[Critique] THE COVE – LA BAIE DE LA HONTE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : The Cove

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Louie Psihoyos
Distribution : Ric’ O’ Barry, Louie Psihoyos, Simon Hutchins, Mandy- Rae Cruickshank, Kirk Krack, Hayden Panettiere…
Genre : Documentaire
Date de sortie : 30 septembre 2009

Le Pitch :
« J’ai passé dix ans à construire cette industrie, et j’ai passé les trente cinq dernières années à essayer de la détruire. » Ric’ O’ Barry
A Taiji, au Japon, chaque année, se perpétue à l’abri des regards, un véritable massacre de dauphins.
Ric O’ Barry, ancien dresseur de dauphins, notamment pour la très célèbre série Flipper est désormais un défenseur acharné de ces cétacés. Il va partir avec le réalisateur Louie Psihoyos, et une solide équipe de professionnels au cœur même de la baie pour se rendre compte de ce qu’il s’y passe et révéler ainsi la vérité sur ces faits au monde entier.

La Critique :
The Cove est une réelle enquête sur ce qu’il se passe, tous les ans dès le 1er septembre jusqu’au mois de Mars, dans la baie de Taiji au Japon, appelée désormais, La baie de la honte.
Dès les premières secondes du film, on sait que l’on va vivre quelque chose de douloureux, on ressent énormément de pression.

Nous embarquons et suivons donc principalement Richard O’ barry et Louie Psihoyos, ce dernier étant le réalisateur du film. Plus précisément, c’est toute une équipe que nous allons suivre et qui va se donner beaucoup de mal pour qu’éclate enfin la vérité, que certains connaissent déjà, et que d’autres ignorent encore totalement.

La musique, qui accompagne la réalisation tout le long, est bien choisie, appropriée à chaque ambiance. Elle suscite diverses sensations et émotions chez le spectateur tantôt la pression et l’oppression, tantôt l’émotion.
Elle sert intelligemment le film, et elle sait également se taire, quand il s’agit de montrer la sanglante vérité dans sa plus grande cruauté, le silence se suffisant à lui même. Le sonore, à savoir certains « bruits » cris, ont une grande importance dans The Cove, car c’est ce qui interpelle et touche droit au cœur. « La mise en scène » met en place une pression intense chez le spectateur, qui est instaurée au fur et à mesure que l’on avance dans l’enquête, par un réalisateur qui veut d’abord susciter la curiosité du spectateur, le faire réagir, le percuter, mais avant tout l’informer.

Nous embarquons donc, dans la ville de Taiji, au Japon. Dans un féroce paradoxe, on observe des bateaux « en forme de baleines, d’orques », des fontaines ornées de sculptures de dauphins, et bien d’autres hypocrisies malsaines, encore. Le clou de ce sinistre spectacle est le musée de la baleine, qui fait l’intermédiaire entre Taiji et les parcs d’attraction marins.
Ne vous méprenez pas, sous ses airs « d’amoureuse des dauphins », Taiji tue chaque année des centaines, voire des milliers de dauphins, dans des conditions abominables, et dans un but plus que douteux qui, aujourd’hui comme hier, est plus que remis en cause.

Car Taiji est le premier fournisseur au monde de parc d’attraction marin. En fait, au cours de ce carnage, il y a les dauphins que l’on tue, puis ceux qui sont choisis pour être exportés dans les parcs d’attraction marins : les delphinariums (Marineland & co), où ils amuseront tristement la galerie. C’est une industrie sinistre pour un public peu et mal informé.

Plus on avance, dans le film, plus on se rend compte à quel point la présence des caméras, et des personnes enquêtant tels que Ric O’Barry pour ne citer que lui, sont indésirables. On voit également que les autorités de la ville japonaise sont très réticentes quant à ne serait-ce qu’évoquer la question des dauphins, mais aussi celle des baleines, à toutes ces pêches très controversées. Et pire encore, cette question a déjà fait des morts, côté humain, les personnes fortement engagées dans ce combat, dérangent et certaines y ont laissé la vie.

Richard O’ Barry, qui est le narrateur principal du film, a été dresseur et soigneur de dauphins au Miami Seaquarium, mais il a aussi été le dresseur des cétacés qui ont joué le rôle de Flipper, série qui a cartonné à l’époque.
Un jour, qu’il s’occupait d’un des dauphins, celui-ci, épuisé de stress, à volontairement fermé son évent. L’évent est le trou que possède le dauphin sur le dessus de la tête, il faut savoir que chez les dauphins, chaque respiration est un acte volontaire, un effort conscient, au moyen donc de l’ouverture de leur évent. Ce dauphin, en fermant délibérément le sien, a donc commis une forme de suicide, et ceci dans les bras de Ric’O’ Barry. Cet événement l’a marqué et blessé profondément pour le restant de sa vie, et c’est à ce moment même qu’il a décidé d’arrêter d’être dresseur de dauphins et de militer, au contraire, pour leur préservation en milieu naturel.

The Cove joue sur plusieurs tons et différentes nuances. D’une part, nous avons des faits exposés dans leur plus grande noirceur, sans musique, sans tonalité, de manière juste, réaliste et d’autre part, nous avons des faits traités sur un ton faussement léger, que la musique contribue de rendre étouffants, oppressants (comme les images de Flipper ou de SeaWord). Néanmoins, c’est toujours grave, toujours prenant.

