Song’s Story’a #5 : I heard it through the grapevine

Publié le 08 octobre 2012 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

Pour ce cinquième épisode de ma série Song’s Story’a – dont je sais que pas mal de mes lecteurs sont friands et me réclament des suites (ouais, bon, il y a juste la Siamoise, mais je considère que si mes articles lui plaisent, c’est que je dois continuer dans cette voie-là) – je voudrais vous parler d’un de ces phénomènes musicaux que l’on a observé dans les années 1960, à savoir une chanson super chouette, mais qui n’a pas été popularisée par son interprète original.

Ce phénomène a notamment été observé dans la musique soul, particulièrement avec la Motown. En effet, la célèbre maison de disque a pris l’habitude de faire enregistrer un même titre par plusieurs artistes. De la sorte, elle rentabilisait les auteurs-compositeurs en minimisant le risque d’oubli d’une chanson. Maintenant, réfléchissez à quelque chose : comment Bob Marley a pu acquérir cette notoriété internationale au début des années 1970 ? Il a pu allègrement remercier Eric Clapton d’avoir popularisé son I shot the sheriff. Sinon, je pense que le reggae aurait encore été aujourd’hui un délit d’initiés en dehors de la Jamaïque.

Donc aujourd’hui, on va faire révéler une vérité qui va vous scotcher au plafond : Non, non et non, Marvin Gaye n’est pas l’interprète original de I heard it through the grapevine. Même si la version originale et la version la plus populaire à l’heure actuelle ont été enregistrées dans un espace de temps très court, le véritable interprète original de cette chanson n’est autre que Gladys Knight and the Pips, en 1967.

La version originale

Ouais, ça change, hein ?

On remarquera au passage que cette demoiselle apporte une ambiance plus positive à la chanson. Gladys Knight, née en 1944 à Atlanta – de ces terres qui ont tant donné à la soul – commence sa carrière dès l’âge de 8 ans avec sa famille. En 1967, le groupe vient donc tout juste de se faire repérer par Berry Gordy, patron de la Motown, qui fait enregistrer ce titre de Norman Whitfield. Et c’est un carton, si bien que Whitfield écrira encore plusieurs titres pour Gladys Knight and the Pips. Par la suite, la famille changera plusieurs fois de maison de disques jusqu’à leur séparation en 1989.

Qu’en est-il de la chanson au départ ? En fait, elle ressemble beaucoup à R.E.S.P.E.C.T. – pas la V.O. d’Otis Redding, mais celle bien plus populaire encore une fois d’Aretha Franklin –, avec les motifs musicaux propres aux chansons de soul chantées à l’époque par les Aretha, Diana, Tammi et consorts. C’est d’ailleurs ce que je reprocherais à la Motown : autant leurs artistes masculins pouvaient sortir des purs trucs avec certains titres assez originaux, autant leurs artistes féminines semblaient être interchangeables et sans personnalité. Mais je digresse.

Tout cela pour dire que, bien que cette chanson dans cette forme soit assez sympa, remise dans le contexte de création de la musique noire de la fin des années 1960, elle reste finalement sans saveur, sans aspérités. Un peu comme un titre de Christophe Maé ou de Natacha Saint-Pier, toutes proportions gardées. C’est pour cette raison que les reprises qui en ont été faites sont plus populaires, parce que les artistes qui se la sont appropriée ont, en général, apposés une signature spécifique.

Les reprises

Marvin Gaye (1969)

Cette reprise est tellement réussie qu’on reste persuadée que c’est cette version, l’originale. D’ailleurs, par la suite, quand un artiste fait une reprise, il s’inspire de cette version-là. Tout y est beau, calculé, millimétré : le petit coup de drum au début, la montée de basse, les cymbales, le riff qui s’ajoute, l’envolée de cuivres, et cette interprétation qui reste, 45 ans après, exceptionnelle. Le principal changement est également mélodique : alors que la ligne mélodique de la chanson originale était essentiellement basée sur le mode majeur (en Do majeur, en l’occurrence), Marvin Gaye préfère faire flotter la mélodie pour faire hésiter la ligne mélodique entre mode majeur et mode mineur, donnant ainsi à la chanson une tension dramatique lourde qui sert admirablement les paroles. Pour moi, ça restera un chef-d’œuvre de la musique du XXe siècle.

Creedence Clearwater Revival (1976)

Cette version découverte récemment par Cecile-N me conforte dans l’idée que Creedance Clearwater Revival a fait beaucoup de bien à la soul en en démocratisant les standards version rock. J’étais déjà très contente de leur mythique reprise de Proud Mary – assez proche d’Otis, dans ce sens. Mais il faut dire aussi que le grain de voix de John Fogerty se confond agréablement avec celui du regretté étendard de la Stax. C’est là que je me dis que je dois ABSOLUMENT faire ma culture sur ce groupe. En même temps, ça fait quelques années que je le dis, et je ne le fais que de manière fainéante. Bref, tout cela pour dire que CCR signe là la meilleure reprise non soul de ce standard. Je dirais même qu’ils ont réussi à en faire une version blanche, ce qui, en soi, est une gageure.

Amy Winehouse et Paul Weller (2008)

*Pleurs*. Cette reprise est l’une des raisons pour laquelle je regretterai jusqu’à la fin de ma vie qu’Amy Winehouse appartienne au 27 Club et que moi-même j’aie vécu assez de temps pour voir s’accomplir ce petit miracle de soul et d’expression de la torture mentale telle qu’elle pouvait être exprimée par les paroles originales. Je m’en fous qu’Amy, sur la fin, n’ait plus été capable de fournir des performances pareilles. Je voudrais juste que le monde entier retienne ça : tout ce que la soul peut exprimer comme sentiments excessifs se retrouve à ce moment précis. À regretter qu’elle ne soit elle-même née dans les années 1960 pour prendre la place de Gladys Knight.

I heard it through the grapevine est donc l’exemple concret qu’une chanson originale peut présenter un défaut d’orchestration ou peut souffrir du manque de charisme de l’interprète original. Il suffit donc de pousser davantage la mélodie, de tester plusieurs artistes jusqu’à en obtenir un qui puisse marquer la chanson de son empreinte.