Première dame malgré elle (Crédit : bloggers.com)
Comme beaucoup d’autres en ces temps électoraux, je m’intéresse à Valérie Trielweiler. Ce qu’elle dit, ce qu’elle pense, de quoi elle a l’air. La dame passionne, à son cœur semi-défendant semble-t-il.
Une de ses déclarations me fait réfléchir. Première first lady- elle réfute l’appellation- à entrer à l’Élysée en union libre, elle voudrait aussi être la première à continuer à travailler. Honorable intention, même si comme ses nombreuses consœurs journalistes en couple avec des élus, cela la condamne dans le meilleur aux rubriques soigneusement apolitiques. Il sera intéressant d’observer si, et le cas échéant, qui se risquera à l’employer. Ce qui me turlupine, ce sont les arguments déployés pour justifier cette volonté sans antécédents en Vème République. « L’indépendance financière est vitale pour moi. J’ai vu ma mère demander à mon père de l’argent pour les courses et toute petite je me suis dit que je ne serais pas comme ça. Je continuerai de travailler car je dois élever mes enfants. Je ne vais pas vivre aux frais de l’État, ni à ceux de François, dont ce ne sont pas les enfants ». Voilà, de mémoire, le contenu des revendications. Plus l’assurance que beaucoup l’ont encouragée à travailler, ce qui enverrait « un message fort pour les femmes ».
Je comprends très bien que Valérie T. se définisse en partie grâce à son travail, qu’elle aime son métier et qu’elle n’ait pas envie de renoncer à son activité parce que ce n’est pas l’usage républicain maintenant que son compagnon est président. Mais ce n’est pas cela que j’entends dans ses propos. Elle ne dit pas qu’elle veut continuer à faire ce qu’elle aime, elle dit qu’elle ne veut pas dépendre financièrement de son conjoint. Nuance.
Est-ce une question de génération ? Quand j’entends cela, je me dis qu’elle se trompe de cible. Clarifions-le : le féminisme a acquis aux femmes le droit de travailler. Or, un droit, à l’inverse d’un devoir, est une liberté que l’on choisit d’exercer ou non. Que je sache, la première raison de travailler est la nécessité de gagner de l’argent. Quand cette nécessité disparaît, il s’agit dés lors d’autre chose, d’épanouissement, de sens que l’on donne à sa vie, d’un engagement social par exemple, ou d’un sentiment d’utilité. Or, nombre de femmes tiennent absolument à garder leur indépendance financière au sein du couple, même lorsque la question matérielle est réglée, comme un gage de liberté. Qu’on veuille travailler pour s’épanouir, je le comprends, qu’on veuille travailler pour l’argent alors qu’on ne manque de rien, je le comprends moins. Comme si l’argent restait une question de pouvoir et que dans le couple, il s’agissait de le garder. Au cas ou. Pour ne pas se faire dicter son comportement. Pour être capable de partir à tout moment. Pour conserver sa liberté. Pour ne pas se sentir dépendante. Pour ne pas être perçue comme telle, dans une société qui crierait au réac?
Penser ainsi, c’est à mon avis, l’exact opposé du féminisme. C’est même signer son échec. Car que signifie vraiment l’égalité des sexes ? La guerre permanente, la méfiance, la lutte pour le pouvoir ? Non. Partir du principe que l’on est égaux, c’est ne pas avoir peur d’être dominée, écrasée. C’est faire du couple un libre partenariat dans lequel chacun apporte ce qu’il a, ce dont il dispose, ce qu’il est capable d’apporter à la relation. Ces contributions peuvent-elles être parfaitement identiques et égalitaires ? Non. Même si on laissait tomber absolument toutes les tentatives de définir ce qui est masculin et ce qui est féminin, il ne resterait plus qu’un seul constat: ce sont les femmes qui mettent au monde les enfants. Qui s’arrêtent de travaillent le minimum légal pour pouvoir accoucher. Qui allaitent au sein, le cas échéant. Tout le reste est interchangeable et le sera sans doute de plus en plus dans les années à venir. Mais il n’empêche: nous sommes différents. A partir de là, pourquoi exiger qu’un homme et une femme apporte exactement la même chose dans le couple ? Point de malentendus ici : si c’était Valérie Trielweiler qui était nommée présidente et François Hollande qui se lamentait parce qu’il ne pouvait pas rester à la tête du PS, je lui tiendrais le même discours.
