Magazine Côté Femmes

Silence

Par Notes-Sur-Tel-Aviv @MyriamKalfon

Qu’y a-t-il donc à dire ?
Beaucoup de ce que je fais, de ce que j’aime, tourne autour de dire. J’écris au travail, j’aime chanter, je parle beaucoup avec les gens, avec les copines, je donne mon avis, c’est très important, que l’on m’écoute, que je sois pertinente, percutante.
J’ai souvent peur de n’avoir plus rien à dire. Je me creuse la tête, le soir, pour avoir quelque chose d’amusant à raconter à mon amoureux, pareil avec les amis; c’est fou le temps qu’on passe à dire comment on va. Au bureau quand on arrive, sur Facebook, au téléphone avec les gens à qui on parle souvent, puis avec la famille, les amis de Skype. Toute la journée, je ne fais que me raconter, finalement.
J’aime parler, je ne pourrais faire que ca, et je m’en sens souvent coupable. Arrête, tu en fais trop, tu vois bien que tu agaces. Curieuse valse entre lassitude et besoin impérissable de me raconter, entre timidité et assurance, exaltation et fatigue. Parfois, je parle, je parle, quand on me demande mon avis, quand je peux briller, et puis à la fin, il me reste un gout amer. A quoi bon tout cela ? Mon amoureux dit que je me gache. C’est vrai, je suis souvent de bon conseil, pourquoi me priver de ce plaisir-là, de la gratitude des amis, du plaisir d’aider et de dire ma facon de pensée ? Ce qui me gêne, c’est un sentiment de dépendance. Une étroite association entre silence, ennui et mort. Il ne faut pas de temps mort, surtout pas de temps mort, comme dans une sitcom américaine, tchac tchac tchac, enchainer, faire rire, étinceler.
Parce que la famille était un espace compliqué et souvent lourd, petite, j’ai cru, à tort, devoir jeter le bébé avec l’eau du bain. Tout ce que j’avais appris, y compris qu’on pouvait être ensemble sans avoir envie de se parler, ni sans que rien d’extraordinaire ne se passe, j’ai cru qu’on y était pas du tout, que la vie heureuse, c’était un enchainement d’instants Kodak. Me revient la stupeur éprouvée dans la voiture avec une famille que je portais aux nues, le silence était tombé, on ne rigolait plus et j’étais comme prétrifiée. Vite! Vite ! Distraire, absolument!
Aussi bien, quelle est la frontière entre agir, créer, modeler sa vie à souhait, vouloir, désirer… Et puis contempler, observer, se taire ? Je passe en mode « saltimbanque » presque automatiquement dans certaines situations, et je bois alors à grand traits cette attention que l’on me prodigue, un rire, une attention aigue, je prends tout et je le lance dans ce puits sans fond du besoin auquel il correspond. Chanter, écrire, parler… autant d’échos face au ravin, face à l’inconnu, est-ce qu’on m’écoute bien, est-ce que je suis entendue ? Est-ce que j’existe ?
Souvent, avec ceux qui me prêtent attention ou que je fais rire facilement, je n’arrive plus à m’arrêter. Une heure passée, je suis extatique, une journée, voir un week-end et je suis vidée. Vidée et en colère contre cette énergie qui s’est échappée. Parfois aussi, je suis en colère contre les copines que j’écoute trop bien et qui elles non plus ne savent plus s’arrêter….Ecouter, entendre, être entendue, combien de fois n’ai-je pas osé couper quelqu’un, qui pourtant radote, parce que j’ai trop peur que l’on me coupe moi, j’ai trop peur de ne pas intéresser quelqu’un, pour infliger ce que je prends pour une blessure à autrui….
Ici, aussi, la vie à deux m’enseigne. Je ne peux pas être à mon meilleur, passionante, excitante, tout le temps. J’en suis physiquement incapable, je n’en ai pas envie et il serait bien en peine de le supporter. Alors je me tais et je m’inquiète en même temps: sommes-nous ennuyeux ? Sommes-nous inintéressants ? La mort guette, la mort approche… Parfois je nous imagine très vieux, ratatinés, ridés de partout, assis main dans la main, tranquilles, satisfaits, les yeux vers le large. Faudra-t-il donc attendre tant de temps ? Il a du mal à s’asseoir, il parle et il gigote dans l’appartement, plus il est content, plus il bouge, je lui dis arrête tu me donnes le tournis, assieds-toi, et il me répond mais pourquoi tu me douches l’enthousiasme ? A l’inverse, quand je mets la radio, il s’agace, encore du bruit, j’en peux plus, la musique c’est mon métier, là j’ai envie de reposer mes oreilles….
Puis-je être silencieuse et vivante ? Puis-je communiquer, rire, partager sans m’épuiser, sans sentir que je me perds ? Confiance, ma fille, confiance…



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