Pour l’amateur de film d’horreur, Sinister avait à la base tout du projet à fuir de toute urgence : des producteurs peu scrupuleux responsables de la lamentable série des Paranormal Activity, un réalisateur au CV peu reluisant (Scott Derrickson, qui a emballé un anonyme épisode d’Hellraiser, le mollasson L’Exorcisme d’Emily Rose, et le remake foireux du Jour où la Terre s’arrêta), tout ça pour une nouvelle histoire de maison hantée. Bref, rien de très emballant a priori. Mais les premières affiches du film et surtout sa terrifiante bande annonce ont lentement mais sûrement changé la donne, l’intérêt poli se transformant petit à petit en attente fébrile. Restait à savoir si Sinister allait réussir à tenir toutes ses promesses.
Dès son introduction, Sinister s’amuse à chambouler les règles du genre : le héros est au courant du passé de la maison, c’est d’ailleurs même pour cela qu’il s’est installé dans celle-ci, les flics locaux ne veulent pas de lui dans les parages, connaissant sa propension à faire remonter à la surface un passé indésirable, et le héros est d’ailleurs plutôt antipathique, plus proche du Jack Torrance de Shining, alcoolique et obsédé par son bouquin, que du bon père de famille de Poltergeist. Et surtout le spectateur est très rapidement plongé dans le vif de l’action, la découverte des bobines de film lançant l’intrigue étant quasi immédiate. Mais d’un autre côté, Sinister suit par la suite un chemin extrêmement balisé, récupérant des idées à droite à gauche, comme l’idée de la bande vidéo maudite contaminant le réel (Ring) ou le boogeyman peinturluré (Insidious). A tel point qu’au bout d’une demi-heure, n’importe quel spectateur attentif aura deviné les tenants et aboutissants de l’intrigue, et saura comment le film va se terminer. Un point faible apparent qui va en fait se révéler la vraie force de Sinister, Derrickson réussissant à générer par ce scénario prévisible une vraie sensation de fatalité, pesante et source de malaise. On sait comment cela va se terminer, et on sait que l’issue ne pourra être que fatale pour les personnages. En résulte une ambiance de plus en plus pesante à mesure que le piège se referme sur Ellison et les siens, et que le spectateur ne peut qu’observer impuissant le déploiement de cette spirale infernale.
L’autre élément qui participe grandement au malaise généré par Sinister est le soin apporté aux films snuffs qu’Ellison retrouve dans le grenier et visionne à mesure que l’intrigue progresse. Chaque film est différent du précédent (même si tous suivent le même schéma, en débutant par des scènes familiales banales avant de basculer dans l’horreur), et Derrickson prend bien soin de ne les dévoiler que petit à petit, au fil du film, plaçant cette fois le spectateur dans la même position qu’Ellison, celle d’un voyeur à la fois fasciné et dégoûté par ce qu’il découvre sur ces bandes. L’identification marche dès lors à plein régime, et ce malgré le caractère assez détestable du personnage principal (on ne peut que saluer le jeu d’Ethan Hawke, qui réussit à provoquer l’empathie malgré les tares de son personnage) et on en vient à redouter de voir ce satané projecteur allumé. Le malaise est aussi grandement renforcé par l’exceptionnelle musique créée par le compositeur Christopher Young, d’une efficacité rare Et si Derrickson pèche parfois en tombant dans quelques excès démonstratifs (les enfants fantômes, finalement assez peu effrayants), il prend bien soin de ne pas trop dévoiler son boogeyman, et de ne pas tomber dans les effets sanglants faciles, notamment lors du très dérangeant final.
Sans pour autant devenir un classique instantané, ni prétendre au statut de chef d’œuvre horrifique, Sinister s’avère sacrément flippant et impressionne par la façon dont Scott Derrickson parvient à exploiter une faiblesse apparente (un scénario balisé et sans surprises) pour en faire une des composantes fondamentales dans la génération d’une terreur sourde. On scrutera du coup avec intérêt la suite de la carrière du réalisateur, pour voir si Sinister n’était qu’un heureux accident de parcours, ou s’il préfigure la naissance d’un futur grand de l’horreur…
Note : 7.5/10
USA, 2012
Réalisation : Scott Derrickson
Scénario : Scott Derrickson, C. Robert Cargill
Avec : Ethan Hawke, Juliet Rylance, James Ransone, Nicholas King