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Chamboula de Paul Fournel

Publié le 06 octobre 2012 par Busuainn_ezilebay @BusuaInn_Ezile
Chamboula de Paul Fournel Chamboula de Paul Fournel
 
Au Village Fondamental, situé quelque part en Afrique, vivent paisiblement des hommes et des femmes.
 Chamboula, une superbe jeune femme beauté et trésor du village y déploie ses charmes. c'est la femme, avec ses attraits, son caractère. Elle est la mère de tous, elle est l'Afrique. Elle est la réflexion et la poésie.

Un réfrigérateur et une télévision arrivent et bouleversent la vie des villageois. Les blancs et leurs idées de rentabilité débarquent : 
« Certain de bientôt bâtir une ville immense, SAV organisa le travail des jeunes. On allait avoir besoin de main-d’œuvre formée. Il leur apprit à se lever tôt, à se coucher tard et à ne pas chômer entre les deux. Il leur enseigna le haut et le bas, la droite et la gauche, la verticale et l'oblique, le couvert et le découvert, l'aligné et le tordu, le dur et le mou, le fil à pierre et la brouette, la carotte et le fouet. On voyait son armada traverser le village en cadence à chaque heure du jour. L'informe pagaille des premières semaines prit petit à petit l'allure d'une possible armée. SAV rêvait d'un uniforme. »
SAV ("service après-vente") nom particulièrement judicieux pour ce type de blanc, s’éprend de Chamboula. SAV c'est le blanc du nord qui arrive avec toute sa cupidité.

Boulot, un jeune , part du village et voudrait aller en France où l’accueil n’est pas toujours celui qu’il espérait. Boulot symbolise l'Afrique dans sa diversité et ses parcours. S'en suit un chassé-croisé d’espoirs, de réflexions, d’interrogations, d’émotions. Le chef du village a du mal à maîtriser toutes les évolutions. Ce qu'il maîtrise bien, c'est son enrichissement personnel (toute ressemblance avec des scènes vécues ne seraient que... vérité).  Dans Chamboula, Paul Fournel offre l'opportunité de suivre plusieurs personnages avec de multiples pistes de lecture. Qu'est ce que c'est bien le multidimensionnel chez Fournel !

Chamboula de Paul Fournel

Le graphe de la construction de Chamboula par l'auteur


Une construction aussi foisonnante que passionnante, luxuriante aussi servie par une écriture vive, enlevée, ironique parfois. Le rythme est dynamique.
Chamboula est un manuscrit où l’humain se déploie dans toute sa magnificence et/ou/aussi toute son horreur. La bêtise humaine y est bien épinglée. Jouissif !

Où est donc passée l’intelligence du monde ? 


Elle se niche de part et d’autre des limites d’une case, d’une maison, d’un village, d’une ville, d’une mégapole, d’un pays. L’intelligence humaine est inégalement répartie en chaque être et ne se situe pas toujours là où l’on dit (croit) qu’elle est. Il y a le chef, tellement semblable à tous ces satrapes habituelles sur le continent et son sorcier animiste. Les ancêtres ont une place très active et ne s'en laissent pas compter par les velléités de « modernité » importée-imposée-plaquée par des cupides .
Et puis il y a Kalou, le révolutionnaire sanglant et affamé de pouvoir (ça ne vous dit rien?), et pour clore le tout, il y a Boulot. Boulot, c'est toute l'Afrique dans sa diversité de parcours.
Dans ce récit arborescent, tous les personnages se croisent et vivent milles vies. En quelques pages pleines de poésie, Paul Fournel décrit deux cents ans de colonisation, y compris dans sa version moderne et récente avec la fuite (pillage conviendrait mieux...) des cerveaux. Un très joli voyage dont la structure narrative peut décontenancer ou distraire l'espace d'un instant et qui vaut le coup d'être fait.

La construction du roman est une succession de chapitres courts qui révèle les vies réelles ou imaginaires de plusieurs personnages qui vivent soit dans le village africain, soit en France. 
C’est aussi et surtout réflexion sur la vie personnelle et sociale. Le ridicule de notre civilisation et sa volonté quelques fois hégémoniques, apparaît bien quand les blancs veulent installer un monde "évolué" et moderne dans le "Village fondamental". "Le temps avait passé vite pour son pays. Une accélération de quelques siècles en quelques années. Les gens couraient derrière leur ombre pour essayer d'attraper le grand train du monde. Certains ne couraient plus. Ils étaient assis là, le long des trottoirs, chauffant la pierre de leurs fesses maigres, fumant et buvant, confits dans leur absolue pauvreté, attendant la mort dans la plus grande fatigue. Mais ce que Chamboula aimait par-dessus tout lors de ses visites, c'était retrouver en imagination la forme de son village, cachée sous la grande ville." p. 253-254

Où est vraiment le progrès ?