Nul sexisme déguisé de ma part, je pense. Mais bien une volonté de comprendre jusqu’au bout ce que signifie l’égalité. Dans un groupe d’amis par exemple, il y a celui qui est drôle, celui qui sait toujours tout, celui à qui on peut venir se confier, celui qui gère l’organisation des sorties. Chacun est différent, chacun apporte sa personnalité, on ne demande à personne d’échanger les rôles au nom de l’égalité, et on n’essaye pas non plus de mesurer l’apport de chacun. Certains sont plus bruyants et visibles que d’autres mais le groupe tient grâce à l’ensemble. Pourquoi n’en irait-il pas de même dans le couple ? Si l’on se considère comme un tout, un duo, une cellule, alors qu’importe d’où vient l’argent ? Celui qui a la possibilité d’en rapporter le plus possible, à un moment T, grâce à des circonstances X, en fait bénéficier l’autre ou les autres. Peut-être que ce rôle s’invertira à un moment donné, peut-être que non. Mais la personne, homme ou femme, qui pourvoit aux besoins matériels du foyer ne reçoit-elle pas à son tour bien d’autres choses dont elle a besoin ? Nourriture intellectuelle, spirituelle, émotionnelle, sportive, ouverture à des mondes qu’elle ignore, soins, confort, soutien, bonne humeur, amour…. Dans le cas du couple présidentiel encore, ce que V. apporte à F. semble être assez évident pour qu’on ne s’y attarde pas. Pourquoi alors s’acharner à différencier? Tout se passe comme si Trielweiler, dont c’est la troisième union, semble vouloir anticiper sur une possible rupture et pouvoir alors partir les mains libres, sans remords ni sentiments d’obligations.
Dans mon couple, la question s’est posée de plein fouet. L’écart salarial entre nous est tout bonnement à multiplier par dix. Tout à fait. Un zéro de plus en bas de la fiche de paye, et même plus. Et, si nous restons dans les mêmes voies respectives, le fossé n’est pas prés de se rétrécir. Autant dire une dépendance financière affichée de mon côté parce que, somme toute logiquement, nous vivons en fonction de ses revenus et non des miens. Autant dire que j’ai paniqué quand je me suis aperçue de la situation dans laquelle je me mettais. Le fait d’accepter « autant » me faisait trembler de peur. Et si je finissais par m’en aller, est-ce qu’il aurait le sentiment que je l’ai exploité ? Et si il me faisait payer le prix ? Et si je devais lui rendre compte de toutes mes dépenses ? Et si son entourage y trouvait à redire ? Et si il me méprisait ? Et si je devenais une femme au foyer désespérée ? Et si… Derrière les mots, la terrible peur d’être dépendante, d’être incapable de survivre si j’étais quittée. La terreur de n’être plus moi-même, de ne plus me posséder, moi, ma capacité à vivre, à aller et venir dans le monde. Et puis je me suis rendue compte que, quoi qu’il arrive, je serais changée par ma vie à deux. Influencée, modelée, agie. Je ne suis plus la même qu’avant mon couple, je me suis agrandie, enrichie. Et que refuser de recevoir ce que la relation avait à me donner, à savoir entre autres, une vie confortable que je ne connaissais pas, n’était en aucun cas une garantie quant à une éventuelle vie après ce couple-là. Accepter de recevoir, dans tous les sens du terme, signifiait aussi comprendre ma valeur, comprendre à quel point je suis digne de recevoir et d’être aimée. Et que vivre à mes côtés est un don pour la personne que j’aime. Qu’il a autant besoin de moi que j’aie besoin de lui. Ce qui revient finalement à dire que nous sommes égaux avant tout parce que nous avons besoins de recevoir auprès des autres ce que nous n’avons pas. Que l’auto-suffisance est un mythe. Et que l’argent n’est plus ni moins qu’un besoin parmi d’autres.
Peut-être alors est-ce là la plus grave erreur d’avant le féminisme. Le fait de ne pas reconnaitre en conscience, légalement, ouvertement, que les femmes, mêmes cantonnées chez elles, travaillaient et donnaient tout autant à leur foyer que leurs maris, sinon plus. Comme si le seul travail reconnu dans notre société est le travail de production, d’une action rémunérée. L’égalité des sexes se serait dés lors de reconnaitre que chacun de deux adultes qui composent un foyer travaille à la vie de celui-ci. Que ce soit en rapportant un salaire, en élevant les enfants, en sortant le chien, ou en faisant à dîner. Et qu’il n’y a pas de tâche supérieure une autre. Mais une répartition qui se fait librement, consciemment, démocratiquement en fonction des aléas de la vie et des possibilités de chacun. Qui peut se renégocier régulièrement.
Utopie ? Je ne sais pas.
Mais espoir que le féminisme ne soit plus une lutte de pouvoir mais l’ouverture à un monde des possibles. La fin des rôles pré-écrits. Et le couple, un lieu d’apprentissage de l’autre, et par là, de moi-même. Une force supplémentaire pour se promener dans l’existence.
Je n’ai pas envie de juger Valérie Trielweiler parce qu’elle appartient à une autre génération et qu’il me semble évident que beaucoup d’hommes de son âge luttent encore pour une domination passéiste. Mais je voudrais bien que son message à la gente féminine soit qu’une femme libre n’est pas écrasée ou amoindrie par le succès de son compagnon. Que reconnaitre que le président a besoin d’elle et qu’elle a besoin de lui n’est pas une tare, une imposture ou une faiblesse. Mais bien le signe d’un vrai compagnonnage.