Colin l'Hermet a posté l'autre jour une fiche de lecture fichtrement intéressante en commentaire. Comme je ne suis pas sûr que tout le monde l'a lue, je la remets en devanture. Il s'agit du livre "Le sacrifice inutile, essai sur la violence politique" (février 2011), de Paul Dumouchel, un auteur que je ne connaissais pas avec des idées passionnantes. Il détaille les conséquences de la fin du monde "post-héroïque". Merci à CLH.
O. Kempf
Selon Paul Dumouchel :
- . l'actuel démantèlement de l’ordre territorial s’accompagnerait de la modification du concentrisme et des codifications des espaces de l’usage de la violence
- . les précédentes légitimités constituées sont remises en cause
- . les sacrifices transcendant l'individu seraient devenus inutiles (la place du soldat en est remise en cause)
- . la violence politique s'avère incapable de donner naissance à un ordre stable, tant en interne qu’en projection extérieure, ces deux échecs se nourrissant mutuellement
Paul Dumouchel pose que la fonction première de l'Etat moderne est d'assurer la protection de ses citoyens :
- . les uns des autres
- . et contre les adversaires extérieurs
dans le fonctionnement ordinaire de l’Etat constitué :
- . l’ordre territorial sous-tend le système juridique national
- . et les règles de réciprocité des échanges sont au coeur du droit civil
doxa : on assiste à un démantèlement de l’ordre territorial avec ses conséquences :
- . sur le fondement de l’égalité devant la loi ;
- . bouleversement des règles de réciprocité des échanges ;
- . affaiblissement du modèle de solidarité sociale ;
- . et transformation des garanties pénales (illustrée par les usages antiterroristes).
Ce démantèlement contribuerait à une nouvelle approche dans la constitution des États territorialisés et générerait de nouveaux enjeux dans les phénomènes de leur dissolution (Yougoslavie, Soudan, Syrie)
a) auparavant, on pouvait observer la superposition dans 3 cercles des espaces sociologiques voire westphaliens :
- . l’espace immédiat de l’amitié où l’on note l’illimitation et l’inconditionnalité dans la solidarité, et où on y postule un refus juridique de l’usage de la violence, refus que l’on formule par la punition de droit pénal en cas de survenue
- . l’espace de l’inimitié, de réciprocité équilibrée :c’est l’ex-concert des nations, où se déploient la conditionnalité et la proportionnalité de la violence ritualisée-contrôlée, notamment par les droits de la guerre entre égaux-proches
- . un espace d’hostilité-prédation : c’est l’espace peuplé par l’Altérité, terra nullius mais néanmoins codifiée comme lors des Traités inégaux ou de la Colonisation
b) la mondialisation-globalisation induit la disparition graduelle de superposition-coïncidence de 3 espaces++ :
- . le géographique ;
- . le culturel-sociologique ;
- . et le juridique-éthique.
désormais la globalisation provoque leur non-coïncidence donc la mondialisation induit le démantèlement de l’agencement-ordre territorial et la transformation des règles de réciprocité des échanges
c) traditionnellement, on avait 2 catégories d’ennemi :
- . extérieur, amoindri avec la disparition des guerres inter-étatiques
- . et intérieur, indéfini et fantasmé, obnubilant-obsédant faute d’ennemi extérieur, cf le tropisme anti-terroriste
néanmoins on observe clairement que des violences sont perpétrées par des États sur des civils, souvent leurs propres ressortissants. Ces actions répondraient à une logique structurelle : l’Etat ne disposant plus d'ennemi extérieur comme focus ou bouc émissaire, il multiplierait les ennemis de l'intérieur dans un transfert de la violence vers des victimes acceptables. Paradoxalement :
- . là même où l’idée d’attaque préemptive est mal ressentie
- . on ne marque cependant pas grande inquiétude face aux lois nationales anti-terroristes
d) la globalisation du monde provoque effectivement une renégociation perpétuelle des règles de droit civil. On constate par exemple la disparition de la contrainte étatique, ce qui induit une internalisation de ces règles. Parallèlement, se pose le problème des institutions devant qui former un recours. On peut aller jusqu’à craindre une dilution-redéfinition du droit civil.
(Paul Dumouchel, Pr de philosophie, in Le sacrifice inutile, 02/2011)
Colin l'Hermet
Références : on lira aussi cette fiche de lecture, publiée sur le site de René Girard. La notion de bouc émissaire n'est donc pas mentionnée par hasard, et l'auteur paraît donc un girardien. Ce qui n'est pas une injure, pour l'auteur de ce blog, qui n'est pourtant pas un girardien de stricte obédience.