Dans le dernier numéro d'Alternatives économiques, Joseph Stiglitz affirme "la raison fondamentale de la montée du chômage est l'insuffisance de la demande... Le plein-emploi est compatible avec la mondialisation". Ainsi, le "pape" du néo-keynésianisme croit dur comme fer qu'il suffira de revoir la répartition des richesses pour retrouver croissance et plein-emploi!
Joseph Stiglitz, prix Nobel, est un des penseurs économiques les plus éminents de la gauche. Et pourtant, ses propos et son raisonnement oublient totalement les problèmes écologiques.
Sa démarche néglige complètement la notion d'empreinte écologique qui nous fait consommer les ressources d'une planète et demie par an, qui nous fait vivre à crédit d'une planète que l'on épuise méthodiquement et radicalement.
Voir un intellectuel aussi brillant que Stiglitz raisonner à vide est désolant. Comme si un concept aussi important que la rareté -pourtant essentielle dans la pensée économique- la rareté des ressources précisément, pouvait être oubliée, considéré comme déconnecté de la réalité économique.
Cela fait maintenant plus de 30 ans, Edgar Morin popularisait la notion de pensée complexe. En 1906, l'économiste Pareto inventait la théorie systémique. Et pourtant, un des plus brillants intellectuels de notre temps raisonne dans un système de pensée fermée qui oublie que l'économie est connectée à une planète et à des ressources non renouvelables.
Cet état désolant de la pensée intellectuelle n'est que le reflet de l'opinion publique dans lequel nous vivons. Partout, dans les ouvrages et les médias, on sépare l'économie et la politique -sérieuses, éminemment sérieuses- de l'écologie et de la nature -plus légère et moins importante-.
Les journalistes les plus éclairés commencent à nous parler d'une "crise écologique" qui chemine parallèlement à la "vraie" crise économique. Mais personne ne semble se donner la peine de faire la connexion entre les deux.
Il faudra bien pourtant que les intellectuels et les décideurs comprennent que les deux crises n'en forment en réalité qu'une seule.
Si la crise économique est si profonde, si elle ne cesse de s'étendre à l'ensemble du monde, y compris aux nouvelles puissances économiques émergentes, si nous n'arrivons pas à la surmonter, c'est bien parce que cette crise est absolument inédite.
Elle n'est pas fondamentalement une crise cyclique de plus, mais une crise profondément ancrée dans un problème fondamental : nous avons atteint les limites des ressources de la planète Terre. L'abondance est terminée.
Dans tous les domaines, les ressources deviennent rares et donc chères. Ces coûts croissants épuisent les économies de tous les pays. Les emprunts, pensés comme des leviers pour échapper provisoirement à l'atonie, ont approfondi ce ralentissement.
La crise révèle le coût croissant de multiples ressources : logements, terrains constructibles, matériaux, produits alimentaires. Nous consommons et gaspillons trop de ressources pour pouvoir relancer l'économie et relancer l'activité.
Le chômage n'est que le reflet de cette crise fondamentale économique ET écologique: les ressources rares ne peuvent pas permettre une activité abondante. Le travail devient lui aussi plus difficile à trouver et à multiplier.
En 2007, le cercle des économistes et Erik Orsenna écrivait "un monde de ressources rares". Le titre était prometteur mais le contenu était décevant: les économistes classiques qui l'ont écrit ont eu une intuition fulgurante mais n'ont imaginé que des solutions orthodoxes : réorganiser la gouvernance mondiale, innover et diffuser la connaissance, ... et autres solutions banalement classiques et déjà vues. Il nous faudra d'autres innovations inventives et audacieuses si nous voulons trouver de véritables solutions à la crise économique et écologique mondiale.