Après une élection sur le fil, tiraillée entre un centre fantôme qui fait les yeux doux et une gauche radicale qui déboule en trombe, le résultat des législatives de juin 2012 fut tout à la fois un apaisement pour un nouveau pouvoir pas rassuré par la pluie comme par sa legitimité et un formidable trompe l'oeil: un Front National a 1.5 députés (18%), le Front de gauche à 10 (11%) et les verts à 16 (2%), sans aucun lien avec le résultat de l'élection présidentielle. Après un été stérile qu'allait-il se passer alors que l'opposition s'avançait dans la bataille pour son leadership?
Depuis un mois ce que le Front de Gauche annonçait se produit et justifie l'analyse d'une V° République périmée. Le pouvoir socialiste, plus puissant qu'aucun autre gouvernement de la V° République se cherche une légitimité. Le rapport de force en sa faveur impliquerait une attitude patriarcale, consensuelle. Las, le Parti Socialiste joue au chat et à la souris avec son "allié" écologiste (ou plutot ses ministres), maniant de la couleuvre et du gateau. Le Premier ministre interpellé sur de vrais sujets ne daigne répondre à la seconde force de la gauche. Le président de la République recule à chaque manifestation d'un lobby de droite (dernier en date: le pigeon) quand 80.000 personnes dans les rues de Paris ne font guère frémir ses oreilles.
Le changement c'était maintenant. Pourtant le ministre de l'Intérieur a été laché cet été pour reproduire les expulsions médiatiques sans prendre le temps de la refléxion. Pourtant au sein du gouvernement la guerre larvée entre les deux tendances (les libéraux de Bercy et troisième homme de la primaire) est pour l'heure arbitrée en faveur des premiers. Pourtant le pouvoir recule bien vite face aux barons sur l'engagement du non-cumul, sur les nominations personnelles (Jouyet, Mme. Bartolone, Pigasse,...), sur les sondages élyséens; pourtant le Traité européen non renégocié semble poser beaucoup de difficultés à nombre de parlementaires écologistes comme socialistes entraînant hésitation de Matignon entre carotte et baton...
Si la politique est un étrange objet, le quatrième pouvoir devrait permettre de maintenir la démocratie au-dessus de la fange quels que soient les aléas. C'est le cas lorsque les pouvoirs sont équilibré dans la République. Ce n'est pas celui de notre vieille démocratie. Le président et l'un de ses ministres majeurs vivent avec des journalistes qui ne comprennent pas le malaise à avoir une activité médiatique dans ce contexte. La Presse qui a fabriqué un candidat de recours après la catastrophique affaire Strauss-Kahn choisit alors le cheval compatible avec le credo social-libéral et mène une campagne tout en nuance, jouant ensuite les chiens de garde une fois le nouveau pouvoir installé à l'Elysée. Le traitement médiatique des derniers jours reste saisissant: une vague affaire de paris truqués dans un sport aux 400.000 licenciés occupe les unes pendant trois jours alors que le débat sur le Traité européen s'installe et que la première manifestation unitaire opposée à la politique gouvernementale bloque Paris. Contre-feux? Puis une étonnante campagne de désinformation est lancée autour de la présidentielle vénézuelienne, petit pays d'amérique latine avec lequel la France n'a que peu de relations. A lire les journaux français Hugo Chavez est un petit dictateur d'operette ayant largement échoué. L'on nous dit que les chiffres de l'ONU sont bidonnés, que la presse est muselée, qu'il ne s'agit pas d'une démocratie... Lors de l'annonce des résultats (55% pour Chavez, près de 81% de participation, moins de 2% de blancs et nuls, troisème élection d'affilée) le Monde publie sur l'un de ses blogs une étonnante prise de position souhaitant en substance la mort de Chavez. Une réminiscence d'une certaine presse de droite annonçant comme illégitime l'élection de François Hollande en mai?
Que retirer de toutes ces séquences? D'abord que le quinquennat risque de se transformer rapidement en chemin de croix pour François Hollande pour la simple raison qu'un pouvoir (comme celui de Chavez) tire sa légitimité du scrutin. Les français l'ont mal élu (1.2 millions de voix d'écart pour une abstention+blancs de 11 millions) et la majorité parlementaire ne reflète pas l'électorat du 22 avril. En outre, le clivage fondamental de 2005 n'a jamais été résolu et ressort plus que jamais à l'heure où pour la première fois le sujet européen devient central. Cela n'est pas anodin. Si le PS est (en sièges) suffisamment fort pour ne pas regarder à sa gauche, le choix de rejeter le Front de gauche dans l'opposition peut s'avérer dévastateur sur son électorat (souvent favorable à Jean-Luc Melenchon) et le clivage au sein même du PS pronostique des déchirures sur bien d'autres sujets d'ici aux prochaines échéances. La manifestation du 30 septembre dernier est un marqueur essentiel du quinquennat. En niant un mouvement unitaire syndicaliste, associatif et politique d'une telle ampleur, le PS se coupe d'une partie de sa base populaire, assumant un virage centriste incongru, quand dans le même temps les reculades s'accumulent sur les poussées des pouvoirs de l'argent et du patronat. En s'alliant avec les écologistes sur une base remontant à 2009, le PS a commis une erreur stratégique. En découle l'impossibilité de travailler sereinement avec un allié qui ressemble fortement à une baudruche. Certaines manoeuvres visant à l'alliance PS-Modem souhaitée par Ségolène Royal en 2007 sont elle aussi à contretemps avec un Modem désintégré par le scrutin du 6 mai. Surtout, cela montre de surprenantes erreurs d'appréciations des rapports de force politiques de la part d'un homme longtemps présenté comme l'animal politique de la gauche. François Hollande a vu les écolo trop gros, le Bayrou utile et l'Europe peu importante. Est-il un président élu ou un candidat fabriqué?