Les Africains s’interrogent sur les contradictions entre leurs coutumes passées et les exigences du présent : « Puisqu'il était désormais investi de la totalité des pleins pouvoirs, le Chef, assis à la table d'honneur, n'eut aucune réticence à signer les accords avec SAV. Il fut décidé dans la foulée que les nouvelles élections auraient lieu un mois plus tard à peine. Elles seraient démocratiques, sous surveillance militaire, et elles recevraient des superviseurs étrangers pour juger de leur conformité aux usages internationaux.
Entendant cela, un candidat se déclara immédiatement candidat, ce qui surprit le Chef, qui était élu de droit et qui lança ses hommes dans une bagarre préliminaire préventive et démocratique. 
»
Chamboula est un roman drôle, riche en réflexions et analyses. Il pose des questions essentielles sur l’évolution des relations avec les pays d’Afrique. Au final, Chamboula c'est l'histoire de la colonisation économique de l'Afrique noire traitée avec talent et originalité.L’humour est aussi très présent dans la tradition de la littérature oulipienne puisque Paul Fournel préside l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle) .

Un des passages que je préfère :

« La démocratie (…), c'est la manière de faire ce qu'on veut en faisant croire au peuple que l'on fait ce qu'il veut. L'art démocratique est difficile, car il faut être un grand menteur. Il faut avoir la parole longue et vague pour toujours pouvoir l'entortiller sur elle-même et lui faire dire le contraire de ce qu'elle dit. Le mieux est de faire de la parole vide qui a l'air pleine. L'autre difficulté de la démocratie est qu'il y a un monde fou et qu'il est souvent difficile de tuer son rival sans que cela se sache. En démocratie, le peuple a un peu moins peur et ce n'est pas bon. En chefferie et en royauté, on fait ce que l'on veut en disant au peuple que c'est le mieux pour lui et en lui interdisant de dire le contraire. C'est confortable et on peut frapper pour l'exemple et l'éducation. On peut durer, vieillir et donner la couronne a son meilleurs fils. En empire, on fait ce qu'on veut. On se fout de tout, on se gave, on s'empiffre et on massacre. C'est confortable. Il faut seulement veiller à baisser la tête pour ne pas prendre un mauvais coup par-derrière. Les mauvais coups ne viennent pas du peuple, qui serre les fesses, ils viennent des amis et des proches, qui veulent encore s'empiffrer davantage. Le meilleur moyen de rester au pouvoir, c'est de laisser les fidèles s'empiffrer aussi. C'est le système des cadeaux. Il faut deviner ce que les gens aiment et toujours donner d'une main en gardant la machette dans l'autre main. Dans tous les cas, il faut manoeuvrer avec les riches du Nord. Jouer au nègre, faire le bon nègre ou le nègre fou, se comporter comme ils aiment qu'on se comporte et pomper le maximum d'argent ( …). La politique étrangère est un métier difficile » p 148-149 Paul Fournel a été éditeur et attaché culturel. Romancier, nouvelliste et poète, il a publié de nombreux ouvrages pour les adultes et la jeunesse et reçu plusieurs prix dont la bourse Goncourt de la nouvelle (Les athlètes dans leur tête, 1988) et le Renaudot des lycéens (Foraine, 1999).
Quatrième de couverture
La vie est paisible au « Village Fondamental ». Les hommes chassent et les femmes travaillent aux champs. La belle Chamboula, à la démarche élastique, provoque de grandes élévations.Un jour arrive un réfrigérateur au centre du village, et très vite, on en vient à se battre pour être le premier à s’y rafraîchir. Une télévision arrive ensuite qui rivalise avec l’arbre à palabre.Le village plonge dans la mélancolie et la faim. On ne se parle plus. SAV (« service après-vente ») débarque et ne tarde pas à lorgner sur Chamboula, et à gratter le sol et le sous-sol.Il embauche Boulot, mais Boulot décide d’aller tenter sa chance de l’autre côté de la forêt, et s’éloigne encore, et voyage. 
Va-t-il se faire coincer à la douane française, ou s’installer clandestinement à Paris ? 
Entrera-t-il dans Paris par le métro Château d’eau ou par la rue d’Ulm ? 
S’inscrira-t-il à Sciences-Po ?  Jouera-t-il à l’aile droite de l’ASSE ?


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