© Melanie Cipango
Le spectacle commence lentement. On a l'impression qu'Emil Abossolo-Mbo est quelque peu ému par la présence du public qui a rempli la salle du centre culturel de la place des fêtes. Place des fêtes. Je pense naturellement au roman de Sami Tchak que je n'ai pas encore lu, mais dont on m'a dit un si grand bien. En arrivant à la salle de spectacle, je pense d'ailleurs à un des personnages, un français d'origine étrangère au langage ordurier, du moins c'est ce qu'en dit Joss Doszen dans ses palabres interminables...
Le démarrage semble poussif. Emil Abossolo-Mbo est un immense comédien qui a joué de très grands rôles pour de très grands dramaturges comme Peter Brook, au service de pièce de théâtre comme Hamlet de Shakespeare ou La tragédie du Roi Christophe d'Aimé Césaire, dans les plus grands théâtres. Je connais sa réputation, on m'en a soufflé les grands lignes. Pourtant, je me demande si durant les dix premières minutes, il ne bascule pas le One man show, proche du stand up... Jusqu'à ce que Wintaka rentre en scène et là, c'est autre affaire.
Wintaka est un pygmée qui refuse d'être désigné par ce terme venu d'ailleurs. Vision de l'autre. Il est un sage. Un passeur de mots. Et il se prend d'affection pour le narrateur qu'il suit quasiment depuis sa naissance. Un bantou. Cette introduction entre ces deux personnages est importante quand on connait le fossé qui existe entre bantous et pygmées, avec la condescendance des premiers sur les seconds. Wintaka souhaite prendre une part importante dans le parcours initiatique qui doit faire de ce petit bantou, un homme à part entière, aussi sa déception est grande quand il réalise que dès l'âge de quatre ans, on veut intégrer son petit bout d'homme à l'école gouvernementale, prolongement dans le temps de l'école coloniale.
Emil Abossolo-Mbo met magnifiquement en scène l'écartèlement du petit bantou pris entre le savoir animiste et l'éducation occidentale. Comme cette dernière va être prépondérante dans la construction de cet individu, c'est sur celle-ci que vont porter les tirades du merveilleux comédien incarnant à lui seul différents personnages : enseignants, amis, concepts personnifiés qui participent à ce parcours initiatique qui lui est proposé et auquel beaucoup s'identifieront. Le talent de l'artiste camerounais se déploie alors dans toute sa mesure, les mots en français s'entrechoquant avec d'autres mots en ewondo (source ma voisine), la tirade digne de Shakespeare laissant la place au champ de sons multiples...
Ce qui est très intéressant et c'est la marque des très grands, c'est que l'interaction fonctionne également avec les enfants présents dans la salle. Beaucoup d'adultes se sont retrouvés dans cette ambiance de l'école primaire du bled, de la transmission des savoirs en sauce africaine fortement occidentalisée. Ce spectacle parlera à beaucoup. Même et surtout aux enseignants français. Car des parallèles sont vites faits pendant qu'Emil Abossolo-Mbo déploie son champ de sons.
A bon entendeur, salue!
Emil Abossolo-Mbo, Champs de sons