Je m’étais promis de ne pas rater ce concert, et malgré les conditions pas du tout favorable, envers et contre tout, j’y suis allé. J’ai vue toe en concert, je n’ai pas raté la première date française de leur histoire, j’étais là, au premier rang, recevant les gouttes de leur sueur en pleine face. Je commence la rédaction de ce billet vendredi 21 septembre à 9h44, je n’ai pas dormi depuis environ 28h, je suis dans un état vaporeux propre de la gueule de bois, j’aurai probablement du mal à rentrer chez moi ce soir, et paradoxalement je ne me suis pas senti aussi bien depuis longtemps. Le pouvoir cathartique de la musique, tout simplement.
Malgré la SNCF et son retard de 1h pour arriver à Paris (non remboursable car “c’est pas de leur faute si quelqu’un a voulu se suicider”), malgré le téléphone qui fait le mort , malgré le budget hyper serré qui me force à traverser Paris à pied sur certaines distances, malgré les cours du lendemain à la première heure à 150km de là, malgré l’absence de toit où passer la nuit, envers et contre tout je vous le disais, j’arrive au lieu du concert aux alentours de 20h.
Niché contre le canal Saint Martin, le Point Éphémère se décrit comme un “centre de dynamiques artistiques” ou l’on trouve pèle-mêle des studios de danse, ateliers d’artistes, de répétition,et surtout une salle de concert, raison principale de ma venue en ces lieux. Un bar avec terrasse couverte est attenant à la salle de concert et cette dernière est remplie à mon arrivée, la queue pour rentrer dans la salle faisant un arc de cercle tout autour. Dans la file d’attente, un type se ballade avec une caméra et un micro. Il finira par arriver à moi et me demandera si je parle anglais et si j’aimerais dire quelques mots à propos de toe pour les bonus du futur DVD. Vous imaginez bien que je n’ai pas hésité une seule seconde. A la fin de mon “interview”, il me révélera que la sortie de ce DVD est prévue pour dans six mois minimum. Connaissant le soin que toe apporte à chacune de ses sorties en DVD (déjà deux de sortis), cette attente est un moindre mal. Un petit quart d’heure de queue pendant lequel on apercevra Takashi (batteur de toe) fumer une cigarette dehors puis entrée dans la salle de concert, après une fouille très détendue (je n’ai même pas eu à ouvrir mon sac) qui change des grosses salles aux services de sécurité zélés et désagréables.
A peine quelques secondes après mon entrée et en faisant sursauter tout le monde, THE FORKS débute son set. Si leur patronyme fleure bon le groupe d’indie rock en chemise à carreaux propre sur soi, c’est en fait un duo batterie/guitare instrumental math rock/noise vachement bruitiste et barré. Ils n’ont pas mis beaucoup de temps à me convaincre à leur cause, l’efficacité de leur musique m’est tout simplement irrésistible. Le groupe ne se contente cependant pas d’envoyer le bois et pose de bien belles ambiances avec ses passages en guitare clean aériens. Le batteur arbore un joli tshirt The Dillinger Escape Plan et frappe sur ses fûts avec toute son énergie, transpirant à grosses gouttes. Les morceaux du groupes sont assez courts et directs et le volume un tantinet trop fort, certaines personnes ignorant l’existence de bouchons auront gardé leurs mains plaquées sur leur oreilles pendant tout leur set. Le groupe joue dans une configuration assez particulière, l’un face à l’autre, non pas sur scène mais dans la fosse, avec le public qui l’entoure de toutes parts. C’est la configuration de scène de toe sur ses DVD live et j’espérais qu’ils se produisent dans ces conditions là ce soir aussi (ce qui ne sera malheureusement pas le cas). Un peu plus d’une demi-heure de jeu après, le duo joue un dernier morceau, remercie le public et remballe ses affaires, permettant au public d’investir la fosse puisque les deux autres concerts se dérouleront sur la scène.
