Une chronique sur Flying Lotus n’est jamais simple. Notre but avoué étant de faire découvrir et aimer un artiste à travers des mots, le californien échappe totalement à cet objectif. On peut mettre autant de belles tournures de phrases, de métaphores, d’analyses qu’on veut, elles n’arriveront jamais à faire véritablement ressentir ce qu’il se passe dans notre système central au moment même où les mélodies de Fly’Lo arrivent à notre cerveau.
De plus, il fait parti de ce monde impitoyable qu’est la musique abstraire, adulée ou détestée dès la première seconde. Pas facile donc de fédérer si le son expérimental vous donne envie de tuer une portée de chatons orphelins.
Alors aussi égoïste soit la démarche, faisons un marché. Si vous êtes un fan absolu de tout ce qui sort chez Warp, des instrumentaux décalés, du bonhomme lui-même ou avide de découvrir de nouveaux horizons, restez volontiers. Pour les autres, sortez vite et restons bons amis, promis on écrira bientôt sur des trucs plus faciles d’accès.
Deux ans après le très acclamé Cosmogramma qui lui avait ouvert les portes d’une jolie renommée « mainstream », le neveu d’Alice Coltrane (femme de) revient donc pour le plus grand plaisir des amoureux du mélange des genres.
Une suite très attendue tellement le précédent opus avait marqué par sa folie douce entêtante et sa maitrise pourtant pas évidente aux premiers abords. Car oui, le génie de Flying Lotus réside dans sa capacité à créer la paix à partir du chaos total.
Pas de bouleversement de ce côté-ci, le son est toujours aussi imparfait, les instruments se chevauchent toujours comme dans un bordel et les morceaux dépassent très rarement la troisième minute. Pourtant, quelque chose de miraculeux se passe dès le début. Alors qu’il faut souvent un temps d’adaptation pour profiter aux mieux de ses instrumentaux, ici les sensations auditives (et positives) sont développées d’entrée de jeu. Peut être parce qu’à mesure qu’avance sa discographie, il est plus commun d’entrer dans son monde. Ou tout simplement parce qu’il réussit l’incroyable tour de force de rendre accessible une musique qui ne l’est pourtant pas.
Il faut dire aussi que l’enchainement All In/Getting There/Heave(n) pioche dans un environnement jazz-hiphop assez connu des amateurs du genre. Ce triptyque se termine en apothéose avec l’immense Heave(n) donc, dont la retenue est aussi belle que la mélodie de doux drogué.
Flying Lotus – Heave(n)
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On passe ensuite au vice du bonhomme. La torture musicale. Comme tout bon amoureux triphop, FlyLo cherche à tout triturer, tout mélanger, tout additionner histoire de flirter avec l’indigestion sans jamais vomir. Tiny Tortures porte d’ailleurs bien son nom, sûrement la track la plus à même à faire devenir fou si vous cherchez absolument à disséquer chaque partie du morceau. Dans le genre on a aussi le complètement détraqué Putty Boy Strut qui commence dans un esprit électronique pour finir au bord du jazz et de la soul. Génial. On peut parler de morceau charnière puisqu’il ouvre les portes vers un monde plus afro-centré. C’est d’ailleurs là, la grande nouveauté. Jusqu’ici, Flying Lotus avait toujours privilégié dans ses albums le jazz-électronique en y incorporant des zestes de soul ou de rap. Ici, il y plonge de plein pied, allant même raisonnablement piocher dans la musique africaine, notamment du côté des percussions.
On retrouve alors des titres un peu plus « grande écoute » (ça reste quand même relatif hein…) comme The Nightcaller ou le funk d’Electric Candyman que n’aurait pas renié Dam-Funk par exemple. D’ailleurs, à la manière de Putty Boy Strut, le morceau se compose de deux parties bien distinctes puisque la dernière minute, accompagnée de ce bon vieux Thom Yorke repart vers des contrées plus abstracts. On ne se refait pas.
Flying Lotus – Putty Boy Strut
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Flying Lotus – Electric Candyman
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Alors qu’est-ce qu’on dit au final ? Déjà, on applaudit le travail de malade mental. Comment un cerveau humain peut réussir à créer une telle oeuvre à partir de milliards d’informations ? L’instrumentalisation est une fois de plus ahurissante, du piano aux cordes en passant par la bonne vieille basse puissante de Thundercat. Le côté plus chaud musicalement est également à saluer donnant un grain plus afro au tout, là où Cosmogramma détonnait par la froideur de ses productions. Il n’y a qu’à voir la différence d’ambiance dans les pochettes déjà.
Au delà de ça, on peut aisément dire désormais que Flying Lotus est bien le meilleur producteur instrumental actuellement, réussissant à confirmer tout le bien qu’on pense déjà de lui depuis des années. Et surtout à consolider son potentiel exponentiel. Until the Quiet Comes est peut être le meilleur album instrumental depuis Donuts de J Dilla. Sa plus grande source d’inspiration. Y’a pas de secret.
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