L'oppression fiscale actuelle est peut-être, paradoxalement, une chance pour notre pays. À cause d'elle, les entrepreneurs prenaient la fuite. Désormais, ils se révoltent. La liberté est en marche.
Par Mathieu Laine et Erwan Le Noan.
Décidément, il ne fait pas bon être « patron » en France. Il y a quelques semaines, après avoir stigmatisé la famille Peugeot, c'était Bernard Arnault qu'on insultait. Avec le PLF 2013, ce sont tous les entrepreneurs, les innovateurs et les créateurs que l'on sacrifie fiscalement sur l'autel de l'égalitarisme-roi. Les « pigeons », cependant, commencent à se rebeller. Ces oiseaux à qui l'on promet d'arracher jusqu'aux ailes pour remplumer un nid percé refusent de se cacher pour mourir. Ces volatiles, apparus spontanément sur les réseaux sociaux et traditionnellement de bon augure, annoncent à juste titre le pire à ce pays qui tourne délibérément le dos aux véritables producteurs de croissance et d'emplois, aux vrais financeurs d'un « modèle social » à bout de souffle.
La grande idée du moment en matière de fiscalité, c'est que le capital devrait être taxé autant que le travail. C'est pourtant une horreur économique, comme vient de le rappeler Matt Yglesias dans le débat américain. La rémunération du capital, pour un entrepreneur, c'est la récompense de sa prise de risque. Un risque non fantasmé et bien réel, comme Marc Simoncini et Capucine Graby le montrent brillamment dans leur dernier livre : "Grandeur et misère des stars du net" (Grasset, 2012). Alors que le mot clé en économie est "incitation", la surtaxation du capital est fondamentalement désincitative tant elle décourage la prise d'initiative et ponctionne exagérément la récompense de l'innovation, ce qui reste après avoir tout payé (les salaires, les locaux, l'impôt sur les sociétés, les charges, etc.). Tout entrepreneur sait d'ailleurs que le capital est taxé plus que le travail, puisqu'il subit la double peine de l'impôt sur les sociétés suivi de l'impôt sur les dividendes ou la plus-value. Une telle ambition, dramatiquement française dans l'âme, s'inscrit dans la volonté de privilégier une France de rentiers, d'héritiers non actifs, dans un conservatisme bridant ceux qui inventent, travaillent sans compter et sont les moteurs d'un avenir meilleur.
Le PLF 2013 prévoit ainsi que les cessions de valeurs mobilières passeront d'un taux de 34,5% (19% + 15,5% de prélèvements sociaux) à une taxation pouvant atteindre plus de 60%, par application du barème de l'IRPP ! Quant aux dividendes, on ne compte plus les impôts qu'ils subissent : le bénéfice sera taxé à 33,33% (auquel peut s'ajouter une contribution exceptionnelle de 5% adoptée par le Gouvernement Fillon), puis le montant distribué sera imposé à 3% (loi de finances de cet été). Ensuite, le dividende bénéficiera d'un abattement de 40% (mais plus de l'abattement forfaitaire) et d'une déduction de CSG, mais subira aussi les prélèvements sociaux et l'application du barème de l'IRPP (avec une tranche à 45%). Ajoutez, pour les plus riches, la taxe à 75%, l'« ISF » nouvelle formule ou cette année la contribution exceptionnelle... On se demande ce qu'il pourra bien rester comme rémunération à celui qui ose tout et prend le risque de tout perdre, sans le moindre filet de sécurité. Certes, Bercy prévoit des mesures pour atténuer l'impact de la hausse de la taxation des plus-values pour tenir compte de la durée de détention. Mais le signal donné par le gouvernement actuel à la nouvelle génération est tragique : en France, il vaut mieux devenir fonctionnaire dans l'éducation nationale (un métier noble mais déjà exercé par trop de monde) que créateur d'entreprise.
A-t-on oublié que l'investissement participe d'un cercle vertueux : création d'entreprise, nouveaux produits, baisse des prix, création d'emplois, réinvestissement des bénéfices, etc. ? Rendre la fiscalité du capital confiscatoire revient à briser cette chaîne et à casser le moteur du pays. À trop tirer sur la corde fiscale, la France va se vider de ses entrepreneurs et faire fuir ses talents. Elle va, inévitablement, réduire ses recettes fiscales quand elle pensait les augmenter, et accroître la récession. Elle va, ainsi, démontrer « en vrai » à qui n'y croyait pas encore qu'Arthur Laffer avait raison d'affirmer que « trop d'impôt tue l'impôt ».
Plus grave encore, cette stigmatisation maladive des entrepreneurs, l'idée que, tous bords confondus, la richesse serait une injustice et que le succès serait nécessairement suspect ternit l'ambiance et plombe les énergies créatrices. La fiscalité est devenue une arme punitive : dès lors qu'un innovateur a assez pour vivre, le reste peut, sur le fondement d'une morale bien immorale (car violant dramatiquement les droits de propriété), lui être pris. Si les réformes du statut d'auto-entrepreneur et les projets fiscaux sont, au-delà de leurs effets économiques néfastes, très préoccupants, c'est parce qu'elles assassinent la culture de l'initiative et de la responsabilité individuelle qui sont le ciment de lendemains meilleurs.
Les « Pigeons » qui entrent en résistance ne sont pas des avares égoïstes mais les premiers rebelles d'un mouvement plus profond qui ne manquera pas de se déployer sous des formes diverses. Une France décourageant les entrepreneurs et, osons le mot, les capitalistes, sera une France morte. Dans son roman visionnaire, paru en 1957, Atlas Shrugged, ("La Grève", Les Belles Lettres, 2012), Ayn Rand a magnifiquement décrit le délabrement d'un pays préservant les rentes - y compris des grands monopoles - et hostile aux inventeurs et aux innovateurs. John Galt, son célèbre héros, entraine les entrepreneurs dans une vaste grève et prépare la révolution de la liberté.
L'oppression fiscale actuelle est peut-être, paradoxalement, une chance pour notre pays. À cause d'elle, les entrepreneurs prenaient la fuite. Désormais, ils se révoltent. La liberté est en marche.
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Article publié initialement par La Tribune.