Quinze à vingt minutes pour le changement de plateau et c’est JEAN JEAN qui investit la scène. Le groupe pratique un indie rock instrumental coloré et aux accents festifs qui ne me plaira pas du tout (pour rester aimable) et sera même emmerdant à plusieurs moments. Vu les retours nombreux du public, on comprend vite que le groupe joue en terrain conquis (j’ai d’ailleurs entendu dire dans la queue qu’ils auraient été “mis” sur l’affiche par un pote. Paris quoi), ça balance des private jokes à tout va et le guitariste dialogue parfois carrément avec certaines personnes. Je ne comprends pas trop cette démarche quand on pratique une musique où l’immersion dans l’atmosphère musicale est d’une importance capitale. Au milieu de ses discours sans intérêt pour qui ne les a pas déjà vu en concert/ne picole pas avec eux le samedis soir, le groupe joue sa musique et si aucune chanson ne n’aura vraiment retenu mon attention, les quelques séquences de tapping du guitariste aux faux airs d’Omar R-L de The Mars Volta étaient fort innatendues et au final très appropriées. Le batteur tape avec conviction et un sourire permanent et le bassiste/claviériste se démarque par son…absence, autant scénique que musicale, ses parties sur ses deux instruments et surtout au claviers ont du mal à s’intégrer au reste. Ennuyé par leur musique et impatient de voir toe, je passerai le dernier tiers de leur set à manipuler mon téléphone. La montée sur scène d’un chanteur invité sur l’un des morceaux me fera relever l’oeil vers la scène un moment, mais ce dernier évoluant dans un registre qui m’hérisse le poil (l’indie/brit pop à voix de castrat) je retournerais bien vite à mon Fruit Ninja.
Comme toujours, les minutes de changement de plateau menant au groupe que l’on attend le plus sont les plus longues. JEAN JEAN ayant du mettre tout son matériel devant celui de toe, l’espace exigu qu’il reste rend laborieux le retrait du matériel. Attendre, debout, immobile pour ne pas perdre sa place au premier rang, en regardant le monde s’affairer sur scène. Finalement, après vingt minutes qui semblèrent durer deux fois plus, les lumières de la salle s’éteignent et ne reste plus que celles de la scène. toe entre en scène sans un mot, avec à peine un regard pour le public. Chacun des musiciens saisit son instrument pendant et à la fin de leur musique d’introduction, 1-2-3 et c’est parti pour “Run For Word”, titre d’ouverture de leur dernière sortie en date, l’EP “The Future Is Now”. Immédiatement, le comportement des musiciens impressionne : totalement absorbés par leur musique, ils n’ont presque aucune attention pour le public. Le bassiste est en fond de scène à côté du batteur et les deux guitaristes jouent de profil, presque dos au public par moments. Ça peut sembler étrange décrit de la sorte mais ça crée un effet “spectacle” très saisissant, le groupe joue dans sa bulle et n’interagit qu’à travers sa musique. Ce premier morceau s’achève dans un tonnerre d’applaudissements qui ne les trouble guère, chacun vérifiant son accordage aussi tranquille que dans sa salle de répète. Le son pour toe est moins fort qu’avec les deux groupes précédents et aisément supportable sans bouchons de protection. Les titres s’enchaînent et pour mon grand plaisir aucun disque du groupe n’est oublié. “I Dance Alone” et son pattern de batterie particulier, réarrangé (par rapport à la version studio) pour les live comme toujours. Takashi Kashikura, quelque peu isolé derrière son mur de cymbales livre une prestation de folie, multipliant les fills “risqués” mais toujours dans les temps. Difficile cela dit de mettre un musicien devant l’autre, le plus impressionnant avec toe est bien cette alchimie entre tous les instruments, ces arrangements fignolés aux petits oignons et la fluidité avec laquelle tout se passe. Au fil du concert, les musiciens sortent de leur isolement, jouent face scène et répondent à quelques interventions en japonais du public avec des sourires brefs. Au moment de jouer “Goodbye”, Yamazaki prendra la parole, il remercie le public présent ce soir et s’excuse de ne pas connaître plus de trois expressions en