Dans le Monde de ce jour (daté lundi), Gaïdz Minassian rend compte de deux livres récemment parus, l'un sur la Turquie et l'Iran face au printemps arabe, l'autre sur les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979. Il en tire la thèse suivante : Turquie, Russie et Iran s'apparient deux à deux, selon les dossiers, nouant des alliances d'opportunité, selon notamment un critère géographique : Proche-Orient (et notamment la Syrie), Caucase, et Asie Centrale. L'idée n'est pas idiote, mais je suis en désaccord avec lui au sujet de la volatilité et de la liberté de ces acteurs.
1/ En effet, à lire M. Minassian, La Russie s'allierait tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre. Et l'Iran ou la Turquie agiraient pareillement. Pourtant, ce n'est pas exactement ce qu'on observe.
2/ En effet, dans le Proche Orient et tout particulièrement en Syrie, Iran et Russie sont clairement des alliés de Damas, quand la Turquie est franchement opposée au régime de B. Assad.
3/ Au Caucase, Russie et Iran s'inquiètent de l'axe turco-azerbaidjanais. Là encore, Moscou et Téhéran sont assez proches.
4/ En fin, en Asie centrale, la Russie se méfierait du regain de l'islamisme (j'en suis d'accord) mais le texte sous entend que l'Iran et la Turquie seraient des alliées objectives. Or, je ne vois pas de soutien clair des Turcs envers les Talibans ni même de l'islamisme radical, et l'AKP est certes islamiste, mais bien modéré. Quant aux Iraniens, s'ils se présentent comme hérauts de la foi, ils se méfient comme de la peste des radicaux talibans sunnites....
5/ Autrement dit, on constaterait plutôt, sur les trois théâtres,une connivence russo-iranienne (au pire une neutralité).
6/ Toutefois, le reste de l'article est excellent :
- trois nations bénéficiant d'une vielle histoire et d'une longue culture, sans trouble identitaire
- trois nations pratiquant encore un westphalisme assez classique, "post-impérial"
- trois nations voulant profiter des désordres en cours pour développer leur influence considérée comme ayant baissé au cours des vingt dernières années
- trois nations ayant des rapports très ambigus avec l'Amérique, variant de l'allié prenant son autonomie à toute vitesse (Turquie) à l'ancien ennemi pas vraiment devenu allié (Russie) et la représentation de l'axe du mal, nouvel ennemi désigné (l'Iran).
Je partage ici tout à fait le diagnostic de l'auteur.
O. Kempf