De toute évidence, mieux vaut s’allier aux ennemis de demain que de se préparer ŕ les combattre ŕ armes inégales. Telle est, d’entrée, la leçon ŕ tirer de l’annonce d’un curieux accord d’Air France-KLM avec Etihad et Air Berlin. Et ce n’est lŕ, de toute évidence, qu’un épisode parmi d’autres, dans la refonte prévisible des trois grandes alliances mondiales, Oneworld, Star et SkyTeam (1).
En trouvant un terrain d’entente avec l’ambitieuse compagnie des Emirats arabes unis, qui détient par ailleurs 29% d’Air Berlin, Air France-KLM procčde ŕ une spectaculaire volte-face. Elle choisit en effet de coopérer avec un intervenant du Golfe qui a construit l’essentiel de sa stratégie sur le Ť6e libertéť. C’est-ŕ-dire en cherchant un potentiel de trafic ailleurs que chez elle, faute de pouvoir s’appuyer sur un marché national suffisamment important. C’est aussi la maničre de faire de Qatar Airways et d’Emirates, cette derničre étant de longue date le meilleur ennemi d’Air France.
Air France-KLM efface ainsi le passé, opte pour l’apaisement, mais procčde néanmoins avec beaucoup plus de prudence qu’il n’y paraît ŕ premičre vue. Le tandem franco-hollandais utilise le terme Ťpartenariatť, et non pas Ťallianceť, et axe sa communication sur les partages de codes et la complémentarité. Du coup, c’est le principe męme de l’établissement de ces liens qui étonne, et non pas leur substance. Le partage de codes concernera, dčs le 28 octobre, Paris-Abu Dhabi sur vols Etihad et Amstrerdam-Abu Dhabi sur vols KLM. De nouvelles correspondances seront établies, mettant en lice des destinations européennes et asiatiques, ainsi qu’en Australie, les trois grandes plates-formes se partageant les rôles.
Dans la foulée, Air France et Air Berlin vont procéder ŕ des partages de codes entre France et Allemagne, KLM en faisant autant au départ d’Amsterdam. S’y ajouteront des destinations polonaises et russes ainsi qu’Edimbourg, Glasgow et Manchester. Ce serait presque banal ŕ une nuance prčs : Air Berlin est une compagnie low cost repentie, membre de l’alliance Oneworld, tandis qu’Air France est membre fondateur de SkyTeam. D’oů un beau remue-ménage qui suit de prčs le choix audacieux de Qantas de se rapprocher d’Emirates, ce qui l’oblige du coup ŕ tourner le dos ŕ British Airways, allié historique. Qantas était chez Oneworld, Commonwealth oblige, Emirates restant totalement en dehors du jeu des alliances. Lesquelles, pour mémoire, transportent plus d’un milliard et demi de passagers par an, la moitié du trafic mondial.
Ce n’est sans doute que le début de grandes manœuvres susceptibles de bouleverser profondément le paysage aérien. Du jour au lendemain, les trois alliances dominantes sont implicitement fragilisées et apparaissent męme mortelles. Et Air Berlin rappelle, si besoin est, que l’avenir des low cost Ťmarginalesť n’est pas gravé dans le marbre : il ne suffit pas de transporter 35 millions de passagers par an pour se construire un avenir solide né d’une politique de croissance externe parfois chaotique.
Air Berlin intéresse, étonne, interpelle les spécialistes depuis un bon moment. En effet, la compagnie allemande est peut-ętre en train de forger un nouveau modčle économique ŕ mi-chemin entre low cost soft et structure classique, qui chercherait ŕ concilier le meilleur de deux mondes. Ce qui est actuellement loin d’ętre le cas. On notera au passage qu’Air Berlin, qui a connu dans le passé quelques révolutions de palais, est dirigée par Hartmut Mehdorn, qui fut longtemps aux commandes de la branche allemande d’Airbus.
Reste ŕ savoir si Air France-KLM a fait le bon choix. Peut-ętre, sans l’avouer, le duo franco-hollandais a-t-il opté pour une méthode empirique, ŕ un moment oů le transport aérien se retrouve ŕ la croisée des chemins. A une nuance prčs : les croisées de chemins se succčdent, ŕ n’en pas finir, le secteur poursuit avec entętement sa quęte de stabilité, de rentabilité, qui reste irrémédiablement vaine. Avec un nouvel acteur que plus personne ne peut ignorer, le Golfe.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) Oneworld, depuis son origine, brave les normes typographiques les plus élémentaires en cherchant ŕ imposer Ťoneworldť, sans majuscule. Air Berlin fait mieux, en s’affichant en un mot, également sans majuscule, airberlin. Une double maničre de faire ŕ rejeter sans autre forme de procčs.