Amélie Nothomb de nationalité Belge et fille d’ambassadeur, naît en 1967 au Japon et y vit durant sa prime enfance. Plus tard ayant atteint l’âge adulte, elle retournera dans ce pays en tant qu’interprète dans une grande entreprise. De cette expérience elle tirera matière à écrire son huitième roman Stupeur et tremblements paru en 1999, l’un de ses plus grands succès de librairie avec Hygiène de l’assassin qui lui date de 1992.
J’ai longtemps différé la lecture des bouquins de cet écrivain sans que je sache trop pourquoi. Ses apparitions à la télévision me sont sympathiques, même si parfois son mélange de candeur et d’image (ses chapeaux !) peuvent sembler des trucs de marketing. J’avais vu le film d’Alain Corneau tiré du roman avec Sylvie Testud dans le rôle de l’auteur et j’avais beaucoup aimé, me promettant de mettre le nez dans le roman et puis…. Enfin, c’est chose faite et je ne le regrette pas.
Début des années 90, Amélie la narratrice est embauchée chez Yumimoto une grosse boîte japonaise d’import-export. Là, elle va découvrir le monde du travail et qui plus est, du travail au Japon avec ses règles et ses comportements qui vus d’ici nous paraissent exotiques dans la version optimiste, particulièrement contraignants et rétrogrades dans la version pessimiste.
Une hiérarchie pesante, Amélie est sous les ordres de mademoiselle Fubuki Mori, qui elle dépend de Mr Saito, lequel obéit à Mr Omochi tandis que Mr Haneda régit tout le monde. Au-delà de la hiérarchie – en France aussi nous avons cela – ce sont les codes de vie en entreprise qui différent et paraissent invraisemblables à nous autres occidentaux. La soumission à l’autorité (voir l’étude de Stanley Milgram datant de 1974) atteint des sommets difficilement reproduisibles par chez nous. Les engueulades et les brimades endurées par Amélie dépassent l’entendement au point d’être assimilées à des supplices chinois, si j’osais cette astuce.
Le parcours d’Amélie est en fait une descente aux enfers. Après avoir commencé sa carrière en servant des cafés à ses supérieurs (bizutage) elle obtient un job sous l’autorité de Fubuki Mori mais qui tournera court, « J’eus droit à un savon mérité : je m’étais rendu coupable du grave crime d’initiative. » Dès lors elle va descendre l’échelle sociale de l’entreprise, multipliant les boulots les plus improbables, tourner la page des calendriers de ses collègues pour au bout de son calvaire, atterrir dans les toilettes, à récurer les lavabos et tenir des rouleaux de PQ toujours à disposition des usagers, hommes et femmes !
Il faut néanmoins reconnaître qu’Amélie n’est pas exempte de reproches, certains boulots administratifs ne paraissent pas aussi complexes qu’elle le dit et des erreurs de psychologie minimes pour nous, prendrons des proportions énormes là-bas. Mais ce qui surprend le plus le lecteur, c’est le caractère finalement assez souple de l’héroïne, elle ne souffre pas autant qu’on pourrait le croire, elle trouve même la situation presque drôle, « j’entrai dans une dimension autre de l’existence : l’univers de la dérision pure et simple. »
Au sortir de cette lecture très agréable où l’ironie et l’humour vont en couple que doit-on en retenir ? N’oublions pas qu’il s’agit d’un roman et non d’un essai sociologique, si de nombreux points sont certainement exacts, l’image du Japon ne sort guère des clichés habituels véhiculés par les esprits Occidentaux (« Au Japon, l’existence, c’est l’entreprise »). Où est la part du vrai et de l’inventé, cela n’a aucune importance en fait, puisqu’il s’agit d’un roman et qu’il est réussi. Concernant l’origine du titre, « Dans l’ancien protocole impérial nippon, il est stipulé que l’on s’adressera à l’Empereur avec « stupeur et tremblements »…
« Et en dehors de l’entreprise, qu’est-ce qui attendait les comptables au cerveau rincé par les nombres ? La bière obligatoire avec des collègues aussi trépanés qu’eux, des heures de métro bondé, une épouse déjà endormie, des enfants déjà lassés, le sommeil qui vous aspire comme un lavabo qui se vide, les rares vacances dont personnes ne connaît le mode d’emploi : rien qui mérite le nom de vie. Le pire, c’est de penser qu’à l’échelle mondiale ces gens sont des privilégiés. »
Amélie Nothomb Stupeur et tremblements Le Livre de Poche