Faire ou écrire

Par Notes-Sur-Tel-Aviv @MyriamKalfon

Je voudrais tant écrire.
Et je n’ai pas de sujet.
Il me semble que l’écriture naît d’une certaine angoisse, une question arrive, me frappe de plein fouet, j’en suis envahie pendant plusieurs jours, et une des facons de la résoudre, ou du moins d’apaiser l’anxiété est de l’écrire. Il y a désormais moins de place pour cela, quand je suis occupée à agir, à construire. Est-ce à dire que je suis moins sensible ? Je ne sais pas.
Je suis moins anxieuse parce que le chemin entre ma pensée et une action s’est raccourci. Je veux, je fais. Cela ne me plait pas, je modifie. Faut-il donc sortir de la vie pour écrire ?
Aujourd’hui, je me suis volontairement arrêtée quelques heures, me laissant bercer par le silence sur le canapé. Mon amoureux passe et repasse dans le salon, inquiet : » Tu n’as toujours pas bougé?! » « Non, je suis bien, pourquoi ca t’embête ? » « C’est que tu as ce regard rêveur qui me fait peur… »" Pourquoi ? » « Parce que généralement quand tu te plonges dans tes pensées, tu en ressors avec tes critiques envers moi, des choses qui ne vont pas, alors je m’angoisse à l’avance… » Voilà, je crois penser mais peut-être que je ressasse, et au passage je crée de l’inquiétude. Ah, je réponds, tu as voulu une intellectuelle, tu l’as eue !
Lui et moi, nous venons de familles très différentes. Dans la sienne, on descend de villageois et on en gardé une certaine distance avec « les choses du monde », les voyages, la politique, l’introspection, tout cela n’est guère de mise à table. L’on parle donc des animaux de compagnies, de teléphones portables, d’anecdotes sur les voisins. Il n’est pas comme ca, lui, mais il est quand même habitué à parler de tout et de rien et de prendre cela pour une conversation. Chez nous, c’était le contraire, ésotérisme et gravité à toutes les sauces. D’ou mon aisance sur ce terrain là, celui des choses « sérieuses », des questions existentielles à résoudre au saut du lit. Mais je me suis rendue compte avec le temps que cela pouvait épuiser tout le monde, moi y compris. Alors, j’essaye de rester attentive, légère, percevoir quand c’est adéquat et quand c’est plombant. Il y a là-dedans une habitude mortifère de chercher l’épaisseur dans la souffrance, l’intensité dans le drame. Comme si vivre heureux était reservé aux animaux et aux imbéciles.
Je n’en suis plus là, j’ai choisi un autre chemin, quelque chose qui me propulse à l’extérieur de moi-même, vers l’action, la vie, le positif. Je pense par exemple à la mainmise religieuse en Israël, à la montée de l’extremisme orthodoxe, à la restriction des libertés pour nous les laics et je n’ai plus envie d’en faire un billet, mais plutôt un combat politique. Comment faire advenir le mariage civil, c’est un sujet qui me touche j’ai envie de marier bientôt mais pas religieusement, ni à l’étranger, comment faire ? Contacter Yair Lapid, Daphne Leef, Noam Schalit, lancer des manifestations, créer les conditions que je veux dans le réel et non plus déplorer ce qui m’entrave, voilà désormais ce qui me vient à l’esprit.
Est-ce à dire que je ne peux plus écrire autrement que politiquement ? Qu’il n’y a plus de place pour l’observation et l’écriture introspective ? Qu’il faut forcément être desespéré pour créer ?
Je me sais écoutée et entendue par mes proches, je me fais confiance pour résoudre ce qui ne me convient pas, chaque obstacle, chaque dilemne, alors que me reste-t-il encore d’indispensable à dire ? Dans ce nouvel état, délaisser la souffrance serait donc délaisser la contemplation. Comme si être une citoyenne reponsable de ma vie et de ceux qui m’entourent n’allait pas de pair avec l’écriture, était incompatible. A moins que je ne puisse trouver une facon d’écouter le monde sans passer par la case larmoyante, me faire le réceptable d’autre chose…
Je pensais autrefois que ma vocation était de dire, d’exprimer, le mieux possible quelque chose de l’humain. En l’écrivant, le chantant, le filmant, peu importe. Mais cela ne me suffit plus, je voudrais faire quelques pas de plus, aller plus loin, m’occuper du destinataire, celui qui entend ce que j’ai dit, et comprendre avec lui ce qu’il en pense et ce que nous allons en faire ensemble. Est-ce à dire qu’il faut que je m’engage en politique ? Ou que je devienne coach ? Ou simplement que je m’attache à devenir une très bonne journaliste ?
Je n’ai pas encore de réponse.
Je sais simplement qu’un espace s’est ouvert, que j’aie désormais la liberté, la confiance et le courage de rêver plus grand.