A qui peut-on faire confiance dès qu’il s’agit d’argent ? Un quart de siècle plus tard, la "question" de Daniel Pennac a trouvé une actualité rebondissante en matière de fixation d’indemnités d’expropriation.
Dans cette affaire, la Cour d’appel de Basse-Terre avait fixé l’indemnité d’expropriation due par le CHU de Point-à-Pitre à 12 338 200 F (1 880 946 €), soit près du triple de ce qu’avait décidé le juge de l’expropriation en première instance.
Le pourvoi en cassation effectué par le CHU contre cet arrêt avait d’abord été radié du rôle de la Cour de cassation, à la demande de l’avocat adverse, formulée par l’intermédiaire de l’avocat aux conseils, sur le fondement de l’article 1009-1 du Code de procédure civile qui prévoit que le premier président de la Cour de cassation peut décider la radiation d’une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel.
Afin d’obtenir la réinscription de l’affaire au rôle de la Cour de cassation, le CHU s’est rapproché de l’avocat des expropriés, lequel lui a indiqué que le CHU pouvait procéder au paiement sur son compte CARPA, en précisant que ce compte fonctionne « comme un compte séquestre ».
Sur le compte CARPA de l’avocat, transite en effet les fonds à destination des clients notamment en exécution des décisions de justice. De la sorte, l’avocat qui reçoit un chèque libellé à l’ordre de la CARPA, lui donne l’ordre d’émettre un chèque du même montant à l’ordre de ses clients, après les vérifications légales auxquelles cet organisme doit procéder, notamment dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent.
Suite au pourvoi du CHU, l’arrêt d’appel a été cassé et la Cour d’appel de renvoi n’a pas été saisie, ce qui avait pour effet de rendre exécutoire avec autorité de chose jugée le jugement rendu en premier instance, remis en vigueur par la cassation de l’arrêt d’appel, laquelle remet les parties « dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt ».
Le CHU a alors tenté, en vain, d’obtenir le remboursement de la différence entre les sommes qu’il a versées sur le compte CARPA et les sommes, trois fois moindre, qu’il aurait dû payer en application du jugement de première instance devenu exécutoire de par la non-saisine de la cour d’appel de renvoi.
Mais, entre temps, les expropriés ont reçu le paiement des sommes versées sur le compte CARPA de l’avocat, et demeurent introuvables, leur seule adresse connue ne correspondant pas…
Le CHU a alors recherché la responsabilité de l’avocat des expropriés - depuis placé en liquidation judiciaire - qui l’aurait empêché de récupérer le trop versé à ses clients, mais fût débouté par le Tribunal de Grande Instance de Créteil, confirmée par la Cour d’appel de Paris.
Devant la Cour d’appel de Paris, le CHU avait invoqué la faute de l’avocat qui lui aurait fait croire que les sommes versées seraient conservées sur son compte CARPA, dans l’attente de la décision de la Cour de cassation.
A ce titre, le CHU indiquait que s’il avait su que les sommes versées ne seraient pas conservées sur ce compte CARPA, il aurait fait jouer l’article 2 du décret du 19 mai 1980, qui permet aux personnes publiques condamnées au versement d’une somme d’argent, lorsqu’elles se pourvoient en cassation, d’obtenir du premier président de la Cour d’appel que l’exécution de l’arrêt d’appel soit subordonnée à la constitution, par leurs adversaires, d’une garantie suffisante pour assurer d’éventuelles restitutions après cassation et renvoi.
Le CHU invoquait également des manquements déontologiques à l’origine de son sinistre, l’avocat des expropriés ne l’ayant pas invitée à prendre conseil auprès d’un avocat.
Enfin, le CHU se plaignait de l’absence de diligences de l’avocat qui n’avait rien fait pour tenter de mettre en relation ses clients avec le CHU, malgré plusieurs demandes en ce sens.
Dans un attendu qui ne laisse planer aucun doute, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui a écarté ces arguments aux motifx que l’avocat des expropriés n’avait aucune obligation de délivrer des informations ou des conseils à son adversaire, ni aucune obligation de l’inciter à prendre conseil auprès d’un avocat.
« Mais attendu que si l'avocat doit avoir à l'égard de la partie adverse une conduite loyale, il n'a pas à prendre l'initiative de lui délivrer des informations ou conseils ; qu'ayant constaté que M. X...n'avait pas pris l'engagement de conserver les sommes litigieuses et exactement retenu qu'il n'avait aucune obligation légale de les conserver sur son compte Carpa, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à de simples arguments, a énoncé à bon droit que M. X...n'avait ni à inciter l'adversaire de ses clients à prendre attache avec l'un de ses confrères ni à lui prodiguer ses conseils ; qu'en en déduisant l'absence de faute imputable à M. X..., elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; »
(Cour de cassation, 26 septembre 2012, pourvoi n°11-20259)