français. Il rappellera également à quel point 2011 a été une année difficile pour le groupe (la moitié de leur matériel volé dans leur camion, le tsunami au Japon et tout ce qui a suivi) et que cette première tournée européenne signifie beaucoup pour eux. Il laisse également entendre qu’ils reviendront en Europe s’il y a une demande. “Goodbye” c’est un peu le tube de toe, le morceau qui les a fait exploser leur popularité au Japon dans sa version avec Toki Asako au chant (artiste assez connue là bas). Sur quelques morceaux comme “1/21” ou “Esoteric”, le groupe est accompagné de Nakamura Isaac, le claviériste présent sur leur “Cut_DVD” qui apporte tellement au groupe sur leurs dernières sorties qu’il était indispensable qu’il les accompagne sur cette tournée. Après une heure de concert et sur un “New Sentimentality” dantesque, toe quitte la scène dans un tonnerre d’applaudissement. Ils reviendront peu après pour un rappel de deux titres et conclure le concert de façon encore plus magistrale qu’ils ne l’avaient débuté avec un ”Past and Language” débordant d’énergie où le quatuor totalement possédé par sa musique se contorsionne et malmène ses instruments. Fin du morceau, guitares jetées au sol et retour brutal à la réalité après cette heure vingt passée ailleurs. Je resterai devant la scène histoire de récupérer une des setlist arrachée du sol par les roadies mais celui de toe viendra me la reprendre des mains pour…la jeter. Je suppose que ça ne se fait pas au Japon et naturellement je n’insiste pas. Comme pour s’excuser, le roadie reviendra me donner une cinquantaine de stickers à partager au public. Le stand de merch est bondé quand j’y arrive et il n’y a déjà plus de tshirt taille medium de couleur noire (ce qui est une très bonne chose, un tshirt vendu rapporte aujourd’hui plus qu’un CD). Chose rare, on trouve sur le stand une clé USB contenant un code qui permet de…télécharger un bootleg audio du concert qui vient à peine de s’achever sous 24h. Le concept, original, plaît et les clés partent comme des petits pains. Ah au fait, petite pensée pour cette CONNASSE qui, armée de son plus beau sourire, a voulu se faire offrir l’EP du groupe, prétextant ne pas avoir plus de 20€… Il y a des bonnes gifles qui se perdent.
La soirée ne s’arrêtera pas là pour moi. Avec une poignée de fans hardcore, je reste devant l’entrée des artistes pendant que les membres des groupes fument une cigarette et déchargent leur matériel. Je ferai la rencontre d’un espagnol venu spécialement du pays basque pour ce concert et qui, comme moi, n’a nulle part ou passer la nuit et a quelques heures à tuer avant de prendre le train qui le ramènera chez lui en début de journée. J’aurai aussi l’occasion de discuter longuement avec les membres du groupe et leur staff. Beaucoup de questions dans les deux sens, le caractère hétéroclite de leur fanbase les surprenait et leur donnait envie d’en savoir plus. Les deux gars chargés de filmer le concert pour la future sortie en DVD rencontrés brièvement avant le show (des membres de Adults, The Elderly and Children en fait) se son révélés être des types bien sympathiques aussi, nous aurons une discussion assez intéressante sur The Mars Volta et At The Drive-In (qu’ils ont vu à Londres un mois avant, jalousie) et sur la scène math-rock en général sur laquelle toe a une influence énorme que je ne soupçonnais pas. Moi et mon compagnon de galère espagnol prendront congé d’eux et par la suite, nous passeront l’essentiel de la nuit à marcher dans des rues parisienne désertes en direction de nos gares de départ, non sans croiser à plusieurs reprises des individus de cette faune nocturne parisienne si célèbre pour sa capacité formidable à créer des emmerdes à partir de rien.
Concert de folie, rencontres intéressantes et nuit blanche suivie d’une journée de cours, ce concert ne manque pas de raisons d’être mémorable. Voir toe en concert était un rêve inespéré et maintenant qu’il est devenu réalité, j’ai toujours beaucoup de mal à y croire. Le pouvoir cathartique de la musique. Il ne déçoit jamais, surprend toujours, et pourrait constituer à lui seul une raison de vivre.