Texte écrit et publié dans Reflet de Société Dossier Famille
Kalunda avait trois enfants. Louise en avait un. Ensemble, ils en ont eu un autre. À sept personnes dans une maison, il devient important de bien planifier l’utilisation de la douche. Aujourd’hui, les quatre plus vieux volent de leurs propres ailes tandis que le dernier est encore à la maison. Leur bonheur est de garder leurs petits-enfants ou encore leurs filleuls. La mère de ces derniers, monoparentale, travaille à l’étranger. Lorsqu’elle fait garder ses enfants, ce n’est pas juste pour une soirée ou deux. C’est parfois plusieurs semaines!
Être prêt, disponible, faire en sorte que l’enfant se sente soutenu et désiré. Ce n’est pas quantifiable et ça n’a pas de prix. «La disponibilité est un investissement majeur», affirme Kalunda, venu du Congo. Il a été élevé presque exclusivement par son grand-père maternel. Celui-ci a pris toutes les décisions importantes. «Un enfant qui naît chez nous, n’appartient pas seulement aux parents biologiques. C’est un cadeau que les parents offrent à leurs parents. Un enfant n’appartient pas juste a son grand-père, mais à tous les vieux de la place».
Kalunda raconte la vie du village: «Nos maisons ne sont jamais fermées. Mon voisin garde ma maison, je garde la sienne. Je vais éduquer l’enfant de mon voisin et lui éduque le mien. Si une maison prend en feu, tout le monde vient la reconstruire. C’est notre façon de vivre notre esprit familial».
Kalunda explique que c’est la même chose pour l’agriculture: «Si c’est une ferme commerciale, c’est une responsabilité individuelle. Mais si je travaille ma terre pour les besoins de ma famille, tout le monde va venir m’aider. Ensuite on va tous aider un autre voisin. Partager ce qu’on a à manger est une responsabilité de la communauté. On est disponible les uns les autres.»
Et cette philosophie d’entraide communautaire et familiale, Kalunda la partage avec sa conjointe Louise. «Mes enfants sont aussi ses enfants et vice versa. Cela nous amène a développer, tous ensemble, une complémentarité, une solidarité.»
Avec Énoch, le dernier enfant de la famille, c’est différent. Il est arrivé au moment où ses frères et sœurs quittaient la maison. Kalunda ajoute: «Mes disponibilités sont plus grandes. Parce qu’il est seul à la maison, j’ai décidé d’être un frère aîné, tout en étant un papa pour lui. Malgré mon travail, dans mon agenda, ma première préoccupation, ce sont les activités d’Énoch. Les activités professionnelles arrivent après. En ce qui concerne les finances, c’est la même chose. On planifie les activités d’Énoch, ensuite on voit ce qui reste».
On voit de grandes étincelles dans les yeux de Kalunda quand il nous parle des activités d’Énoch: «C’est moi qui l’ai initié au soccer. Il a aimé et veut y participer régulièrement. Aujourd’hui, c’est trois pratiques par semaine en plus d’un match. Les matchs se déroulent souvent à l’extérieur, aussi loin que New-York ou encore le Bas du Fleuve, Sherbrooke, Gatineau! Et c’est comme cela douze mois par année. L’équipe d’Énoch pratique tout l’hiver sur un terrain intérieur. Comme je dit souvent, je ne suis pas seulement son père, mais aussi son porteur d’eau.»
Malgré la grande complicité que Kalunda a développé avec Énoch, tout le monde se divise les différentes tâches. «Si je ne peux aller le chercher, Louise va s’en charger. Et si elle non plus ne peut le faire, nous allons demander au grand frère. Et ce dernier fait de même avec son enfant quand il a besoin d’aide. C’est l’entraide à tous les niveaux».
La sœur de Louise, Thérèse, est une célibataire qui a adopté deux enfants malgaches. Jusque là, rien d’exceptionnel. sauf qu’elle est régulièrement partie pour travailler en Afrique ou en Asie. Qui s’occupe de ses enfants lors de ses séjours à l’étranger? Vous l’avez deviné, c’est le Vieux Kalunda! Les enfants ne sont pas dépaysés, ils vivent dans le même immeuble. Les activités de ses deux jeunes se superposent à celles d’Énoch. Kalunda considère que c’est normal pour lui.
Ici le terme «le vieux» est approprié. En Afrique, l’expression a un sens honorable. C’est le sage, la personne référence, celui sur qui on peut compter. C’est par l’exemple, le propos tenu, le comportement social et familial et la disponibilité qu’on peut hériter de ce compliment. Et ce n’est pas tout le monde qui devient «le vieux». C’est un titre, une forme de noblesse que l’on reçoit. C’est un titre qu’on ne peut s’approprier soi-même. Kalunda se sent investi d’un rôle spécial quand on lui donne ce qualificatif. Il ne veut pas décevoir les gens qui l’interpellent.
Comme s’il n’y avait pas assez de monde chez le bon vieux Kalunda, la famille est restée en lien avec un organisme de Madagascar depuis presque vingt ans. Ils reçoivent régulièrement à la maison des gens qui viennent au Québec pour faire des études ou des stages. Il est aussi vrai que cet organisme reçoit des Québécois qui vont les visiter ou y travailler. Malgré tout, la famille de Kalunda n’est pas un organisme communautaire. C’est une famille qui appartient a la communauté, avec un sens du devoir, de l’entraide et de la solidarité. Une famille qui est «citoyenne du monde ».Lorsque Louise sera à la retraite et qu’Énoch volera de ses propres ailes, il est probable que Kalunda et Louise se retrouveront au Congo ou ailleurs où ils pourront être utiles.
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