Photographies
du dessus et de gauche : Illustration de la première page de L'Univers illustré, N° 487, du mercredi 22 novembre
1865, ayant pour sujet la nouvelle pièce jouée en première représentation le 4 novembre 1865 au « Théâtre du Vaudeville. - La Famille Benoiton, par M. Victorien Sardou ; acte
1er, scène XII ; dessin de M. Lix ... ».
Photographie de droite : Page de titre de La Famille Benoiton de Victorien Sardou,
onzième édition, Paris, Michel Lévy frères, 1866.
C'est en observant l'image centrale de l'assiette du XIXe siècle visible dans l'article
Le gandin que j'ai vu pour la première fois le nom de benoitonne associé à ceux de
petits-maîtres de ce siècle.
La benoitonne désigne une coquette, jeune, originale, moderne, libre dans ses expressions, toujours à la
mode et très élégante. Son nom est emprunté à la pièce de Victorien Sardou (1831 - 1908) La Famille Benoiton représentée pour la première fois, comme indiqué
ci-dessus, au mois de novembre 1865. C'est alors la mode de la crinoline elliptique, aplatie sur l'avant et s'allongeant à l'arrière dans ce qu'on peut désigner comme les débuts
de la tournure. Ces robes laissent parfois voir les chevilles ou au contraire balaient le sol en une traîne plus ou moins longue. Ces deux genres sont représentés sur l'affiche de la pièce
(cliquer ici : Théatre du Vaudeville [...], La Famille Benoiton,
1865).
On est sous le second Empire, à l'époque de Napoléon III qui règne de 1852 à 1870 : le dernier souverain français avant la Troisième République, une démocratie qui perdure jusqu'à aujourd'hui. C'est le temps d'un certain faste : de l'Opéra Garnier etc.
La famille Benoîton est moderne, avec une mère qui n'est jamais chez elle et qu'on ne voit pas de toute
la pièce, son époux un bourgeois important et leurs enfants : un garçon qui joue à la bourse aux timbres, un autre qui est un gandin, et trois filles mariées pour l'une et en âge de l'être
pour les deux autres, toutes particulièrement coquettes mais nullement légères.
La benoitonne (on dit aussi « une Benoiton ») est une jeune bourgeoise aux habitudes
princières, pleine de joie de vivre et versée dans les plaisirs de la mode qu'elle suit dans ses « toilettes, manières, langage ! ... ». Son nom n'est pas employé de manière péjorative
pour des mœurs 'dissolues' comme parfois pour la cocotte, la cocodette ou la petite dame. C'est une sportswoman, aimant les chevaux et les courses, les promenades dont celles en canot. Elle
apprécie l'art. Son extravagance vestimentaire est surtout due à son goût pour la nouveauté et la mode. Elle porte des chapeaux assez originaux, des robes magnifiques … des toilettes pour chaque
circonstance. Une benoitonne est une fille « dans le mouvement » comme on dit alors, totalement dédiée à la mode et à une forme de luxe, qui dépense beaucoup pour cela et vivant dans
une certaine insouciance, sans pour autant délaisser sa famille comme c'est le cas par contre pour la mère dans la pièce.
On dit « une toilette benoitonne » pour désigner une toilette recherchée.
« Benoitonner » et « benoitonnerie » sont des termes qui désignent cette façon d'être. Il semblerait que cette pièce lance véritablement une mode vestimentaire et un style, à
moins qu'elle n'en soit que la conséquence.
Photographies : Illustration de la première page de Le Journal illustré, n° 97 « du 17 au 24 décembre
1865 », ayant pour légende : « Les toilettes de la famille Benoiton. Dessin de H. de Hem. - Voir page 402.) » A la page 402 on lit :
« Ah ! Je vous y prends, chère lectrice. Cette fois, pour sûr, le Journal illustré
aura réuni plusieurs jolies têtes groupées au-dessus de sa première page !
Les toilettes de la famille Benoîton !
Que de cancans on en a fait ! Que de désirs, en province, de contempler ces toilettes ébouriffantes
dont parlaient tous les journaux !…
Eh bien, elles sont d'une extrême simplicité, ces toilettes ; d'une extrême simplicité ;
jugez-en :
Mademoiselle Jeanne Essler, cette sympathique artiste, aux yeux profonds, à la gracieuse et
caractéristique figure, porte une robe de soie blanche garnie de plumes de paon et d'un oiseau rare nommé kouroucou, qui a laissé l'une de ses ailes à la souple ceinture de la charmante
actrice.
Une coiffure ornées de chaînes noires s'enroulant au cou est due à Félix ; c'est à dire qu'elle est
d'un goût exquis et fait fureur. On peut l'appeler coiffure à l'esclavage.
Madame Fargueil, notre éminente et tragique comédienne, porte une robe lilas à grande queue. La robe se
découpe en dents ornées de lisérés blancs sur un immense volant rayé blanc et lilas. C'est une toilette du meilleur goût due au ciseau de madame Hardy.
Mademoiselle Manvoy ne se contente pas d'être une perle de grâce et de beauté ; elle s'est armée de
pied en cap en mousquetaire, pour enlever las salle.
Un justaucorps de satin bleu d'acier foncé, tout orné de guirlandes d'acier, laisse échapper de ses
crans, bordés de fers à cheval, une jupe de satin rayé aux couleurs de Gladiateur. Les manches sont pareilles ; le tricorne est orné de plumes rouges et bleues ; les bas sont rouges, la
bottine est noire. Rien de plus éblouissant que les perles d'acier semées sur tout cela … rien … sinon les beaux yeux qui brochent sur le tout. Madame Chanal-Laferrière a signé la
toilette.
On connaît la beauté gracieuse de mademoiselle Léonide Leblanc … qu'en dire de neuf ? Prenons-la
par la robe, puisqu'elle nous prend par les yeux … Une robe collante en soie blanche, à bouquets détachés, se relève sur une sous-jupe verte, au moyen de deux immenses têtes de chevaux brodées en
couleurs naturelles et garnies de brides ornées de perles.
Une toque anglaise, en velours vert, accompagne ce gracieux costume qu'a réalisé madame
Goldbert.
Illustre Sardou, vous vous êtes fait bien du tort en choisissant deux si jolies demoiselles Benoîton …
On a oublié leur rôle … les femmes, pour se rappeler leurs toilettes, les hommes, pour se souvenir de leur beauté.
H. de HEM. »
© Article et photographies LM