquement, qu'en faisant référence à l'ancienneté de cette centrale, le Président de la République a entendu motiver sa décision de fermeture par référence aux risques de sûreté ? Oui et non. D'une part, la motivation par le risque est trop implicite, trop imprécise. La référence à l'âge d'une centrale, s'il peut constituer un indice, ne suffit pas à en démontrer la dangerosité. En égard à l'importance d'une telle décision, à l'importance, notamment financière d'une telle décision, on imagine mal que l'âge de la centrale puisse constituer - sur le plan du droit - un motif suffisant.
D'autre part et surtout, le Président de la République n'est plus, au moins depuis 2006, l'autorité administrative compétente pour apprécier la dangerosité d'une centrale. Cette compétence appartient à l'Autorité de sûreté nucléaire, indépendante du pouvoir exécutif.
Le second motif, placé au sein du premier paragraphe ci-dessus reproduit apparaît constituer le premier et véritable motif de la décision de fermeture de la centrale Fessenheim : le mix électrique. Le Chef de l'Etat souhaite en effet diversifier les sources de production d'électricité, réduire la part du nucléaire et c'est d'abord pour cette raison qu'il entend mettre à l'arrêt Fessenheim. Et pour cause : la sûreté de cette INB a été vérifiée et jugée acceptable par l’autorité compétente pour ce faire : l’ASN.
La question de droit est donc la suivante : le Président de la République a-t-il le droit, au regard des textes en vigueur, de décider d'une "mise à l'arrêt définitif" de la centrale nucléaire de Fessenheim, pour un motif relatif à l'objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité ?
La loi n°2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire
Les règles de droit relatives à la sûreté nucléaire ont été définies au sein de la loi n°2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire. Les dispositions de cette loi ont été notamment inscrites aux articles L.591-1 et suivants du code de l'environnement.
L'article L.591-1 du code de l'environnement dispose :
"(...)La sûreté nucléaire est l'ensemble des dispositions techniques et des mesures d'organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l'arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base ainsi qu'au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets".
La procédure et la décision de "mise à l'arrêt définitif" relève donc bien de la problématique de la sûreté nucléaire d'une centrale et des dispositions afférentes du code de l'environnement. Ces dispositions prévoient que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est l'institution clé en la matière :
"L'Autorité de sûreté nucléaire est une autorité administrative indépendante qui participe au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ainsi qu'à l'information du public dans ces domaines".
Pour quel motif une installation nucléaire de base peut-elle être mise à l'arrêt ?
Pour identifier les motifs qui peuvent, seuls, fonder, en droit, une décision de mise à l’arrêt d’une installation nucléaire de base, il convient ici de se reporter aux dispositions de l'article L.593-4 du code de l'environnement :
"Pour protéger les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, la conception, la construction, l'exploitation, la mise à l'arrêt définitif et le démantèlement des installations nucléaires de base ainsi que l'arrêt définitif, l'entretien et la surveillance des installations de stockage de déchets radioactifs sont soumis à des règles générales applicables à toutes ces installations ou à certaines catégories d'entre elles.
Il en est de même pour la construction et l'utilisation des équipements sous pression spécialement conçus pour ces installations.
Ces règles générales, qui peuvent prévoir des modalités d'application particulières pour les installations existantes, sont fixées par arrêté du ministre chargé de la sûreté nucléaire".
Par voie de conséquence, quelle que soit la procédure de mise à l’arrêt définitif qui sera mise en œuvre, celle-ci ne peut être engagée que pour permettre la protection des intérêts mentionnés à l’article L.593-1 du code de l’environnement. Cet article dispose :
« Les installations nucléaires de base énumérées à l'article L. 593-2 sont soumises au régime légal défini par les dispositions du présent chapitre et du chapitre VI du présent titre en raison des risques ou inconvénients qu'elles peuvent présenter pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement.
Elles ne sont soumises ni aux dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-6 du présent code ni à celles du titre Ier du présent livre.
Elles ne sont pas non plus soumises au régime d'autorisation ou de déclaration mentionné à l'article L. 1333-4 du code de la santé publique."
Les intérêts mentionnés à l’article L.593-1 et dont la protection peut justifier l’engagement d’une procédure de mise à l’arrêt définitif sont donc : « la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement ».
La décision de faire évoluer le mix électrique et de réduire la part du nucléaire ne figure pas au nombre des intérêts pouvant justifier une décision de mise à l’arrêt d’une INB.
Quelle est la procédure de "mise à l'arrêt définitif" d'une "installation nucléaire de base"(INB)?
Deux procédures de mise à l’arrêt définitif d’une installation nucléaire de base ont été créées. La première, définie à l’article 29 de la loi du 13 juin 2006, est engagée par l’exploitant lui-même par la présentation d’une demande de mise à l’arrêt. La deuxième, définie à l’article 34 de cette même loi, prévoit la possibilité d’une fermeture à l’initiative du Gouvernement.