Le film de Louie Psihoyos étape par étape, respecte la temporalité de l’histoire. Vous prenez connaissance de la ville et de certaines autorités qui refusent catégoriquement de parler du massacre de la baie. Puis vous êtes directement invités à rentrer dans cette baie.
Cette dernière, il faut le savoir, est barricadée, fermée aux yeux trop curieux et aux oreilles un peu trop pendues. Il est très difficile d’y accéder et c’est carrément impossible pour une personne qui n’est pas préparée. Mais l’équipe du film justement, s’est quant à elle bien préparée. À l’aide d’un fantastique équipement technique savamment étudié, elle va pouvoir « plonger » au cœur même de la baie. Un micro implanté sur un arbre par-ci, un enfoui dans l’eau par-là, des caméras dissimulées dans un coin, grâce à un camouflage ingénieux, des actions de nuit pour éviter les barrières… tout est étudié de près.

C’est grâce à tous ces efforts et à tous ces risques, que la vérité peut aujourd’hui voir le jour. Car comme je l’ai dis plus haut, l’industrie des delphinariums rapporte tellement d’argent -à vrai dire cela ramène des milliards- que certaines personnes un peu trop curieuses et dérangeantes disparaissent vite. Ainsi, un dauphin peut se vendre jusqu’à 150 000 $ .

Ce qui est frappant dans le documentaire, c’est le mélange de plusieurs images, toutes de nature très différentes. Des images sanglantes et oppressantes d’un massacre de dauphins, ceux là même agonisant dans une eau rougie, et mourant doucement au milieu de leur congénères, de leur propre famille.
Puis des images d’une rare beauté, d’une baie naturellement magnifique, d’une ville qui est tout à fait charmante de premier abord. Mais aussi de bateaux de pêche sur le soleil couchant, qui s’ils n’étaient pas les engins de ces massacres, seraient en parfaite harmonie avec cette belle nature bucolique. Mais ces mêmes bateaux, encerclent les dauphins avec des filets petit à petit, comme dans une danse macabre.
L’insistance sur ces aspects paradoxaux, accentue encore plus le malaise chez le spectateur.

Au delà de ce massacre, il y a tout ce qu’il engendre, à savoir les intérêts économiques.
La viande de dauphin, est vendue dans les supermarchés, magasins, et est souvent faussement étiquetée, (un dauphin peut se vendre 600$ pour sa viande). Les gens pensent acheter de la baleine « saine » d’Atlantique, mais achète en réalité du dauphin contaminé au mercure. (je rappelle que la baleine est également contaminée au mercure et est une espèce plus que protégée, qui subit pourtant le même sort que le dauphin). Soyons clair, de nombreux cétacés et poissons, si ce n’est tous, sont aujourd’hui contaminés au mercure. La pollution de nos océans, par notre propre faute et celle des industries profiteuses sans scrupules est telle, que le poisson et les cétacés sont impropres à la consommation. De plus, en ce qui concerne les cétacés c’est encore pire, car ce sont des êtres vivants d’une taille importante. Ils concentrent donc beaucoup plus de mercure. En manger peut créer beaucoup de maladies, entrainer la cécité, des naissances de nourrissons avec des malformations et j’en passe. Vous avez peut-être entendu parler de la maladie de Minamata ? C’est une maladie neurologique grave et permanente par intoxication aux composés de mercure. (Petit rappel bref : En 1932, une usine pétrochimique rejeta de nombreux métaux lourds dans la mer, dont du mercure. C’est cela qui avait créé à l’époque toutes ces maladies chez l’homme. Et le pire c’est que cela continue, chaque année. Des tonnes de mercure sont relâchées par l’homme du fait de son activité industrielle et agricole (pour plus d’informations sur la pollution au mercure, il y a un très bon documentaire intitulé La Voie du chat qui parle, en partie, de Minamata)).

Je suis obligée pour terminer, de parler de la présence de Paul Watson dans le film, qui je le rappelle est encore à ce jour, « recherché » par Interpol. Plus exactement, Interpol a diffusé fin juillet une « notice rouge » sur Paul Watson : « cette note d’information aux États membres est un avis de recherche, basé sur un mandat d’arrêt national, mais ce n’est pas un mandat d’arrêt international. »
Paul Watson, est le fondateur de la Sea Shepherd Society et à l’heure où j’écris ces lignes, une équipe de cet ONG est présente à Taiji, pour rendre compte de ce qu’il s’y passe chaque jour et éviter un trop grand massacre.

The Cove, aborde tous ces sujets, dans les détails les plus complets, tout est passé à la loupe, la ville et ses secrets, le massacre, l’exploitation de ces magnifiques animaux et le commerce immoral et trompeur de leur viande. Cette critique est aussi un pamphlet, beaucoup d’informations sont données mais ce n’est rien en comparaison de ce que vous apprendrez en regardant le film.
Puis entre le texte et les images, il y a un monde. Tous les efforts de ces personnes pour réaliser ce film, qui rappelons-le, a gagné l’Oscar du meilleur film documentaire en 2012, vous apporteront sur un plateau plus qu’indigeste un dénouement immonde.

@ Audrey Cartier

Crédits photos : Maple Pictures