La procédure « article 29 »
La première des deux procédures en vigueur est donc engagée par l’exploitant lui-même. L’article 29 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire a été abrogé et codifié à l’article L.593-25 du code de l’environnement. Cet article dispose :
« La mise à l'arrêt définitif et le démantèlement d'une installation nucléaire de base sont subordonnés à une autorisation préalable.
La demande d'autorisation comporte les dispositions relatives aux conditions de mise à l'arrêt, aux modalités de démantèlement et de gestion des déchets, ainsi qu'à la surveillance et à l'entretien ultérieur du lieu d'implantation de l'installation permettant, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment et des prévisions d'utilisation ultérieure du site, de prévenir ou de limiter de manière suffisante les risques ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1. »
A noter : cette procédure suppose une demande de l’exploitant. Elle ne sera donc pas applicable s’agissant de la centrale nucléaire de Fessenheim dont l’exploitant a clairement fait connaître son opposition à la décision du Président de la République.
La procédure « article 34 »
L’article 34 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire a été codifié à l’article L593-23 du code de l’environnement :
« Un décret en Conseil d'Etat pris après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire peut ordonner la mise à l'arrêt définitif et le démantèlement d'une installation nucléaire de base qui présente, pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, des risques graves que les mesures prévues par le présent chapitre et le chapitre VI ne sont pas de nature à prévenir ou à limiter de manière suffisante. »
Pour engager cette procédure, il convient donc de démontrer l’existence de « risques grave » pour les intérêts mentionnés à l’article L.593-1 du code de l’environnement. Il conviendra également de démontrer qu’aucune mesure ne peut permettre de prévenir ou limiter ces risques. Si ces preuves ne sont pas apportées, la procédure ne pourra régulièrement aboutir à une décision de mise à l’arrêt définitif.
L’article 35 du décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 relatif aux installations nucléaires de base et au contrôle, en matière de sûreté nucléaire, du transport de substances radioactives, apporte d’utiles précisions :
« Si une installation nucléaire de base présente, pour les intérêts mentionnés au I de l'article 28 de la loi du 13 juin 2006 susvisée, des risques graves qui ne peuvent être prévenus ou limités de manière suffisante, les ministres chargés de la sûreté nucléaire adressent, après en avoir informé l'Autorité de sûreté nucléaire, un projet de décret ordonnant la mise à l'arrêt définitif et le démantèlement de l'installation en application de l'article 34 de la loi du 13 juin 2006 à l'exploitant, au préfet et à la commission locale d'information qui peuvent présenter leurs observations dans le délai qui leur est imparti par les ministres. Ceux-ci transmettent le projet pour avis à la commission consultative des installations nucléaires de base dans les conditions prévues par l'article 14.
Le projet de décret, éventuellement modifié pour tenir compte des observations et avis recueillis, est transmis par les ministres à l'Autorité de sûreté nucléaire qui rend son avis dans un délai de deux mois. Ce délai peut être réduit à quinze jours en cas d'urgence. L'Autorité communique son avis à l'exploitant.
Le décret en Conseil d'Etat ordonnant la mise à l'arrêt définitif et le démantèlement est pris sur le rapport des ministres chargés de la sûreté nucléaire. Il est motivé et son contenu est conforme aux dispositions prévues au II de l'article 38. Il fait l'objet des mesures de notification, de communication et de publication définies à l'article 17.
L'Autorité de sûreté nucléaire fixe les prescriptions nécessaires pour la protection des intérêts mentionnés au I de l'article 28 de la loi du 13 juin 2006 dans les conditions définies au III de l'article 38 ».
Cette procédure confère un rôle très important à l’ASN, laquelle doit être informée et consultée. Au cas présent, il n’est pas besoin de rappeler que l’ASN, à la suite d’une visite décennale a émis un avis favorable, en juillet 2011, à la poursuite de l’exploitation de la centrale de Fessenheim.
Conclusion
La déclaration du Président de la République précise que la centrale « sera fermée à la fin de l'année 2016 ». Cela signifie-t-il que la procédure de fermeture sera engagée à cette date ou cela signifie-t-il que la procédure de fermeture sera achevée à cette date ? La deuxième option apparaît la plus fidèle au discours du Président de la République. Toutefois, elle supposerait que la procédure de fermeture soit engagée… dès maintenant.
En réalité, il serait utile que la décision de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim soit inscrite dans une réforme plus globale du droit applicable à la production et à la consommation d’énergie. Car le droit nucléaire ne connaît actuellement pas la notion de mix énergétique. Cette réforme doit intervenir dés maintenant pour que le calendrier de fermeture soit effectivement tenu.
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Arnaud Gossement
Avocat associé
http://www.gossement-avocats.com